ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie


Le roman inachevé d’un utopiste





La crise
(juin 1967 – juin 1968)


Sommaire

Prologue

Introduction

Clermont-l’Hérault

Saint-Quentin

Bruay-en-Artois

Tourcoing

La crise
- Introduction
- Changer...
- Les Centres régionaux
- Le Centre du Nord
- Faire front
- Aux limites
- Double jeu
- Visite d’Albert Gaillard
- Interventions en soutien
- La réunion de Palaiseau
- Le synode de Royan
- La dernière proposition
- Contrepoint

Épilogue




. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

En attendant le synode national
de Royan : la réunion de Palaiseau


   Malgré leur silence, les autorités en place de l’Église réformée de France ne pouvaient pas ignorer le mouvement qui commençait à troubler profondément la vie de nombreuses paroisses, et surtout la jeunesse protestante dans ses organisa­tions, ainsi que nombre de mouvements d’adultes, comme celui du christianisme social et, bien sûr, les Centres de recherche et de rencontres. Elles n’étaient pas sans comprendre que cette « vague de fond » n’était pas soulevée par la toquade de quelques « illuminés », mais qu’en parenté avec les événements qui secouaient la société française en ces premiers mois de l’année 1968, elle risquait de mettre également en question leur propre pouvoir.

   D’ailleurs, certains parmi les pasteurs, et non des moindres, des théologiens et des responsables de l’Église réformée à un niveau élevé, prirent à cette époque une initiative, semi-clandestine à l’origine et qui aurait pu apparaître subversive, mais qui était la manifestation de cette inquiétude et d’un désir de changement profond. Ainsi, le deux janvier 1968, furent convoqués dans les locaux de la paroisse réformée de Palaiseau, après de nombreux contacts pris par le pasteur Louis Simon, des représentants de plusieurs de ces lieux de contestation.
   Dans sa lettre d’invitation, il justifiait cette rencontre en ces termes : « La nécessité en a été ressentie au cours d’un entretien avec André Malet (1). Ce dernier était convaincu qu’il n’y avait plus beaucoup d’espérance à conserver au sujet de l’institution ecclésiastique et souhaitait que des amis l’aident à inventer une nouvelle manière d’être ensemble pour vivre l’Évangile ». Néanmoins, l’éventail des solutions élaborées au cours de consultations préliminaires et proposées au débat du deux janvier, s’il manifestait « le désir d’un profond changement partagé par beaucoup dans l’Église réformée de France » ne cachait pas que « le désenchantement avait des causes trop diverses pour constituer un front uni ».
   À la rencontre furent invités la professeur Paul Ricoeur, un responsable des Centres, un représentant des Mouvements et quelques représentants des paroisses parisiennes, mais y participèrent effective­ment les pasteurs Louis Simon, Jacques Lochard, Secrétaire général du Christianisme social, Étienne Mathiot, itinérant de la Société centrale d’évangéli­sation, Pierre Curie (représentant Ennio Floris (2), souffrant), Messieurs André Malet (et Madame), Larsen et Delespierre. Le professeur Ricœur s’était excusé.

   Le pasteur Mathiot fit part de sa conviction, à la suite de ses déplacements dans les paroisses de France, que dans l’institution beaucoup parmi les pasteurs et les laïcs venaient l’entretenir du malaise qu’ils ressentaient et de leur attente d’un renouveau. Toutefois apparurent au cours du débat, sur les raisons de ce changement souhaité, des ambiguïtés et des divergences d’ordre idéologique et institu­tionnel.
   La divergence essentielle séparait ceux des participants (et ils étaient les plus nombreux) qui souhaitaient pour diverses raisons demeurer à l’intérieur de l’Église réformée, et ceux qui envisa­geaient de rompre avec elle. La permanence du phénomène religieux apparut comme l’une des ambiguïtés majeures. Sans doute, chacun condam­nait le caractère pervers du « religieux », mais tous n’étaient pas persuadés que l’existence de l’Église ne peut que produire ce « religieux » unanimement condamné.
   Un clivage de même nature se fit jour également au sujet de la relation entre l’Église et le monde. La majorité des participants estima que l’Église et le monde sont essentiellement distincts, que l’Évangile est la réalité spécifique des chrétiens et de l’Église, tandis que les autres ne reconnaissaient pas ce clivage abrupt, et soutenaient que la « parole » (l’évangile) ne se situe pas « en-deçà » ou « au-delà » de l’homme, mais « en avant » de lui-même, dans une permanente possibilité de devenir par le dialogue entre les hommes de toutes origines et de toutes appartenances, en vue de la recréation de l’humanité de l’homme. « Par théologie nouvelle, écrivait le pasteur Ennio Floris, directeur du Centre du Nord, on entend une foi radicalement a-reli­gieuse, à savoir une référence au Christ qui renie totalement le religieux. En ce sens nous pensons, au Centre du Nord, qu’une telle critique religieuse met l’Église existante (sa prédication, ses sacrements, son institution…) en question ».

   Cette divergence d’appréciation ne permit pas la réalisation d’un front uni de la « théologie nou­velle », même si tous s’engagèrent à exclure toute accusation d’hérésie. Nous étions les uns et les autres à des niveaux divers de la recherche, et même chacun n’adoptait pas un point d’ancrage commun. À cause de ces ambiguïtés, nous n’eûmes pas la même appréhension du lieu à partir duquel l’action sur le « pouvoir » de l’institution pourrait être envisagée. Deux stratégies se dégagèrent dans le débat : l’une à partir de l’institution, l’autre de l’extérieur, par une action sur le pouvoir ou par une prise de pouvoir.
   Les uns proposèrent des moyens par des « voies légales. Il nous fut rapporté que le pasteur Albert Gaillard, Secrétaire général de l’Église réformée de France, s’engageait à mettre en jeu son autorité et même son avenir en proposant de présenter au synode national de Royan un rapport sur un programme nouveau avec une équipe nouvelle ; que le pasteur Robert Pont, président de la Commission des nominations, souhaitait plutôt une équipe renouvelée dans le cadre de la Commission générale d’évangélisation, devenue autonome de l’Église réformée de France, ce qu’il appelait le « droit de veto » dans l’Église ! Cette Commission renouvelée pourrait avoir alors sous sa responsabilité les Centres régionaux de recherche et en assurerait l’autonomie !
   Pour d’autres, comme le pasteur Lochard, Secrétaire général du Christianisme social, il s’agirait d’intervenir de l’extérieur par la pression d’un réseau de Mouvements, comme celui du Christianisme social, par des colloques ou par des contre-propositions dans les synodes de l’Église.
   Enfin il y eut ceux, comme André Malet, qui préconisaient un exode massif hors de l’institution pour constituer une « non-Église ».

   L’attitude du Centre du Nord fut à la fois plus réaliste et plus originale. « Les temps ne sont pas mûrs, déclara son représentant, pour réaliser cet exode, tout d’abord parce que ceux qui peuvent se référer à la « théologie nouvelle » ne se trouvent pas tous au même point de la recherche ; ensuite parce qu’ils s’ignorent souvent, ou ne sont pas en relation les uns avec les autres. Par ailleurs, l’orthodoxie et le piétisme ont le pouvoir bien en main. C’est pourquoi le départ massif favoriserait sans doute une meilleure structuration de l’orthodoxie…
   Il faut partir des lieux déjà existants de contes­tation et d’expérience. Il y en a beaucoup dans toute la France, mais ils sont isolés, presqu’à bout de souffle parce qu’ils sont complètement encerclés par l’orthodoxie et le piétisme. Souvent leur existence est liée à la personne d’un pasteur, et donc dépendant de l’Église. Ils sont dépourvus des moyens suffisants pour exercer une action efficace et permanente. Il faudrait donc organiser un réseau mettant en relation ces différents centres de contes­tation, maintenir en place ces hommes responsables dans ces lieux de contestation et d’expériences, au moment où l’Église a décidé de les retirer de ces points stratégiques… Et cela posera un problème financier.
   Pour faire face à cette situation, on pourrait constituer un comité issu prioritairement de l’alliance entre le Christianisme social et les Centres de l’Ouest et du Nord… Pour réaliser ces buts, ce comité devra être en mesure de constituer une trésorerie pour maintenir les hommes disponi­bles à ce travail, et qui risqueraient d’être exclus de l’Église. Il devrait alors donner une unité et une structuration à cette « révolution culturelle » en cours actuellement dans le Christianisme social et les Centres de l’Ouest et du Nord. Sur cette base, d’autres lieux de contestation et d’expériences pourraient être repérés ou créés dans toute la France, et formeraient alors un groupe de pression sur l’institution ».

   Les équivoques manifestées au cours de la rencontre du deux janvier 1968 furent accentuées au moment de rédiger un texte destiné à convoquer une assemblée élargie à une centaine de délégués des Centres et du Christianisme social, et prévue à Paris au cours du week-end des seize et dix-sept mars 1968. Un projet de texte ambigu et amphigourique, proposé par André Malet, ne parvint pas à créer un consensus, il ne fut jamais diffusé et il fallut déclarer forfait : la rencontre de Palaiseau ne connut pas de lendemain.

   Désormais, à partir du synode national de Royan en mai 1968, la crise devait aller à son terme, c’est-à-dire à l’étouffement (ou parfois la récupération) de la contestation et du renouveau.

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(1) Théologien protestant, auteur en particulier de Mythos et Logos (1962).      Retour au texte

(2) Voir une brêve biographie d’Ennio Floris par Jacques Lochard (1986), l’autobiographie d’Ennio Floris (2012), et son autobiografia (2005).      Retour au texte



1992




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tc440900 : 03/08/2019