ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie


Le roman inachevé d’un utopiste





Clermont-l’Hérault (1950 – 1955) :
la nomination


Sommaire

Prologue

Introduction

Clermont-l’Hérault
La nomination
Accueil
Clermont-l’Hérault
À pied d’œuvre
Les jeunes
Communauté active
Ouvrir la communauté
Une porte s’ouvre
Difficultés
Un pasteur communiste ?
Point d’orgue
Parole d’utopie
Fin de partie

Saint-Quentin

Bruay-en-Artois

Tourcoing

La crise

Épilogue




. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

   En juin 1950, je venais de terminer quatre années de théologie à Paris, et d’être reçu à ce qu’on n’appelait pas encore la « licence en théologie » mais, sans doute pour rester dans la tradition médiévale et de la Réforme, on devenait alors « bachelier en théologie ».
   J’avais aussi achevé la rédaction de la thèse exigée à la fin de ce cycle d’études, sous la responsabilité du pasteur Pierre Maury. Elle portait (pourrait-on en être surpris ?) sur les rapports entre l’Église et l’État chez Calvin. Pour des raisons d’opportunité, je devais la soutenir quelques mois plus tard, en novembre 1950, à la faculté de théologie de Montpellier, alors que j’étais déjà en poste à Clermont-l’Hérault depuis deux mois.

   Les extraits suivants de la présentation que j’en fis publiquement en présence de Pierre Maury restituent assez bien l’état d’esprit qui m’avait animé jusqu’alors, et qui allait être en quelque sorte le tremplin de mes prochains engagements.
   « Je reconnais que les problèmes politiques m’ont toujours vivement intéressé. Même si cette raison ne fut pas déterminante dans le choix de ma thèse (elle m’avait été suggérée par une dissertation libre proposée sur ce sujet), elle répondait à une question toujours présente ; quelle est ma place de « chrétien » dans le monde, au sein de ses problèmes, de ses espoirs comme de ses échecs ? Serais-je « neutre » à leur égard parce que je suis « chrétien » ? Ne serais-je pas au contraire « engagé » avec ceux qui ne partagent pas ma foi, ou même qui luttent contre ma foi ? Question personnelle, sans doute, mais aussi question de tout chrétien, et de l’Église entière. Karl Barth a montré comment le dialogue entre Jésus et Pilate a été la référence de ce rapport entre l’Église et l’État. »

   J’avais vécu deux années célibataire au Séminaire de la Faculté de Paris, puis m’étais marié en juillet 1948 à Jacqueline Devocelle, alors commissaire scoute, que j’avais connue au cours du stage d’été à Liévin en 1947. Le Séminaire n’hébergeant pas les couples, nous dûmes trouver un toit pour achever les deux dernières années d’études. La bourse accordée étant insuffisante, mon épouse dut continuer de travailler, et mon ami Jean Jousselin m’obtint dans le quartier de l’Étoile la gestion d’un petit foyer d’étudiants, où notre fille Françoise vécut ses premiers mois à partir de la fin décembre 1949, et où nous vîmes aussi défiler quelques spécimens hauts en couleur, tel ce jeune Israélien qui s’intitulait « étudiant » et qui, un jour, me menaça des foudres de l’Irgoun parce que je lui avais reproché la malpropreté et le fouillis de sa chambre !

   C’est dans la chambre que nous occupions dans ce Foyer, qu’une fin de matinée de juin 1950 nous reçûmes la visite du président de la région de Languedoc, le pasteur Frank Berton, venant nous annoncer que le Conseil national de l’Église réformée de France nous affectait au poste de Clermont-l’Hérault, dont nous allions être les initiateurs.
   Pourquoi Clermont-l’Hérault ? Sans doute du fait de la conjonction de deux démarches : l’une de l’Église réformée de la vallée de l’Hérault, l’autre que j’avais moi-même engagée depuis plusieurs années et qui était connue de l’Église.
   En effet, une ancienne paroisse protestante traditionnelle d’un village de la plaine de l’Hérault, Saint-Pargoire, jadis de forte implantation réformée mais depuis réduite fortement par l’exode rural et assoupie dans ses traditions huguenotes, regroupait tout au long de la riche vallée viticole de l’Hérault, jusqu’à Lodève à une quarantaine de kilomètres au nord, quelques dizaines de protestants disséminés dans plusieurs villages ou grosses bourgades eux aussi passablement enfermés dans leurs traditions de foi cévenole.
   Un jeune pasteur dynamique, originaire d’Algérie, Maurice Touchon, installé là avec sa famille depuis quatre ou cinq ans, entreprit avec une équipe (pour tenter une « percée de l’évangile ») de sonder ce secteur agricole de la vallée de l’Hérault, en particulier Clermont-l’Hérault et Lodève. Ces « sondages » lui fournirent l’indication, sinon la conviction, qu’au moins certains secteurs de la population composite de Clermont-l’Hérault manifestaient le besoin d’échapper au formalisme et au traditionalisme étouffants, imposés par un catholicisme dominant et rétrograde. Les autorités régionales de l’Église réformée, informées et conscientes qu’une « ouverture » était possible, prirent la décision de créer une Commission régionale d’évangélisation, dénommée « Société d’évangélisation du Bas-Languedoc » (SEBAL) dont Clermont-l’Hérault dresserait l’acte de naissance. Il fallait alors trouver « l’homme de la situation ».
   Il s’est trouvé que la décision d’engager cette « expérience » rencontrait, à mon insu, mon propre cheminement qui, au terme de ma théologie, m’amenait à souhaiter vivre ma foi comme un engagement au service de mes contemporains. En janvier 1950, à la demande du Conseil national de l’Église réformée, j’avais dû préciser mon attitude future, et j’écrivais alors : « je suis attiré par le ministère paroissial, puisqu’aujourd’hui et ici, la paroisse est le lieu où Dieu a réuni géographique­ment, socialement, économiquement et politique­ment des hommes et des femmes appelés à vivre d’une commune existence… ainsi que ceux qui vivent à la périphérie de l’Église, puisque la paroisse doit être missionnaire au risque de ne plus être l’Église de Jésus-Christ, d’être sel sans saveur. Mon désir serait de vivre dans une telle paroisse au milieu du monde, non pour faire du prosélytisme, mais pour être avec les hommes au milieu de leurs souffrances, de leurs combats et de leurs espé­rances » (31 janvier 1950).
   Telle est sans doute la raison qui mena le président de la région du Languedoc à frapper à notre porte du Foyer de la rue des Acacias, en cette fin de matinée de juin 1950, et nous annoncer que nous étions attendus, ma femme, ma fille de six mois et moi, à Clermont-l’Hérault pour le mois de septembre suivant.



1992




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tc410100 : 13/07/2019