ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Pierre Curie
Le roman inachevé d’un utopiste
La crise
(juin 1967 – juin 1968)
Sommaire
Prologue
Introduction
Clermont-l’Hérault
Saint-Quentin
Bruay-en-Artois
Tourcoing
La crise
-
Introduction
-
Changer...
-
Les Centres
régionaux
-
Le Centre
du Nord
-
Faire
front
-
Aux limites
-
Double
jeu
-
Visite d’Albert Gaillard
-
Interventions
en soutien
-
La réunion
de Palaiseau
-
Le synode
de Royan
-
La dernière
proposition
-
Contrepoint
Épilogue
. . . . . . . . - o
0
o - . . . . . . . .
Une visite de la dernière chance
Le deux décembre 1967, le pasteur
Albert Gaillard vint à
Tourcoing, se rendant à l’invitation qui lui avait été adressée le vingt-deux septembre précédent par le « Conseil fraternel » nouvellement créé.
La rencontre, très amicale et détendue, eut lieu au presbytère de la rue Ronsard. Après un « historique » des événements et une « revue » de l’activité des groupes de
Tourcoing,
le Secrétaire général de l’Église réformée de
France fut interrogé sur l’avenir de cette expérience, question que semblaient fuir jusqu’à ce jour les autorités régionales et nationales. Il convenait, en effet, de sortir désormais rapidement des ambiguïtés entretenues et de clarifier une bonne fois les rapports de cette expérience avec l’Église réformée de
France, sa confession de foi et son institution.
Le
pasteur Gaillard se montra particulièrement attentif et compréhensif envers une situation devenue intenable pour tous.
Il promit de proposer qu’un représentant officiel de l’Église réformée de
France réalise dans les semaines à venir une enquête sur une expérience implantée dans l’esprit et les orientations de l’assemblée générale du protestantisme français de
Colmar en 1966.
Il nous assura aussi que ce délégué recevrait avant sa venue toute l’information utile à la compréhension des choses.
Le lendemain, trois décembre, se tenait le dialogue du dimanche consacré au «
travail et à la création
»
(1)
.
Le pasteur Gaillard y fut convié et n’y joua pas le rôle d’un inspecteur ; sa participation active au débat marqua, au contraire, son intérêt pour ce qui apparaissait alors à beaucoup comme la ruine de la foi et la désintégration de l’Église.
Il apporta un témoignage positif en plusieurs occasions.
En premier lieu, quand l’échange porta sur le travail et l’homme dans les pays socialistes : «
J’ai visité des usines en
Hongrie, en
Tchécoslovaquie et en
URSS. Je dois dire que, selon les apparences, les conditions de travail se sont améliorées pour tout ce qui concourt à la santé, au bien-être, mais que le travail lui-même a assez exactement la même physionomie que dans les pays dits capitalistes, et que les travailleurs semblent y participer aussi peu que dans nos pays. Bien qu’il y ait pour un certain nombre une mystique de la participation au développement socialiste en général, ce n’est nullement ce qui resitue le travail lui-même comme dimension créatrice pour celui qui l’accomplit. Il y a cependant un élément positif dans le sens de notre recherche d’aujourd’hui : ce qu’on appelle la « promotion » ; à la limite, quelqu’un qui aurait été un éternel manœuvre peut, grâce au développement technique, scientifique et culturel, devenir un jour un responsable de la production. À ce point de vue, il y a une incontestable réussite des pays socialistes par rapport à nos pays. Il n’y a qu’à voir comment, par exemple, est composé le public d’un théâtre
».
Ensuite, à propos du travail et de la culture,
le pasteur Gaillard, évoquant un récent colloque où
Pierre Massé, alors directeur du Plan, avait été interrogé sur ce thème et estimant souhaitable de lier la formation universitaire à l’emploi, nous confia sa propre pensée : «
J’aurais choisi moi-même d’exorciser cette équivalence « emploi-diplôme » qui fait partie du système d’économie de profit, où la culture n’est là que pour permettre d’accéder à un échelon supérieur, par conséquent à un profit supérieur, alors qu’un docteur es sciences qui mettrait des boulons ne serait peut-être pas inintéressant comme expérience. À la limite, il aurait peut-être des idées sur la manière de modifier le système qui le ferait participer, au niveau très inférieur où se situerait son travail manuel, à une accession à quelque chose de plus intellectuel, utile et humain
».
Le pasteur Gaillard reparti, nous avons attendu, quelque peu soulagés mais sans griserie excessive (ce que les semaines suivantes devaient justifier) la venue du « médiateur » promis.
Hélas, quand le
pasteur Paul Conord, ancien Secrétaire général de l’Église réformée de
France, s’annonça en mars 1968 comme le délégué désigné par les autorités nationales pour enquêter sur le Centre régional du
Nord et sur
son directeur
(2)
,
il n’avait pas été prévu
qu’il consacrerait une visite à
Tourcoing. Alors, allant moi-même
l’accueillir à son arrivée dans le
Nord, j’ai dû
le contraindre à venir prendre un repas au presbytère.
Il me déclara alors que, n’ayant reçu aucune information sur ce qui se passait à
Tourcoing, sa mission dans le
Nord ne concernait pas cette expérience. En quelques heures, presque à la sauvette, entre la poire et le fromage, je tentais désespérément de lui fournir l’information tant de fois rabâchée, mais je me suis trouvé en face d’un interlocuteur absent et fermé aux questions que j’évoquais devant lui. Cela me troubla profondément et insinua en moi le doute sur son ignorance déclarée, alors qu’il était désormais notoire que l’impasse tourquennoise était inséparable de la crise qui, au même moment, avait justifié la mission du
pasteur Conord auprès du Centre régional du
Nord !
De rapport du
pasteur Conord au Conseil national de l’Église réformée de
France sur l’expérience de
Tourcoing, il n’y en eut, bien évidemment, aucun ! La visite du
pasteur Gaillard fut suivie d’un épais silence définitif ! Nous avons compris alors que les autorités régionales du
Nord comme celles nationales de l’Église réformée de
France, à l’exception du
Secrétaire général, attendraient la date ultime de juin 1968, celle de mon départ annoncé, pour élucider « par défaut » la situation de
Tourcoing.
______________
(1)
Voir
le bref compte-rendu.
(2) Voir une
brêve biographie
d’Ennio Floris
par
Jacques Lochard (1986),
l’autobiographie
d’Ennio Floris (2012), et son
autobiografia
(2005).
1992
tc440700 : 02/08/2019