Sommaire
Parole de Dieu et recherche historique
Méthode d’approche référentielle
Discours religieux et analyse référentielle
- Introduction
- Croire
- Dieu
- Manifestations de Dieu
- Les évangiles
Croire et penser
Esquisse d’un portrait de Jésus
Les évangiles, tombeau de Jésus
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Les évangiles sont presque les seuls textes susceptibles de donner des informations sur Jésus. Cependant, bien qu’ils traitent de lui, leur visée n’est pas historique mais théologique. En effet, de l’aveu explicite de l’auteur du quatrième évangile, ils parlent de lui afin que le lecteur croie qu’il est le Christ (Jn 20:31). Les sources sur lesquelles se fonde leur récit ne sont pas à proprement parler des témoignages d’histoire mais des témoignages de foi. La question se pose de savoir s’ils peuvent être pris comme documents pour une histoire de Jésus.
La tradition de l’orthodoxie chrétienne répond par l’affirmative en s’appuyant sur plusieurs raisons. Tout d’abord, les évangélistes eux-mêmes ont la conviction qu’ils se rapportent à des faits et à des paroles qu’ils ont effectivement vus et entendus. Luc, par exemple, déclare se fonder sur des témoignages oculaires ( Lc 1:2). Si ces témoins ont cru que Jésus était le Christ, il suppose qu’ils ont vu de leurs propres yeux les prodiges qui les ont obligés à le reconnaître comme tel : s’ils n’avaient pas vu les miracles, comment auraient-ils pu le croire et pousser les autres à le croire ? Les évangiles ne racontent rien d’autre que les paroles, les prodiges et les événements par lesquels Jésus lui-même s’est manifesté comme Christ.
C’est à la suite de cette conviction qu’au sein de l’orthodoxie on n’a pas cessé d’écrire des histoires sur Jésus en toute bonne conscience de croyant et d’historien. Tout en étant un livre de foi, les évangiles seraient aussi un document d’histoire puisque leur vérité suppose la véracité des faits : les témoins de foi doivent se rapporter à des faits historiques avec plus de fidélité que les témoins d’histoire, dans la mesure où leur foi exige cette fidélité, sans laquelle leur foi serait vaine. Bref, sans la certitude historique du fait qui légitime la crédibilité, ils n’auraient pu parvenir à la certitude de la foi.
Contre cette conviction milite le fait que l’historien, lorsqu’il s’apprête à s’appuyer sur ces textes comme documents, doit mener une exégèse qui, tout en répondant à la question de l’historicité de la foi en Jésus-Christ, est impuissante à établir celle de Jésus.
En effet, les faits supposés par l’un comme circonstances d’une parole de Jésus sont pris par l’autre comme supports d’une autre parole. Les circonstances sont donc interchangeables et apparaissent plutôt comme trame rhétorique que comme événement réel. Certains faits, comme la naissance de Jésus d’une mère vierge ou à Bethléem, ne sont justifiés que par les Écritures. D’autres sont si miraculeux qu’ils trouvent leur compréhension dans le statut du mythe et de la légende. Les déterminations de temps et d’espace n’ont d’autre motivation que de permettre au Christ – personnage mythique de la foi – d’agir comme un homme de l’histoire. Quant aux paroles prononcées par Jésus, elles sont altérées par une interprétation christologique qui se rapporte à une interprétation théologique postérieure de l’Église.
Bref, l’exégèse n’aboutit à une conclusion historique que par la conviction de foi, mais si l’exégèse ne peut se persuader de l’historicité de Jésus que par une conviction de foi, comment peut-elle agir en l’historien ? L’histoire n’est-elle pas une approche rationnelle des faits ?
La tradition de l’orthodoxie chrétienne se heurte aussi à la donnée des évangiles selon laquelle les juifs ont condamné à mort Jésus, dont ils étaient pourtant, eux aussi, des témoins oculaires. Ils auraient alors vu les prodiges de Jésus, mais non seulement ils n’auraient pas cru qu’il était le Christ, mais ils auraient été persuadés qu’il était un menteur, un magicien, un blasphémateur, un agitateur voulant s’emparer du pouvoir. Comment ont-ils pu donner une interprétation aussi opposée à des prodiges qui, chez d’autres, étaient preuve de sa personnalité divine ? Si l’on répond qu’ils étaient « aveugles », ou « sourds », ou « méchants », sur quoi se fonde-t-on pour l’affirmer ? Sur un miracle : Dieu aurait rendu tous ces hommes – grands-prêtres, pharisiens, juges, etc. – tellement « aveugles » qu’ils n’ont pas cru même devant l’évidence des faits de crédibilité. Ainsi, de même qu’on affirme que Jésus est Christ par la foi, par la même foi on proclame qu’il a été condamné par un miracle divin d’aveuglement aussi grand que le premier.
Ainsi l’exégète qui a voulu juger la foi demeure sous son emprise, comme un théologien qui marque le pas devant le seuil de l’histoire. La recherche historique exige de celui qui l’entreprend la mise entre parenthèses de toute foi dans l’étude des textes qui s’offrent à lui comme documents d’information.
Puisque les textes au sujet de Jésus sont des témoignages de foi, il est nécessaire avant tout de chercher à connaître dans quelle mesure un témoignage de foi peut-il être pris comme un document d’histoire : on ne pourra critiquer le texte comme document de l’histoire qu’on est en train d’explorer sans avoir résolu cette question de fond. C’est la question que Strauss avait posée dans sa Vie de Jésus. C’est la solution de cette question qui nous permettra de savoir quelle est en général la structure propre à un discours fondé sur le témoignage de foi, et quel sera le mode d’approche de ce texte pour saisir les faits qui supportent le témoignage de foi.
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