ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie


Le roman inachevé d’un utopiste





La crise
(juin 1967 – juin 1968)


Sommaire

Prologue

Introduction

Clermont-l’Hérault

Saint-Quentin

Bruay-en-Artois

Tourcoing

La crise
- Introduction
- Changer...
- Les Centres régionaux
- Le Centre du Nord
- Faire front
- Aux limites
- Double jeu
- Visite d’Albert Gaillard
- Interventions en soutien
- La réunion de Palaiseau
- Le synode de Royan
- La dernière proposition
- Contrepoint

Épilogue




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La dernière proposition


   Le vingt-et-un septembre 1968, le pasteur Gaillard m’informait de la proposition (qui serait la dernière) du Conseil national de Église réformée. Si j’en étais d’accord, une bourse me serait allouée pendant deux ans pour me « permettre de poursuivre des études de sociologie » qui pourraient, était-il astucieusement précisé, « être effectuées à Aix-en-Provence » ! Sous le ciel bleu de Provence, bien entendu, et non dans la grisaille de la métropole du Nord, où je venais pourtant de valider en juin 1967 une première année de licence de sociologie ! C’est bien connu : il faut toujours écarter le criminel des lieux de son crime !

   Cette fois, j’ai accepté la proposition qui était, pour les autorités de l’Église réformée de France, une sortie honorable et généreuse ! Mais surtout parce que j’y ai saisi ce qui m’a semblé une redoutable occasion, et peut-être un juste retour des choses, même si elle m’engageait dans un nouvel inconnu pour ma famille et pour moi-même qui, à quarante-six ans, m’assiérait bientôt une nouvelle fois sur les bancs de la faculté : l’occasion (le kaïros des Grecs anciens) de chercher et tenter de trouver les ressorts de mon exclusion !
   Le dix novembre 1968, quelques jours avant le départ pour Marseille, j’ai confié aux amis tourquennois réunis une dernière fois quelques-unes des raisons qui m’avaient persuadé d’engager cet autre pari : « Faire de la sociologie, pourquoi ? Je vais essayer de mieux comprendre les motivations et les structures de ce « fait » bien réel de l’existence religieuse des Églises chrétiennes ; je ne le ferai pas pour les mieux adapter au monde contemporain et perpétuer sous d’autres formes et de nouveaux langages la même aliénation des hommes, mais si possible pour parvenir par une approche critique à mettre en lumière précisément cette aliénation religieuse et ses raisons. Une sociologie critique n’est ni négative, ni destructrice, mais elle refuse tout préalable et tout interdit ; elle s’affirme indépendante de toute confession de foi, qui est essentiellement l’expression de situations, de conditions, liées à un temps et des circonstances donnés ».

   Puisque cette « reconversion » m’était imposée, je devais m’interroger : en quoi pourrait-elle servir à comprendre cette prétention des Églises qui affirment que l’Évangile se réduit à leur discours ? Le sociologue s’interdit de porter des jugements de valeur : il ne prend pas partie sur la « transcendance de la foi », il se refuse à considérer la « foi » de l’Église et des chrétiens comme le sujet de son analyse. Il ne peut que constater qu’en effet la « foi » est constitutive du « discours chrétien » et du « comportement » de l’Église et des chrétiens.
   Il cherche donc à analyser ce rapport complexe du discours chrétien avec sa dimension de « foi », et du groupe socioreligieux support de ce discours complexe. C’est pourquoi ce discours (mais cela est vrai de tout discours) n’est jamais neutre ou autonome : il n’est jamais isolé de la réalité des Églises comme institutions et organisations culturelles, et de leur insertion dans des contextes socio-économiques et socio-politiques du moment où ce discours chrétien est émis. Il est localisé, daté et supporté par une infrastructure sociale.
   Or le discours chrétien se prétend universel et au-dessus de tous les autres, particuliers, relatifs, voire partisans. La tâche du sociologue consiste à analyser cette prétention. Il pose comme hypothèse que le discours des Églises, qui s’affirme « transcendant », est en réalité un phénomène superstructurel qui voile une médiation idéologique : entre la transcendance et la verticalité affirmées de ce discours et la praxis des Églises s’insère la médiation d’un ensemble plus ou moins structuré de valeurs et de normes qui appartiennent en propre à l’infrastructure sociale du ou des groupes religieux concernés. Cette « fonction idéologique » possède une puissance d’intégration et de cohésion du groupe socioreligieux.
   En un mot, cette prétention à la transcendance verticale et à l’universalité du discours de l’Église a pour but d’étendre à l’ensemble des groupes sociaux et humains, dans le temps et dans l’espace, un système de valeurs et de normes culturel et socio-culturel particulier. Ce transfert du « particulier » à « l’universel » est un des aspects majeurs de l’idéologie. Il constitue précisément la médiation idéologique latente, sous-jacente, du discours de l’Église et de sa « confession de foi ».
   Cette réflexion, nourrie par dix-huit années de ministère pastoral entre 1950 et 1968 dans ces champs d’exploration confiés par l’Église réformée de France, devait aboutir à un mémoire exigé par la faculté de lettres d’Aix-en-Provence pour valider une maîtrise de sociologie, sous le titre La fonction idéologique de la confession de foi des protestants réformés français entre 1950 et 1968 (1).

   Dix ans plus tard, l’opportunité d’un article de revue qui m’avait été demandé sur la marginali­sation et l’exclusion dans le protestantisme me fit m’interroger : « suis-je désormais un « marginal » ou un « exclu » de l’Église réformée de France ? » Je me répondis : « en un sens, j’ai été un « exclu », mis en demeure par les autorités de l’Église d’abandonner un ministère pastoral non conforme aux normes traditionnelles d’alors, et sous la double pression d’une considération « stratégique » (un tel ministère ne trouvait pas sa place à l’intérieur de l’espace institutionnel de l’Église) et d’un argument « économique » (l’Église ne pouvait pas financer un tel ministère).
   Alors, suis-je devenu aujourd’hui un marginal dans l’Église ? Dans la mesure où ma fonction ne met plus directement en cause l’institution ecclésiale (et en considérant la tolérance tacite qui m’est accordée de conserver le titre de pasteur), mon « discours » (particulièrement le discours socio­logique) sur l’Église et le protestantisme français est toléré (sinon accepté) comme une interrogation posée à l’Église. Il sera sans doute contesté, il ne sera pas exclu »… Aujourd’hui, je pense que je mettrais en doute cette candide affirmation !

   Cependant, je ne suis plus entièrement à l’intérieur, ni totalement à l’extérieur. Je demeure, par plus de cinquante années d’osmose, dans l’espace culturel protestant, mais je ne suis plus dans le système !

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(1) Texte intégral de ce mémoire.      Retour au texte



1992




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