ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


La crise galiléenne




La mise entre parenthèses du miracle et l’analyse du contexte :

Détermination du contexte



Sommaire
Avertissement au lecteur

Mise entre parenthèses du contexte

Mise entre parenthèses du miracle
- Détermination du
   contexte

   . Une action en
      trois actes
   . Influence des
      références

- Le manque de pain
- Demande du signe
- Marche sur les eaux
- Doute des disciples
- Les lieux
- Syllepsis des
   informations

. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

L’influence des références sur les énoncés


   En ce qui concerne le renvoi de la foule, ce propos se rattache sans aucun doute au premier contexte, où l’on parle des gens venus nombreux des villages environnants pour écouter Jésus. Ce renvoi est aussi conforme au comportement de Jésus après une prédication. Il constitue donc une donnée contextuelle.

   Des doutes apparaissent cependant quant aux motivations de ce renvoi : le lieu désert, l’heure avancée et le souci de donner aux gens la possibilité d’acheter quelque chose à manger en route. Considérées en elles-mêmes, ces motivations semblent tout à fait naturelles et en correspondance avec les circonstances. Toutefois elles représentent aussi des lieux-thématiques communs, exerçant aussi dans le récit une fonction au niveau du sens :
– Le mot « désert » semble moins employé pour désigner une situation de fait que pour mettre la situation du prodige opéré par Jésus en relation avec le contexte de la manne donnée par Moïse dans le désert. Le mot viserait aussi à disposer le lecteur au miracle, en lui rappelant l’interrogation du psaume : « Dieu pourrait-il dresser une table dans le désert ? » (Ps 78:19).
– L’heure avancée aussi est un des signifiés du lexique thématique. On ne permettait pas à l’hôte de s’en aller au coucher du soleil, mais on l’invitait à manger et à loger sur place. Il est alors loisible de penser que l’allusion à l’heure avancée ait pour but de mettre en relief que Jésus n’a pas permis à la foule de s’en aller sans lui avoir donné à manger : il observe au-delà du possible la loi de l’hospitalité.
– Le souci de donner aux gens la possibilité d’acheter quelque chose à manger en route est une motivation riche de sens. Les disciples, ignorant la portée messianique du rassemblement, obligeraient la foule à manger du pain en l’achetant, or Jésus lui donne du pain et la rassasie sans qu’elle en achète. Ce sens est d’autant plus pertinent qu’il fait partie d’un texte messianique du deuxième Isaïe, texte auquel le récit évangélique est aussi lié à l’arrière-plan du sens. Le texte biblique se rapporte en effet à l’ère du « jubilée », où le peuple achètera du pain sans argent, puisque Dieu veut que les dettes soient remises et que les biens acquis reviennent aux pauvres. Or tout nous mène à penser que l’Église avait vu l’accomplissement de ce jubilée dans la solution qu’elle avait apportée au problème économique par le partage du surplus, qui est le véritable référent du récit. On pouvait bien dire que les pauvres achetaient leur pain « sans argent », puisqu’ils utilisaient un argent obtenu par le partage des trésors.

   Toutes ces remarques sont exactes, mais il ne faudrait pas en exagérer la portée, car l’influence de ces thèmes étant thématique et non structurale, elle ne vise pas à substituer les faits mais seulement à les insérer dans un champ sémantique. Ces motivations ne sont donc pas posées par le modèle, et elles se laissent comprendre comme conditions réelles du fait.

   Il n’en est pas de même de la proposition du verset 37, où l’accord avec le modèle est totale, tant pour le sens que pour le fait lui-même. L’acte qu’elle relate fait donc partie de l’action miraculeuse.

   Le verset 38 se révèle au contraire très complexe. En effet, pour ce qui est de sa fonction, il est sans doute déterminé par la structure du modèle, selon laquelle les disciples doivent opposer à l’homme de Dieu l’impossibilité de traduire en actes son ordre. Il manque cependant une correspondance au niveau du fait car, tandis que dans le modèle le serviteur du prophète appuie sa réticence sur l’impossibilité de rassasier la foule avec la quantité de pain disponible, ici les disciples mettent en avant l’énormité de la somme que demanderait l’achat de pain pour rassasier la foule.
   Il est possible de penser que la mention de l’argent n’est pas étrangère au texte d’Isaïe 55:1. Le thème de l’achat du pain par de l’argent viendrait ici à être confirmé et renforcé, dans le but de mettre en évidence que Jésus, par le prodige, donne à manger du pain sans argent. Mais l’influence du texte messianique, ne concernant que le sens, n’est pas suffisante pour expliquer l’introduction du thème de l’argent dans le récit, et on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une production littéraire demandée par l’intrigue du récit, puisqu’au contraire il en gène la cohérence.
   L’expression est équivoque. Elle peut être interprétée au sens que les disciples se demandent s’ils doivent vraiment aller dans les villages environnants pour acheter deux cents deniers de pain, mais cette interprétation se heurte au rôle que la réponse doit jouer selon le schéma fondamental du récit, car au lieu de présenter le propos de Jésus comme impossible elle montre qu’il peut bien se réaliser par un simple achat. Mais dans ce sens aussi, le miracle de Jésus ne serait plus la solution d’une situation tout à fait impossible, et le prodige en serait minoré.
   Il faut noter aussi que le peu de convenance de ce passage a été fortement ressenti par Matthieu et Luc, puisqu’ils l’omettent. Quant au quatrième évangile il le reprend, mais pour souligner justement l’impossibilité de nourrir tous ces gens avec deux cents deniers. Ceci met en évidence l’incongruence du texte de Marc car, si vraiment on pouvait nourrir la foule avec deux cents deniers de pain, elle ne pouvait pas s’élever à cinq mille personnes.
   La présence dans ce récit de ces deux cents deniers devient compréhensible si l’on admet que Marc a dû en tenir compte parce qu’il s’agissait d’un matériel d’information. C’était donc un élément étranger, qui ne pouvait être adapté à la structure du modèle sans obliger l’écrivain à des complications et à des détours.

   J’avais noté dans un chapitre précédent que Marc ne dispose pas les moments de son récit selon l’ordre du modèle qui lui sert de structure, car alors que, dans celui-ci, le nombre de pains prend la première place, dans son récit il suit l’objection des disciples. Ce changement comportant un risque quant à la clarté et à la simplicité linéaire du récit, il est légitime de penser que Marc n’aurait pas pris ce risque s’il n’y avait été contraint par l’existence d’un autre ordre, opposé à celui du modèle, relevant du niveau de l’information. Ainsi construit-il un récit sur l’exemple du modèle biblique, mais en cherchant en même temps à l’adapter au conditionnement posé par des matériaux d’information, d’où la complexité de son récit et le mélange du contexte structural avec le contexte biographique.
   En ôtant de cette séquence ce qui apparaît comme propre aux structures bibliques, je limiterai donc le contexte biographique aux faits suivants :
– proposition de renvoi de la foule à cause de l’heure avancée et dans l’intention de lui donner la possibilité d’acheter du pain en route (Mc 6:35-36) ;
– interrogation par les disciples au sujet d’un éventuel achat de pain avec deux-cents deniers (Mc 6:38) ;
– décision de la part de Jésus de renvoyer lui-même la foule et départ des disciples (Mc 6:45).



1984




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ti21200 : 24/05/2017