ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Pierre Curie
Le roman inachevé d’un utopiste
Clermont-l’Hérault (1950 – 1955) :
un pasteur… communiste ?
Sommaire
Prologue
Introduction
Clermont-l’Hérault
La nomination
Accueil
Clermont-l’Hérault
À pied
d’œuvre
Les jeunes
Communauté
active
Ouvrir
la communauté
Une porte
s’ouvre
Difficultés
Un pasteur communiste ?
Point
d’orgue
Parole
d’utopie
Fin
de partie
Saint-Quentin
Bruay-en-Artois
Tourcoing
La crise
Épilogue
. . . . . . . . - o
0
o - . . . . . . . .
Une réputation s’établit parfois hâtivement, surtout quand votre place et votre fonction vous projettent un moment au-devant de la scène sociale, et l’image construite de votre personnage vous colle longtemps et fortement à la peau. Et puis, «
il n’y a pas de fumée sans feu
», dit-on ! À
Clermont, mais surtout dans les milieux bien-informés et bien-pensants de la bonne société protestante de
Montpellier, nous avions acquis une solide réputation de « gens de gauche » et même de « communistes ».
D’ailleurs, depuis notre arrivée à
Clermont, ne colportait-on pas, en dépit de nos dénégations, que nous ne nous occupions que des non-protestants, et surtout des pauvres et même de gens peu fréquentables ? N’avions-nous pas logé des gens sans renom dans les locaux de l’église et été poursuivis en justice (oubliant au passage que le procès avait été gagné) ? Et encore, à plusieurs reprises, n’avions-nous pas invité des orateurs, protestants certes, mais qui avaient tenu un langage subversif ? Par exemple, en novembre 1952, le
pasteur Francis Bosc n’avait-il pas jeté un doute dévastateur : «
les
chrétiens ont-ils trahi le
Christ ?
» Sans doute était-ce la raison pour laquelle il n’y eut que vingt-cinq personnes pour l’entendre ! Et le
pasteur Exbrayat (communiste sans doute aussi) qui en mars 1953 osa parler dans une salle de cabaret devant soixante-dix personnes (communistes sans doute aussi) de ce thème ressassé par les communistes de l’époque : «
le pain, la paix et la liberté
» !
Plus grave, certainement, le pasteur de
Clermont ne parle-t-il pas, lui-même, trop souvent dans ses prédications de la paix, de la justice et de la liberté ? Des pauvres et des riches ? N’a-t-il pas osé défendre en chaire la « politique de
Dieu » contre la violence des forts, des plus armés et de ceux qui détiennent les derniers secrets atomiques et biologique ? Toujours plus grave, nous avons bien compris en ce dimanche de 1953 que sa prédication préconisait le vote communiste aux élections municipales…
La vérité dans tout cela ?
Il était vrai que le pasteur de
Clermont avait, dès son arrivée, posé comme fondement de son action d’être et de demeurer ouvert à tous et à tous les dialogues, sans distinction religieuse, sociale ou politique, ne rejetant personne
a priori
, mais laissant à quiconque le droit funeste de refuser ces dialogues et de rétablir des discriminations entre les hommes.
Il était vrai aussi que la
France était alors engagée dans une dramatique aventure coloniale. Rappelons-nous la félonie française de la rupture des accords de
Fontainebleau avec
Ho Chi Minh ! Tandis que le gouvernement français venait à peine d’aboutir à un
modus vivendi
avec la
République Démocratique du Vietnam,
l’amiral Thierry d’Argenlieu ordonnait à l’escadre française du
Tonkin de bombarder
Haïphong ! La première guerre
d’Indochine commençait par une trahison française, pour s’achever en catastrophe dans la cuvette de
Dien Bien Phu en mai 1954.
Bientôt après, en novembre 1954, un autre incendie s’allumait :
l’Algérie s’embrasait dans une guerre « sans nom » pour huit terribles années.
Enfin, le souvenir de l’anéantissement
d’Hiroshima et de
Nagasaki hantait notre conscience, au moment où le
France s’apprêtait à se doter d’un armement atomique à la fin de l’année 1954.
Voilà les faits, la réalité et la vérité, au-delà de toute « image rapportée ». Ces événements dramatiques ne pouvaient pas être dissimulés, ou évacués de la conscience de ceux qui avaient un jour découvert (et qui de plus en avaient alors la charge) dans l’évangile (étymologiquement, la « bonne nouvelle ») que
l’homme de
Nazareth avait, par sa parole et son engagement, établi la réconciliation entre les hommes et les peuples, détruit tous les « murs de séparation ». Telle était bien l’utopique vérité !
Ainsi, en effet, j’ai un jour, avec beaucoup d’autres
chrétiens ou athées, communistes ou non, répondu par ma signature au fameux «
Appel de
Stockholm
» contre la bombe atomique, contre la guerre et pour la recherche assidue et urgente de la paix entre les nations divisées et une fois encore au bord de la guerre. Répondant à un journaliste communiste venu m’interviewer, je livrais au journal régional
La Voix de la Patrie
ces réflexions, qui levaient toute ambiguïté sur mon engagement :
«
Que certains se rassurent ! Je ne parle ici ni au nom d’un parti politique, ni sous la pression de qui que ce soit. C’est au nom du
Christ seul, qui est mon unique seigneur, mais de la bouche duquel j’ai entendu cette parole : «
Heureux les artisans de la paix, car ils seront appelés
fils de
Dieu » (évangile de
Matthieu,
chapitre 5, verset 9
).
Je crois que le
Christ me demande d’être cet « artisan de paix » dans tous les domaines de la vie : non seulement personnelle et familiale, mais aussi sociale et internationale, car le
Christ, l’unique
seigneur du monde, est le réconciliateur de tous les peuples comme
il l’est des individus.
Voilà pourquoi, en toute sérénité, j’ai répondu à l’invitation des « Combattants de la paix ». Il ne m’est pas demandé de suspecter, mais de m’informer, d’écouter, et aussi de me faire écouter.
Le dialogue, la rencontre honnête et confiante ne sont-ils pas les signes que la paix est possible dans la recherche commune ?
Ce qui est possible à l’échelon local, pourquoi ne serait-ce pas possible aussi à l’échelle mondiale dans une rencontre entre les grands chefs des nations ? Il suffit pour cela de part et d’autre de bonne et franche volonté.
Alors, que voulez-vous, je pense encore à une parole qui une fois a retenti comme la grande espérance donnée au monde : « paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ».
Pourquoi ne serait-ce pas vrai aujourd’hui ?
» (23 août 1951).
1992
tc411000 : 15/07/2019