ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Pierre Curie
Le roman inachevé d’un utopiste
La crise
(juin 1967 – juin 1968)
Sommaire
Prologue
Introduction
Clermont-l’Hérault
Saint-Quentin
Bruay-en-Artois
Tourcoing
La crise
-
Introduction
-
Changer...
-
Les Centres
régionaux
-
Le Centre
du Nord
-
Faire
front
-
Aux limites
-
Double
jeu
-
Visite
d’Albert Gaillard
-
Interventions
en soutien
-
La réunion
de Palaiseau
-
Le synode de Royan
-
La dernière
proposition
-
Contrepoint
Épilogue
. . . . . . . . - o
0
o - . . . . . . . .
Appel au synode national
Comme ultime recours, il me restait à en appeler au prochain synode national de l’Église réformée de
France, qui allait se réunir des premier au cinq mai 1968 à
Royan.
Je ne détenais aucun mandat pour m’y rendre en personne et y plaider, à partir de l’expérience de
Tourcoing et de celle du Centre du
Nord, la cause du renouveau de l’Église. Pour ce faire, je pensais trouver un appui et un interprète auprès de ceux que j’avais rencontrés à
Palaiseau quelques semaines auparavant
(1)
et qui avaient manifesté leur intention d’intervenir au synode, afin que l’Église réformée connaisse un nouveau souffle et d’influer sur des orientations empreintes d’ouverture et de changement. Je fixais mon choix sur le pasteur
Louis Simon, qui avait été l’initiateur du projet, hélas avorté, du deux janvier précédent. Je lui écrivis donc le vingt-et-un avril, quelques jours avant le synode national : «
Ma voix, que j’aurais aimé y faire entendre, pourrait-elle trouver en toi (ou en d’autres) quelque écho ?
»
J’étais alors sous le coup d’un projet inouï de l’Église réformée, que venait de me transmettre le quatre avril son Secrétaire général : m’expatrier à
Alger ! De toute évidence, c’eût été pour moi et ma famille un exil définitif. D’ailleurs, un plan concerté des autorités nationales prévoyait dans le même temps d’expatrier aussi en
Suisse, à
Zurich,
le directeur
(2)
du Centre du
Nord. Tous les avis que j’avais sollicités en
Algérie m’avaient crié « casse-cou » ! En acceptant, un redoutable piège se serait refermé sur moi. À cette proposition je venais de donner une réponse négative et, déjà, la bienveillante rumeur se répandait dans les sphères bien-pensantes que je devrais être moins exigeant et me contenter de la généreuse attention portée à l’hérétique !
Ma perplexité était grande. Je tentais sans trop y croire cette ultime ouverture. «
Sans pouvoir être entendu publiquement, ni par le synode régional, ni à des niveaux plus élevés (sauf à titre exceptionnel),
écrivais-je à
Louis Simon,
je dois non seulement quitter le
Nord, mais la
France. C’est pourquoi je pense que nous sommes parvenus au point extrême du pourrissement des situations, personnelles mais aussi ecclésiastiques et théologiques
». Au travers du silence de l’Église, j’éprouvais ma condamnation et mon exclusion, que je refusais obstinément car je n’avais d’aucune manière «
le sentiment d’avoir démérité ni moralement ni professionnellement de l’Église réformée de
France
», et je contestais la prétention de certains (même s’ils représentaient alors la majorité) à «
détenir le monopole de l’Église
» et à en faire «
leur propriété
».
Vingt-deux jeunes
théologiens genevois venaient de déclarer publiquement : «
Nous sommes à la recherche d’un style de vie chrétien au service de l’Évangile. Nous cherchons à nous situer dans une vraie position de dialogue avec les non-croyants, ce qui implique que les structures (mentales, théologiques, sociologiques, institutionnelles) de l’Église actuelles sont impropres à permettre ce dialogue authentique
».
Ma lettre à
Louis Simon poursuivait dans ce sens : «
dans ce dynamisme révolutionnaire, je situe aujourd’hui l’Évangile. Depuis dix-huit ans, effectivement au service de l’Évangile dans l’Église réformée de
France à
Clermont-l’Hérault,
Saint-Quentin,
Bruay et
Tourcoing, j’ai toujours cherché à me situer, à témoigner et à vivre. Encore aujourd’hui désespérément, je cherche l’Église pour les hommes du temps présent… Maintenant, j’en appelle publiquement à tous ceux qui, encore à l’intérieur de l’Église réformée de
France, peuvent entendre cet appel. Je ne désespèrerai de l’Église (non de l’Évangile) que le jour où je ne pourrai plus réellement croire dans le protestantisme à la liberté de parole, d’expression et d’authentique recherche. C’est pourquoi je demande : les plus orthodoxes des protestants réformés français savent-ils toujours tirer les véritables conséquences de leur propre orthodoxie de la grâce libératrice ? Il me paraît étrange qu’après ce cheminement de dix-huit années, ce soit pour cela que je suis excommunié de l’Église. Faut-il alors souhaiter d’être aujourd’hui accusé d’hérésie pour prendre conscience de demeurer dans la visée de la Réforme ?
»
Enfin, j’en appelais à la convocation d’un colloque, à réunir rapidement après le synode national de
Royan, «
afin qu’on puisse savoir clairement, au-delà des contingences particulières et des questions de personne ou de caractère, quelle est la limité ultime au-delà de laquelle il n’existerait plus de réalité chrétienne aujourd’hui, et où il n’y aurait plus qu’hérésie et excommunication
»
(3)
.
Le mépris et la crainte sont des puissances mauvaises, diaboliques, qui effacent les meilleures intentions et recouvrent de l’oubli les secrètes révoltes. Une fois encore, je n’entendis que le silence ! Je me souvins de la boutade, qui sur le moment m’avait fait sourire, de
Louis Simon à la rencontre du deux janvier : « Je me trouve bien dans la
vallée de Chevreuse ; je peux y attendre le
royaume de
Dieu ».
______________
(1)
Voir
le compte-rendu de la rencontre du deux janvier 1968 à
Palaiseau.
(2) Voir une
brêve biographie
d’Ennio Floris
par
Jacques Lochard (1986),
l’autobiographie
d’Ennio Floris (2012), et son
autobiografia
(2005).
(3) Sur la question des « limites »,
voir
l’article
d’Ennio Floris.
1992
tc441000 : 03/08/2019