Sommaire
Prologue
Introduction
Clermont-l’Hérault
Saint-Quentin
Bruay-en-Artois
Tourcoing
La crise
Épilogue
- L’utopie dans tous ses états
. Un quart de siècle...
. Dénoncer l’aliénation
. L’opinion de l'orthodoxie
. L’hérésie
. Combattre le religieux
. Certitude ou inquiétude ?
- Quitter un monde bon
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Un quart de siècle…
Un quart de siècle déjà depuis ce jour de novembre 1968 où je dus quitter Tourcoing, avec ma femme et ma fille, pour Marseille. Quitter aussi le ministère pastoral au cours duquel j’avais eu le singulier privilège d’être contemporain de vingt années lourdes d’événements qui ont marqué l’histoire de cette seconde moitié du vingtième siècle, depuis la seconde guerre mondiale et l’époque glorieuse et ambiguë de la libération du nazisme, puis la décolonisation du Tiers-Monde, accouchée au forceps des terribles épreuves du Vietnam, mais aussi des pays du Sud-est asiatique, de l’Algérie, mais aussi des pays d’Afrique noire ; et encore la nouvelle montée des périls de la « guerre froide » entre l’Est et l’Ouest, et à nouveau la menace atomique, encore et encore… les conflits du Moyen-Orient, Israël et les arabes !
Quitter le cœur serré et pourtant la tête haute pour une nouvelle aventure qui devait se poursuivre pendant plus de quinze ans ; un combat autre et tellement identique au service de l’homme… du Tiers-Monde, précisément !
Un quart de siècle déjà que cette rupture s’est produite ! Quelle nécessité si impérieuse me prescrit-elle de soustraire à l’oubli ces dix-huit années, à la vérité bien éphémères, et de les ramener à la mémoire ? Tout simplement comprendre ! Découvrir, si possible, les non-dits qui amenèrent cette déchirure, prémonitoire dès Clermont-l’Hérault (1). Comprendre cette psychose qui en a gagné tant et tant dans l’Église réformée de France à ce moment-là, et que le directeur (2) du Centre du Nord exprimait dans sa lettre de mars 1968 au Secrétaire général de l’Église réformée, à mon endroit : « Les uns et les autres se sentent heurtés chaque fois qu’il parle ; et s’il se tait, son silence est interprété comme un affront. S’il est absent, on le juge ; s’il est là, cette présence crée une sorte de psychose ».
L’incompatibilité d’humeur en épuise-t-elle la raison ? Certes, comprendre cette époque de l’Église et de la société, appréciée aujourd’hui comme un moment conflictuel passager, désormais de l’ordre de l’événementiel marginal et aberrant ! Sans doute sera-t-il présomptueux au regard d’un grand nombre d’insinuer que cette utopie proclamée en ces années-là dans l’Église et dans la société peut avoir laissé dans notre histoire contemporaine des traces qui demeureront toujours comme un défi et une espérance ! Même si elle a produit ce paradoxe qu’avec un humour caustique vient de souligner ce journaliste du Monde : « Nous, cette génération confuse qui crut s’offrir un monde autour de mai 68 et dut, en vieillissant, se contenter de provinces et de fiefs, de places et de situations, d’envies et d’ambitions » (3).
Même si notre monde, en crise de plus belle, semble aujourd’hui avoir perdu ses repères à l’exception de ceux du pouvoir et de l’argent, et si les intégrismes religieux de toutes origines, chrétienne, juive ou musulmane, s’infiltrant sournoisement ou brutalement dans nos sociétés, s’acharnent à combler l’espace laissé vacant dans les consciences déboussolées.
Comprendre tout cela à partir de ces dix-huit années où un certain nombre d’entre nous a eu l’extravagance de croire que l’utopie n’était pas étrangère à l’histoire, qu’elle était, au contraire, la source et la semence créatrice d’avenir, que précisément, sans elle, l’histoire s’affaisse en une succession d’événements absurdes et menaçants ! Notre utopie fut celle de l’Évangile et de Jésus le Nazaréen. Au fil de ces dix-huit années elle a, sans doute, subi une transformation dans son apparence, ces pages en portent clairement témoignage : de l’influence barthienne à la théologie du monde, de la théologie du monde à la mort du Dieu « tout autre » !
Pour comprendre aujourd’hui les obstacles et les exclusions comme les silences de l’Église réformée de France, je m’interroge : les apparences sont-elles parvenues à trahir l’essentiel ? Cette utopie dans tous ses états a-t-elle franchi le seuil de l’hérésie ?
Comprendre avec le recul des ans suppose de faire la part des choses, c’est-à-dire d’apprécier les événements de cette époque dans l’état d’esprit où nous nous trouvions alors, puis tels qu’après l’élargissement et l’approfondissement de la recherche de ces dernières années, je suis à même aujourd’hui de les percevoir.
Il est contraire à la réalité de prétendre qu’au cours des années 1950 à 1967, la « limite » aurait été franchie (4). Rien alors ne justifiait l’exclusion. Une totale incompréhension, voire une certaine mauvaise foi de la part des autorités de l’Église réformée de France, ont associé indûment dans un même « procès en hérésie » l’Alliance des mouvements protestants de jeunesse, le Centre de recherche du Nord et les expériences engagées à Tourcoing. Les documents de l’époque, relus aujourd’hui avec attention et sérénité, donnent à constater la même contradiction entre les engagements des uns et les jugements des autres. En effet, à l’instar de l’Alliance des mouvements protestants de jeunesse, ni au Centre du Nord ni à Tourcoing (bien moins encore dans les années précédentes à Clermont-l’Hérault (5) et à Bruay-en-Artois (6)) la « référence chrétienne » ne fut abandonnée par les uns et par les autres au cours des années 1964 à 1967.
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(1) Voir l’expérience de Clermont-l’Hérault. 
(2) Voir une brêve biographie d’Ennio Floris par Jacques Lochard (1986), l’autobiographie d’Ennio Floris (2012), et son autobiografia (2005). 
(3) Edwy Plenel, La part d’ombre, p. 453. 
(4) Sur la notion de « limite, voir l’étude d’Ennio Floris. 
(5) Voir l’expérience de Clermont-l’Hérault. 
(6) Voir l’expérience de Bruay-en-Artois. 
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