ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


La crise galiléenne




La mise entre parenthèses du contexte et l’analyse du miracle :

Les miracles du Christ



Sommaire
Avertissement au lecteur

Mise entre parenthèses du contexte
- Introduction
- Le symposium du récit
- Les miracles du Christ
  - Miracles et religion
  - Religion et origine des
     peuples
  - Le christianisme comme
     religion
  - Figuration de la personne
     du Christ

  - Fraction du pain et miracles
- Miracle de la croissance
- Miracle de la constitution
- Miracle du rassasiement
- Miracle de prédication
- Du miracle du Christ au
   miracle de Jésus
- Jésus accomplit un miracle
   du Christ

Mise entre parenthèses du miracle



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La figuration de la personne du Christ


   C’est sur ce perçu d’existence que les mêmes hommes ont fondé la figuration de la personne du Christ, façonnée avec des matériaux tirés des cultures en crise en même temps que de la projection de conscience. C’est ici qu’ils se montrent poètes, par la représentation du monde et d’une image archétype d’homme.
   Cette figuration est sans doute un personnage de caractère mythique. Mais il ne faut pas se méprendre quant à l’interprétation du mythe car, de même qu’il serait illusoire de chercher à le comprendre par une réification des images, il serait faux de le considérer comme vide et dépourvu d’être. Je rappellerai l’affirmation de Vico selon laquelle le mythe est historique en même temps que métaphysique : autrement dit, il n’est pas un jeu d’image, mais il se rapporte à une intuition d’être. Mais ce qu’il présuppose n’est pas, à proprement parler, de l’ordre mondain, mais de celui de l’existence. Quoique personnage dans sa figuration, le Christ est réel au niveau de sa référence ; celle-ci, cependant, n’est pas une chose ni une personne, mais un déclenchement d’être dans le non-être, événement d’existence dans l’histoire, en-deçà aussi bien des situations que de toute représentation.

   Il est opportun, à ce point, de regarder de plus près l’image du personnage christique relativement aux trois cultures dont elle est une synthèse dialectique. Je rappellerai que ces trois cultures aboutissaient chacune à une perspective émergent des contradictions latentes dans leur propre système. Le judaïsme parvenait à l’eschatologie, en conséquence du conflit entre messianisme prophétique et politique, l’hellénisme à la religion de mystères, à la suite de l’opposition entre humain aliéné et existence concrète, le romanisme enfin dans la mystique du pouvoir, dans la tentative de dépasser le décalage entre pouvoir politique et éthique sociale. Ces trois perspectives étaient aussi représentées par trois personnages : le fils de l’homme, le dieu mystère, le Seigneur.
   Or le Christ assimile dans une unité de personnage ces trois figurations, dans la mesure où il est à la fois le fils de l’homme céleste qui doit venir, mystère de purification et de salut, Seigneur divin qui unit toutes les nations en une coinonie humaine.

Schéma eucharistique

   Étant mythique, la personnalité du Christ ne s’épuise pas dans sa propre individualité, mais elle est représentative de l’homme total et intégral. Dès lors les visages qu’il assume des trois cultures – le dieu mystère, le Seigneur et le fils de l’homme – expriment à la fois le rôle qu’il joue pour tous les hommes et les dimensions temporelles et cosmiques qui totalisent leur existence.
   Il est dieu mourant, dieu mystère dans la mesure où il a posé l’acte fondateur de la nouvelle humanité, recouvrant ainsi la dimension du passé. Passé, bien entendu, dans sa valeur compréhensible et totalisante pour tous les hommes, aussi bien morts que vivants du présent et du futur, dans la mesure où cet événement devient pour eux la source de leur existence. C’est pourquoi il est valable pour tous les hommes, tout en coïncidant avec la mort historique de Jésus. Il ne s’agit pas du passé par opposition au présent actuel, mais à tous les présents, qui totalisent tous les temps. En tant que Kurios, le Christ supervise au contraire le présent, conçu comme la somme des instants de la totalité du temps : il est Seigneur de l’histoire. En tant que fils de l’homme, il se situe dans le futur, par-delà l’histoire.

   Pour ce qui est de notre recherche, il convient de nous arrêter à l’action que le Christ exerce en tant que Kurios, puisque c’est sous cette personnalité qu’il opère des miracles. À ce niveau il est assimilé au héros : il est le héros de la nouvelle civilisation, de même qu’Héraclès le fut de la civilisation méditerranéenne, Moïse du judaïsme, Romulus de Rome. Il est à la fois le père qui engendre cette civilisation et l’image exemplaire qui la détermine et la couvre de son sens. Mais dire que le héros agit et opère des prodiges dans la naissance d’un peuple revient à affirmer que ce peuple représente sa propre genèse comme un miracle de Dieu. Le héros est en effet la personnification de la conscience populaire qui se saisit dans l’étonnement de son surgissement au monde. Les miracles du héros ne représentent rien d’autre que la valeur que les faits de sa genèse prennent face à la perspective de l’histoire. Les miracles du Christ traduisent moins la matérialité des faits que leur signification.

   Dans la littérature néotestamentaire, le livre qui, plus que les autres, parle des miracles du Christ (je parle du Christ et non de Jésus) est sans doute celui des Actes, dont l’argument est l’origine de l’Église. Ce que je viens de dire sur le mythe ôtera toute équivoque dans leur interprétation, puisque cela nous évitera de tomber dans la tentation de les interpréter comme une histoire ou comme un roman. Par le schéma mental qui les détermine, les Actes constituent au contraire une épopée. Ils sont au christianisme ce que la Genèse et le Deutéronome sont au judaïsme est qu’Homère est pour l’hellénisme. C’est un récit héroïque, qui tire de la mémoire collective des souvenirs déjà sublimés par l’imagination et qu’il coordonne comme exploits du Christ. Bien sûr, il se rapporte à des hommes, tels Pierre et Paul, mais ceux-ci sont représentés eux aussi comme des héros, agissant précisément au nom et dans l’esprit du Christ-Héros qui les couvre de sa personnalité. Leurs actions apparaissent comme actions du Christ, manifestations de sa puissance dans la démarche de son peuple, qui doit traduire dans l’histoire le projet d’existence exprimé par son image archétype.

   Trois mots apparaissent souvent dans les Actes pour exprimer ces exploits : dunameis, semeais, terata. Ils ne désignent pas des classes spécifiques d’actions, mais plutôt différents aspects de leur carctère miraculeux. Le mot « dumanis » met en évidence la puissance de ces actes par une efficacité qui est la marque du pouvoir de Dieu. Le « semeion » met en relief leur signification qui, par-delà leur effet, manifeste la seigneurie du Christ. Enfin le « terata » désigne leur caractère prodigieux, qui suscite l’étonnement et oblige à reconnaître la présence de Dieu.

   Quant à la matière, ces miracles ces signes et ces prodiges sont des guérisons et des conversions : c’est le prestige d’une autorité de plus en plus grandissante auprès des peuples, c’est la force extraordinaire d’endurance à la fatigue et de résistance à l’encontre des embûches et de la persécution, c’est une prédication dont la nouveauté du message est suivie par une efficacité surprenante de persuasion et de bouleversement. L’ensemble de ces actes et de ces paroles est rapporté par des récits qui, tout en étant de la prose au niveau de la syntaxe, constituent une poésie par la sublimation des faits et son allure épique.

   En suivant l’itinéraire de ces héros en marche, on peut aussi découvrir la ligne de croissance de la nouvelle oicumene, destinée à recouvrir toute l’étendue de l’empire. Dans cette marche d’hommes et dans ce mouvement de masse, le Christ est présent quoiqu’invisible, à la façon d’un prince-roi qui agit par son nom auprès des généraux et ministres qu’il a envoyés pour soumettre le règne à son pouvoir. Il est le Seigneur, non plus du noyau des disciples mais de tous les peuples de la terre : il est le véritable empereur, auquel César lui-même se trouve soumis.



1984




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ti12400 : 22/04/2017