ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Pierre Curie
Le roman inachevé d’un utopiste
Clermont-l’Hérault (1950 – 1955) :
point d’orgue
Sommaire
Prologue
Introduction
Clermont-l’Hérault
La nomination
Accueil
Clermont-l’Hérault
À pied
d’œuvre
Les jeunes
Communauté
active
Ouvrir
la communauté
Une porte
s’ouvre
Difficultés
Un pasteur
communiste ?
Point d’orgue
Parole
d’utopie
Fin
de partie
Saint-Quentin
Bruay-en-Artois
Tourcoing
La crise
Épilogue
. . . . . . . . - o
0
o - . . . . . . . .
Appelé par les autorités de la SEBAL à donner une information sur notre action après trois années de présence à
Clermont-l’Hérault, j’ai parcouru les
Cévennes et le
Languedoc de janvier à mai 1953, visitant une trentaine de paroisses protestantes de la région.
Très influencé alors par le livre des
Actes des
apôtres
, je m’inspirai une fois encore du comportement de
l’apôtre
Paul, et me souviens d’avoir déclaré à chacune de ces Églises locales, à l’égard desquelles je me sentais redevable de notre action sur le terrain, de ses ombres et de ses lumières : «
Je suis venu chez vous un peu comme
Paul et
Barnabas qui, de retour à
Antioche après leur premier voyage missionnaire, convoquèrent l’Église et racontèrent tout ce que
Dieu avait fait avec eux
» (
Ac 14:
27
).
Trois années seulement ne m’autorisaient qu’à poser des jalons et tracer quelques pistes dans le mouvement qui s’annonçait.
Les ombres étaient réelles : une certaine inertie et un manque de persévérance parmi les protestants et les sympathisants, adultes et jeunes ; la pression de plus en plus contraignante du catholicisme local sur ceux qui s’aventuraient au Foyer évangélique ; la crainte chez certains de se compromettre trop en participant à nos rencontres, à l’exemple de quelques commerçants en sympathie redoutant la perte de clients, ou aussi cette femme de milieu populaire qui avait plusieurs fois assisté à des veillées de quartier et qui a avoué à
ma femme qu’elle n’osait plus s’y présenter de peur que son fils, instituteur dans une école privée de
Béziers et soutien de famille, ne perde son emploi ; ou encore cette jeune femme, pourtant détachée du catholicisme, qui nous fit part de ses hésitations à cause de sa famille.
Chez les protestants eux-mêmes, cette « tare » bien spécifique de l’individualisme freina la formation d’un noyau déterminé de « militants » ou, en langage conventionnel, d’une « communauté de frères ». Ainsi, devant l’urgence des situations sociales dégradées chez les familles populaires, un projet de diaconat avait été proposé. Dix-neuf dames furent conviées à y réfléchir, seules trois (dont deux étaient sympathisantes) répondirent à l’invitation, et le projet resta en l’état.
Les lumières, sans gommer les ombres, jetèrent leurs rayons d’espoir confirmant nos raisons de persévérer : ce noyau d’amis fidèles, heureux de se retrouver chaque vendredi à la veillée, accessible à un « évangile » libéré du « religieux » et des bondieuseries, ouverts à la vie et au monde, au bonheur simple du partage.
Mais aussi, comment taire les rencontres occasionnelles ou informelles avec tel ou tel, qu’il ait ou non un « poids social » dans la cité, et que des circonstances heureuses nous ont permis de retrouver plus tard et ailleurs dans nos pérégrinations et qui furent souvent les pièces maîtresses d’actions nouvelles.
Encore tel geste de générosité sans éclat ni importance apparente d’une boulangère catholique pratiquante, offrant gratuitement pour la fête de Noël des enfants du Foyer les cent gâteaux attendus ! Et cette autre fête de Noël 1952, qui rassembla quatre-vingt enfants et trente parents qui offrirent pour les frais plus de dix-huit mille francs d’alors, dont quatre-vingt pour cent en provenance de familles modestes.
Enfin, pourquoi ne pas le dire ! le nombre de familles avait quadruplé depuis notre installation. Nous avions alors trouvé une trentaine de protestants avec leurs enfants, en 1953 cent vingt adultes et enfants gravitaient régulièrement autour du Foyer évangélique, à savoir cinquante-quatre adultes dont vingt-huit protestants et vingt-six sympathisants, ainsi que soixante cinq jeunes, dont trente-deux protestants et trente-trois assidus aux activités du Club. Précision digne d’attention : de ces trente-deux jeunes « protestants », douze avaient à cette époque moins de dix ans, et des vingt autres qui suivaient une instruction religieuse, douze venaient du Club et les autres étaient de tradition protestante.
Au cours de cette tournée de visites dans les
Cévennes et en
Languedoc, je ne pouvais apporter aucune conclusion : ces ombres et ces lumières témoignaient, sous les promesses entrevues, d’une grande fragilité de tout l’édifice en construction. L’action entreprise à
Clermont-l’Hérault était affaire de ténacité entretenue et de moyens assidus.
Allait-on nous les accorder longtemps encore ?
1992
tc411100 : 15/07/2019