ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


La crise galiléenne




La mise entre parenthèses du miracle et l’analyse du contexte :

Le manque de pain et le renvoi de la foule



Sommaire
Avertissement au lecteur

Mise entre parenthèses du contexte

Mise entre parenthèses du miracle
- Détermination du
   contexte
- Le manque de pain
   . Cause du renvoi
   . Épisode crédible ?
   . Textes parallèles
   . Manipulation de
     l’information
- Demande du signe
- Marche sur les eaux
- Doute des disciples
- Les lieux
- Syllepsis des
   informations

. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Les textes parallèles


   Après avoir cherché à retrouver les conditions de possibilité de l’hypothèse dans le contexte social des évangiles, vérifions cette même hypothèse dans les textes parallèles au récit.

   Mon attention a été attirée par la narration du quatrième évangile. Ce récit suit, quant à la trame de l’événement, celui de Marc, mais une série de faits qui prolongent l’événement miraculeux lui appartiennent en propre. Résumons-les. Alors que les disciples étaient partis, mais de leur propre initiative, pour rentrer chez eux à Capharnaüm, et que Jésus s’était retiré sur la montagne, des personnes qui avaient participé au repas restèrent sur les lieux jusqu’au lendemain. Le matin, ne voyant pas Jésus qui était parti pendant la nuit à leur insu pour retrouver les disciples sur la mer, ils se mirent à le rechercher. Ils se rendirent donc à Capharnaüm, où ils le trouvèrent. Leur rencontre fut suivie d’un dialogue dont je souligne les moments éclairants pour ma recherche.

Jésus leur reproche de l’avoir recherché non pas parce qu’ils avaient vu le miracle, mais parce que, ayant mangé du pain, ils avaient été rassasiés (Jn 6:26) ;
il les exhorte donc à rechercher non pas une nourriture périssable, mais celle qui subsiste dans la vie éternelle (Jn 6:27) ;
– après avoir dialogué au sujet de cette nourriture, se rapportant à la manne, Jésus précise sa pensée en affirmant d’une façon voilée qu’il est lui-même le pain descendu du ciel, que Dieu donne au monde (Jn 6:33) ;
– ses interlocuteurs lui répondent : « Seigneur, donne-nous toujours ce pain » (Jn 6:34).

   Pour bien comprendre ce dialogue, il faut avoir présent à l’esprit qu’il s’agit d’un discours allégorique, dont la signification s’accomplit par la superposition de deux sens. À côté d’un fait, quelle qu’en soit la nature, qui peut être réelle ou seulement littéraire, l’allégorie affirme une idée, qui sublime le fait dans une vérité qui le transcende. L’allégorie peut être exprimée sous une forme énigmatique, lorsque l’idée se cache, se laissant seulement entrevoir par la sortie du fait de son propre champ sémantique, mais souvent elle s’articule dans une opposition où le sens idéal – spirituel – vise à refouler dans l’insignifiance le sens littéral – charnel.
   Dans ce dialogue, l’allégorie est dialectique. Nous retrouvons les deux sens en conflit surtout dans les oppositions :
– rechercher Jésus parce qu’il a donné à manger et rechercher Jésus parce qu’il opère des miracles ;
– rechercher une nourriture périssable et rechercher celle qui subsiste éternellement ;
– le pain qui rassasie et celui qui descend du ciel pour donner la vie au monde.

   Dans ce conflit, le sens charnel, littéral, est refoulé dans le non-sens en ce que le spirituel lui emprunte les mots pour les posséder en propre : la véritable nourriture n’est pas celle de la chair mais l’éternelle ; le véritable pain n’est pas celui que tout le monde mange, mais le Christ lui-même. Face au « pain qui descend du ciel », le pain n’est plus pain.

   Ces remarques nous introduisent à des considérations qui touchent directement à notre recherche. En effet, si nous nous rapportons au sens conceptuel et spirituel de ce dialogue, il ne pourrait être attribué à Jésus de Nazareth : même en supposant que Jésus eut de lui-même une conscience messianique, il n’aurait pas pu se faire Christ comme cette allégorie l’exprime, car elle se rapporte à une christologie très savante issue d’une rencontre entre la pensée chrétienne et la philosophie de Philon. Ce dialogue ne peut pas non plus être mis dans la bouche du prophète de Nazareth quant à sa forme, puisque Jésus s’adressait à la foule en paraboles et non en allégories. S’il a pu lui-même employer une méthode allégorique d’interprétation, c’était dans le cadre de l’exégèse biblique, à un niveau pour ainsi dire doctoral.
   Le sens spirituel ôté, il ne nous reste que le sens littéral, qu’il convient naturellement de libérer du refoulement et de la sublimation dont il est affecté dans le texte. Ce sens se réduit principalement à deux faits : que les gens ont recherché Jésus pour être rassasiés, et qu’ils lui ont demandé du pain. En principe, un fait destiné à supporter un sens allégorique peut être de nature littéraire et même créé dans ce but. Il se trouve cependant que ces deux faits sont transposés dans le sillage du récit de la multiplication, et qu’ils concernent la même foule, le même Jésus, la même atmosphère de pathos collectif. De plus ils surprennent puisque, dépouillés de leur sublimation, ils correspondent exactement à ce qui, selon l’hypothèse de la recherche, se serait effectivement passé au lieu du miracle de la multiplication. La supposition que Jean n’a fait que transposer au lendemain de la multiplication un événement qui a été refoulé devient alors légitime. Encore faut-il vérifier si la présence de ces faits dans le nouveau récit qui prolonge le premier se laisse expliquer de façon exhaustive par l’introduction du miracle.



1984




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ti22300 : 28/05/2017