ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Pierre Curie
Le roman inachevé d’un utopiste
La crise
(juin 1967 – juin 1968)
Sommaire
Prologue
Introduction
Clermont-l’Hérault
Saint-Quentin
Bruay-en-Artois
Tourcoing
La crise
-
Introduction
-
Changer...
-
Les Centres
régionaux
-
Le Centre
du Nord
-
Faire
front
-
Aux limites
.
Les travailleurs
étrangers
.
Un culte pas ordinaire
-
Dialogues
du dimanche
-
L’homme face à la mort
-
Amour
et révolution
-
Travail
et création
-
L’
Alleluia
de Hændel
-
Foi
et histoire
-
Troubler
les conscien-
ces
-
Double
jeu
-
Visite
d’Albert Gaillard
-
Interventions
en soutien
-
La réunion
de Palaiseau
-
Le synode
de Royan
-
La dernière
proposition
-
Contrepoint
Épilogue
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Aux limites de l’impossible :
un « culte » pas ordinaire
L’homme face à la mort
Ce dimanche premier octobre 1967, le philosophe
Roger Garaudy, qui était encore membre du Comité central du Parti communiste français, dialoguait avec le pasteur
Albert Gaillard, Secrétaire général de l’Église réformée de
France. Parmi les thèmes abordés au cours de cette émission télévisée protestante, celui de l’homme face à la mort, la sienne et celle des autres.
Albert Gaillard : «
Vous avez excellemment dit,
Roger Garaudy, lorsque vous écriviez dans votre livre
Le marxisme au XX° siècle
: « Le doute fait partie de la foi ; la profondeur de la foi chez un croyant dépend de la force de l’athée qu’il porte en lui, et qui le défend contre toutes les idolâtries ; et nous pouvons dire aussi : la profondeur d’humanité chez un athée dépend de la force du croyant qu’il porte en lui…
»
Rapprochant ces réflexions de
Roger Garaudy de la question de la mort,
Albert Gaillard, qui venait de perdre un fils de trente ans, déclarait : «
Je pense que le caractère inacceptable et révoltant de la mort des êtres jeunes est le même pour vous et pour moi… Je pense qu’en tout homme et toujours, il y a cette sorte de révolte implicite et explicite contre la mort… parce qu’elle est la négation même de tout ce qui fait sa raison de vivre, la capacité qu’à travers son existence et l’existence de millions d’autres hommes, il a de participer au mouvement de l’histoire, que tout ceci, tout à coup s’arrête, sombre dans le néant
».
Roger Garaudy : «
Marx disait : « La mort, cette terrible revanche de l’espèce contre l’individu ». C’est le premier sens de cette mort, lorsqu’il s’agit de la nôtre. Puis, il y a la mort des autres. Peut-être est-ce un rappel de ce qu’est l’amour sous sa forme la plus haute, c’est-à-dire que l’amour ne peut pas s’accomplir seulement dans le rapport de moi à toi, mais dans celui de moi au tout ; que si puissant, si profond que soit cet amour, il ne peut pas s’épuiser dans le rapport entre deux êtres. Précisément parce que la mort donne ainsi à la vie sa signification la plus haute, nous ne pouvons pas subordonner la vie à la mort, c’est-à-dire subordonner la vie à ce qui serait un châtiment ou une récompense au-delà. J’ai toujours été frappé en lisant
Dante et sa
Divine Comédie
qu’il ne s’agit pas d’une histoire de morts, mais d’un jugement porté sur la vie. Le jugement qui est porté dans cet admirable passage sur
Francesca da Rimini, et sur cette conception de l’amour qui dépasse et qui transcende toutes les relations humaines peu structurées, je crois qu’il y a là essentiellement un jugement sur la vie… Si nous avons une conception adulte de
l’Enfer ou de l’au-delà, c’est à mon sens dans cette vie qu’il faut la chercher, et non dans ce qui en serait le prolongement, soit comme châtiment, soit comme récompense. La vie éternelle même, je ne l’imagine pas autrement que sous la forme d’une certaine qualité de cette vie, et pas d’une autre
».
Albert Gaillard : «
Vous rejoignez-là une des formules de l’Évangile. La vie éternelle, dans l’évangile de
Jean, c’est déjà la vie présente… L’espérance chrétienne, c’est la résurrection de
Jésus-Christ…
».
Roger Garaudy : «
Je ne pense pas que la résurrection ait pour nous un intérêt comme un fait biologique, je dirais même comme un fait historique. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’événement qui a pu se produire, j’aurais une opinion assez négative, mais le sens que cet événement a pour nous : dans quelle mesure sommes-nous capables dans chaque moment de répondre à ce qui est, au fond, la bonne nouvelle et la possibilité de commencer, ou de recommencer, notre vie, quelles qu’aient pu être les aliénations, les pesanteurs du passé, et qui s’acharnent sur elle
».
Albert Gaillard : «
Le chrétien n’a pas de position différente… Le propre de la résurrection n’est pas que
Jésus-Christ ait, en quelque sorte, quitté un tombeau ; c’est que la relation personnelle et vivante soit aujourd’hui possible avec
lui
».
Roger Garaudy : «
Je voudrais vous dire très franchement sur un plan personnel pourquoi je ne suis plus chrétien après l’avoir été… protestant d’ailleurs. C’est qu’il m’a semblé que
les chrétiens – disons
les chrétiens de l’Église – donnaient souvent de
Dieu une image trop petite. Je n’ai jamais pu associer l’idée du culte à l’idée d’un sanctuaire, d’un lieu déterminé ou d’un moment déterminé. Il me semblait, au contraire, que c’était l’animation entière de la vie, et que finalement le
Dieu biblique se révèle à travers les événements historiques et sociaux ; l’interpellation est dans les contradictions historiques que nous avons à résoudre. Ne pas répondre à cet appel, c’est la résignation
».
Albert Gaillard : «
Vous rejoignez la recherche théologique actuelle d’un certain nombre d’hommes qui, comme vous, ne peuvent plus penser que la vie d’une communauté chrétienne peut se situer pour elle-même et dans le cadre de sa réalité interne
».
Le débat qui, dans notre groupe, suivit l’émission, occupa les deux rencontres du mois d’octobre autour des questions soulevées par
les deux interlocuteurs : que signifie notre mort personnelle et celle des autres ? À ce sujet, l’évangile et le marxisme ont-ils des convergences ? La vie éternelle s’épanouit-elle dans l’histoire des hommes, ou n’est-elle que pour l’au-delà de notre vie historique ?
C’est ainsi que toutes les trois semaines, le dimanche matin, dans l’une ou l’autre des maisons amies entre
Lille et
Tourcoing, des « dialogues » réunirent de vingt-cinq à trente personnes, croyantes et incroyantes, sur un thème que les participants avaient choisi eux-mêmes, et guidés par un schéma, sorte de « liturgie » laïque élaborée préalablement par une équipe chaque fois nouvelle.
Entre octobre 1967 et mai 1968, sept thèmes orientèrent les réflexions communes ; mais pas de « pasteur » annonçant magistralement la Vérité une et définitive à recevoir et à croire !
1992
tc440521 : 01/08/2019