ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie


Le roman inachevé d’un utopiste





La crise
(juin 1967 – juin 1968)


Sommaire

Prologue

Introduction

Clermont-l’Hérault

Saint-Quentin

Bruay-en-Artois

Tourcoing

La crise
- Introduction
- Changer...
- Les Centres régionaux
- Le Centre du Nord
- Faire front
- Aux limites
- Double jeu
- Visite d’Albert Gaillard
- Interventions en soutien
- La réunion de Palaiseau
- Le synode de Royan
- La dernière proposition
- Contrepoint

Épilogue




. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

Contrepoint (1)


   L’ironie de l’histoire a voulu qu’à deux années à peine, un « hérétique » fut à son tout inquiété par une autre « Église » célèbre, qu’un pasteur renommé de l’Église réformée de France se découvrit soudain son « frère en hérésie » et confiât ses interrogations à un non moins célèbre quotidien français ! « L’autre Église » était le parti communiste français, le malheureux « hérétique » le philosophe Roger Garaudy, et le « frère en hérésie » le professeur André Dumas !

   Il me fut en effet donné un jour de découvrir dans le quotidien Le Monde daté du 11 février 1970, une « libre opinion », sous le titre « Si j’étais com­muniste… » de ce « professeur à la faculté de théologie de Paris et orateur invité aux semaines de la pensée marxiste ». Quel fut mon ravissement de découvrir ces judicieuses constatations : « Je serais bien certain que sa condamnation, démocratique­ment préfabriquée, prête à cet orthodoxe des hérésies qu’il ne professe pas, afin de le mieux exclure, découvre dans cet animal emporté une rage imaginaire afin de le mieux noyer ». Puis, se faisant l’avocat de l’inculpé et le procureur de la société agressée, interrogeait innocemment : « N’a-t-il pas dit tout haut ce que l’on pratique déjà sans oser le dire, et n’a-t-il pas également obligé à penser ce que le confort intellectuel de l’orthodoxie rassemblée évite de confronter ? » Et « l’orateur invité aux semaines de la pensée marxiste » en induisait le plus raisonnablement du monde que « même condamnés, ceux qui s’y risquent sont toujours écoutés si l’on sent que leur lutte n’est pas la marque hypocrite d’une renonciation intérieure… puisqu’une con­damna­tion n’a jamais eu pour effet d’enterrer une question véritable ».
   Mais que lisais-je donc ? N’étais-je pas ébloui par un fantasme ? Notre cher théologien poursuivait sa pertinente démonstration : « Le problème des pluralismes théologiques légitimes à l’intérieur d’une même communauté de foi… devient singulièrement formel et menacé si le défenseur de la plus grande puissance s’arroge le droit d’inter­rompre toute expérience qui ne corresponde pas à sa propre situation. Garaudy n’entend pas faire de sa conviction un dogme clérical qui exclurait de la lutte révolutionnaire ceux qui ne la partagent pas. D’avantage, il souhaite une émulation libre au sein d’un dialogue effectif qui préserve le parti communiste de la stagnation menaçante dans tout ghetto idéologique. Peut-être le plus grand tort de Roger Garaudy est-il d’avoir porté devant des témoins externes des débats difficultueux qu’il eût mieux valu « centralistement » étouffer au sein des organes internes… De ce « mal », je l’espère, nous serons tous finalement bénéficiaires ! »

   À l’issue de ma lecture, je me suis mis à rêver, et j’allais écrire au professeur André Dumas pour le remercier d’avoir pris devant le grand public, dans un prestigieux organe de presse français, la défense et l’illustration de l’expérience de Tourcoing ! Mais qui se souvient de la parabole de la paille et de la poutre ?
   Alors je me suis ravisé après avoir quitté mon rêve, et j’ai préféré adresser, à mon tour, au quotidien Le Monde une correspondance, qui fut publiée le dix-neuf février sous le titre « Si j’étais protestant… », retournant ainsi au professeur Dumas ses propres questions : « L’Église réformée, au cours de ces dernières années, n’a-t-elle pas connu ce « confort intellectuel de l’orthodoxie rassem­blée » qui craint la « confrontation » ? Ne s’est-il pas trouvé un certain nombre de chrétiens protestants trop gênants pour avoir osé exprimer tout haut ce que beaucoup ressentaient profon­dément et n’osaient ou ne pouvaient pas dire ? N’y a-t-il pas eu de ces chrétiens qui ont eu le tort d’avoir raison trop tôt sur la situation de leur Église, et de l’Église dans le monde contemporain ? L’Église réformée, malgré les pluralismes légitimes à l’intérieur d’une même communauté de foi, n’a-t-elle pas interrompu, elle aussi, des expériences qui ne correspondaient pas à sa « propre situation » (pour mémoire, les expériences de Corbeil, de Tourcoing, la première forme du Centre de recherche de Lille et le renvoi de son directeur (2)…) L’attitude exemplaire de Roger Garaudy n’est-elle pas maintenant récupérée à trop bon compte par le protestantisme français ?
   N’y a-t-il pas eu dans l’Église réformée des chrétiens (pasteurs et laïcs) qui, comme Garaudy dans le parti communiste, ont voulu une « émulation libre au sein d’un dialogue effectif qui préserve… l’Église réformée de la stagnation menaçante dans tout ghetto idéologique » ? N’y a-t-il pas eu des chrétiens protestants dont le plus grand tort a été « d’avoir porté devant des témoins externes des débats difficultueux qu’il eut mieux valu « centra­listiquement » étouffer au sein d’organes internes ? Alors, peut-être aussi, de ce « mal » dénoncé par le professeur Dumas serons-nous « tous finalement bénéficiaires » ! »

   Mais le professeur Dumas n’a pas dû, ce jour du dix-neuf février 1970, trouver dans sa boîte-à-lettres cet exemplaire du Monde ! Je n’en ai jamais reçu le moiondre écho de sa part, ni de quiconque !

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(1) « Art de composer de la musique en superposant des dessins mélodiques. Au figuré : motif secondaire qui se superpose à quelque chose en ayant une réalité propre » (Le Petit Robert).      Retour au texte

(2) Voir une brêve biographie d’Ennio Floris par Jacques Lochard (1986), l’autobiographie d’Ennio Floris (2012), et son autobiografia (2005).      Retour au texte



1992




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