ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Pierre Curie
Le roman inachevé d’un utopiste
La crise
(juin 1967 – juin 1968)
Sommaire
Prologue
Introduction
Clermont-l’Hérault
Saint-Quentin
Bruay-en-Artois
Tourcoing
La crise
-
Introduction
-
Changer...
-
Les Centres
régionaux
-
Le Centre
du Nord
-
Faire
front
-
Aux limites
-
Double
jeu
-
Visite
d’Albert Gaillard
-
Interventions
en soutien
-
La réunion
de Palaiseau
-
Le synode
de Royan
-
La dernière
proposition
-
Contrepoint
Épilogue
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o - . . . . . . . .
Dans cette lutte du pot de terre et du pot de fer, l’ultime parole avait été prononcée. Le poste de
Tourcoing mis en sommeil en octobre 1967, j’étais prié de le libérer après une mise en congé « hors cadre » avec salaire pendant cinq mois.
De toutes les autorités ecclésiastiques d’alors, régionales et nationales, le Secrétaire général de l’Église réformée de
France, le
pasteur Albert Gaillard, qui avait suivi avec intérêt et sympathie les expériences engagées à
Tourcoing et les recherches du Centre protestant du
Nord, fut le seul à rompre la chape de silence qui pesait alors sur nous, à tenter de trouver une issue à la crise ainsi qu’à ma situation personnelle.
En effet, en dépit du caractère irréversible de la décision synodale, j’avais décidé de faire front. Un tel comportement serait passé pour un entêtement irresponsable s’il avait été le signe d’une réaction épidermique, mais la crise de
Tourcoing, comme celle que commençait à connaître le Centre du
Nord et son directeur, le
pasteur Ennio Floris
(1)
, était inscrite dans celle de la société française de l’époque.
Nous approchions de mai 1968 et du mouvement contestataire des étudiants, qui avait débuté à
Nanterre en mars 1967 et qui allait ébranler l’État dans ses fondements. La
France de 1967 entrait dans un bouleversement radical de toutes les valeurs acquises. La guerre
d’Algérie, qui avait débouché en novembre 1962 sur l’indépendance du peuple algérien, avait laissé des blessures profondes dans la jeunesse française, celle qui avait pris part aux combats et celle des universités. Toute la société française en avait elle-même été secouée, fissurée. L’hypocrisie et le mensonge des élites gouvernantes s’étaient étalés au grand jour et n’étaient désormais plus supportables. Société qui vivait sur de faux-semblants de vérité et de justice, sur des interdits et des tabous, sur des références vides de sens et culpabilisatrices. Un monde était en train de mourir.
Il s’agissait d’une « crise de confiance » comme le déclarait le vingt-cinq mai 1968 la « Paroisse universitaire », qui regroupait les enseignants catholiques de l’enseignement public, et qu’approuvait
René Fréchet, président de la Fédération protestante de l’enseignement : «
Les étudiants se posent avec anxiété le problème de leur insertion dans la société d’aujourd’hui
–
écrivait-il dans le quotidien
Le Monde
–
pour des raisons économiques : une société qui ne prévoit pas l’avenir de beaucoup de nos élèves et de nos étudiants a-t-elle rempli sa mission ? Mais aussi et surtout des raisons spirituelles : les étudiants et les élèves sont douloureusement sensibles au décalage entre les valeurs de l’esprit et une société qui ne leur offre pour fin que des moyens
» (
Le Monde
, 23 mai 1968).
Crise de confiance, parce que société déshumanisée. Le professeur
P.-L. Reynaud, de la Faculté de droit de
Strasbourg, écrivait : «
Le monde actuel renferme une immense contradiction et c’est ce qui provoque l’intensité des tensions et les affrontements actuels. D’une part, il nous montre le prix de la liberté, mais d’autre part la civilisation technicienne multiplie les contraintes. Ce type de contraintes existe aussi bien à
l’Ouest qu’à
l’Est. La bombe atomique, la guerre du
Vietnam, l’étouffement policier, sont également des produits d’un technicisme sans âme
» (
Le Monde
du 8 mai 1968).
Ce qui faisait dire à
Edgard Morin : «
Quelque chose a craqué qui n’avait pas craqué en mai 1958, ni au temps de l’OAS ; quelque chose qui n’a craqué qu’en 1940, uniquement sous les blindés allemands ; quelque chose a craqué dans une machine en état apparemment normal… Que s’est-il passé en mai 1968 ? Un « accident sociologique », c’est-à-dire quelque chose qui n’était pas inscrit dans le processus normal d’une société… mais un accident interne, venu de la rupture d’une digue, d’un vaisseau, venu d’une déflagration qui s’est produite à l’intérieur du corps social, très près de la tête, et qui a paralysé tout le système nerveux central
» (
Le Monde
du 5 juin 1968).
______________
(1) Voir une
brêve biographie d’Ennio Floris
par
Jacques Lochard (1986),
l’autobiographie
d’Ennio Floris (2012), et son
autobiografia
(2005).
1992
tc440000 : 31/07/2019