ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisLa crise galiléenne |
La mise entre parenthèses du miracle et l’analyse du contexte :Le manque de pain et le renvoi de la foule |
Sommaire Avertissement au lecteur Mise entre parenthèses du contexte Mise entre parenthèses du miracle - Détermination du contexte - Le manque de pain . Cause du renvoi . Épisode crédible ? . Textes parallèles . Manipulation de l’information - Demande du signe - Marche sur les eaux - Doute des disciples - Les lieux - Syllepsis des informations . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
La manipulation du document d’informationLes analyses qui précèdent nous ont conduits à découvrir un document d’information dont le texte se sert, mais en en modifiant les données dans leur enchaînement et leur attribution, ou en les refoulant dans le silence. Cette manipulation se justifie en ce que ces informations ne sont employées que pour servir de contexte – de prétexte – pour y ajouter le conte merveilleux de la multiplication des pains. Il convient donc de poursuivre l’étude par une recherche visant à prouver que les différences entre le texte actuel et ce document d’information se laissent expliquer exclusivement par l’insertion de la narration miraculeuse. Ainsi cette première démarche hypothétique aboutirait-elle à sa propre cohérence. Il faut tout d’abord résumer ce document tel qu’il se laisse entrevoir et lire à travers l’analyse. Il apparaît que les choses se sont passées ainsi : Jésus s’étant attardé dans son entretien avec la foule et l’heure étant avancée, les disciples lui firent comprendre qu’il fallait la renvoyer. Il en donna l’ordre, et les disciples s’approchèrent des gens pour leur annoncer qu’il fallait qu’ils rentrent chez eux puisque, la nuit approchant, ils avaient juste le temps d’acheter de quoi manger en route. Or ces personnes, qui avaient interprété le comportement de Jésus comme une intention implicite de leur donner à manger, en furent déçus ; d’ailleurs, s’ils étaient venus, c’était au fond moins pour écouter la parole que pour obtenir de l’aide. Ils répondirent donc fortement aux disciples qu’ils devaient leur donner à manger. Les disciples répliquèrent que cela n’était pas possible puisque, le lieu étant désert, il n’y avait rien sur place. C’est alors que la foule fit allusion à la bourse de la communauté, dont l’argent était destiné aux pauvres. Les disciples, connaissant le niveau réel de ce dépôt, ne purent s’empêcher d’ironiser sur cette proposition : cette bourse leur permettait-elle d’acheter pour deux cents deniers du pain à suffisance ? Mais cette ironie tombait sans doute sur un terrain déjà excité, les disciples ne furent pas entendus. Dans ce résumé, ne portons pas notre attention sur « la lettre », qui est propre à ma traduction, mais sur les informations qu’il contient. Cherchons à nous mettre dans la situation des écrivains néotestamentaires, dont la tâche était précisément de prendre ces informations pour en constituer un texte cohérent avec la narration miraculeuse. Faisons taire en même temps toutes les interrogations que cette tâche nous pose, surtout quant à sa cohérence avec la praxis d’écriture néotestamentaire, puisqu’elles seront reprises dans la troisième partie de ce livre (partie non rédigée, ébauchée dans L’écriture des évangiles, Ennio Floris, 1980). Pour le moment, il convient d’examiner seulement le mode technique d’opération avec lequel les évangélistes ont rendu ces matériaux d’information aptes à supporter la narration du miracle. Le premier épisode du récit résulte de la jonction du premier et du deuxième moment de la succession des faits, en omettant cependant l’approche de la foule par les disciples. Ainsi les mots qui justifient la démarche des apôtres auprès de la foule deviennent la motivation de la démarche de ces disciples auprès de Jésus pour renvoyer la foule. Le deuxième épisode du récit est la reprise du deuxième thème du modèle, mais puisque ce thème est à la fois identique et opposé au troisième moment du fait, il exerce à son égard une action réductrice : les paroles qui étaient prononcées par la foule sont mises dans la bouche de Jésus. Le fait s’inscrit dans la structure par un acte de castration, qui lui ôte le caractère de conflit. Il ne s’agit plus d’une contestation et d’un refus, mais d’une intervention divine sur une foule qui est passive face à ses besoins. La même catharsis s’opère au niveau du troisième épisode, où la réponse des disciples aux gens – paroles à la fois ironiques et sceptiques – devient leur objection à l’ordre de Jésus, selon l’exigence structurale du modèle. Ainsi le contexte du fait est-il transformé en contexte littéraire, susceptible de supporter l’événement miraculeux. Il ne reste à l’auteur que de faire mention des pains, rapportant au quatrième moment du récit le premier du modèle. Cette synthèse n’est cependant pas sans défauts, surtout en ce qui concerne le troisième moment, où l’allusion à l’achat du pain s’adapte mal à la fonction que lui impose le récit selon l’exigence structurale du modèle, c’est pourquoi Matthieu et Luc l’ont omise. Conformément au modèle, les disciples justifient leur réticence par l’insuffisante de la quantité de pains qu’ils possédaient pour rassasier la foule, leur récit est donc plus cohérent et sans détours. En ce qui concerne le quatrième évangile, la fusion des deux sources passe par un procédé d’arrangement et de polissage, qui est d’autant plus savant et compliqué qu’il aboutit à un récit d’une parfaite cohérence. Jean détient dans sa méthode d’allégorie un instrument qui lui permet d’être aussi scrupuleux dans la recherche et dans l’approche des sources d’information qu’il est libre quant à leur emploi. Il ne refuse pas, en effet, de rapporter l’information sur les deux cents deniers, mais dans le but de montrer l’insuffisance d’une telle somme pour nourrir un si grand nombre de personnes. Autrement dit, l’information est reprise dans un but propédeutique. Mais là où il se montre très habile, c’est dans la reprise du fait qui avait été un obstacle chez Marc : la demande du pain par la foule. L’habilité apparaît en ce qu’il crée avec ce fait une scène nouvelle, qu’il place au lendemain du miracle mais dont le sens réel, effectif, des faits, se trouve sublimé dans le sens spirituel de l’allégorie. Ainsi les gens cherchent-ils bien Jésus parce qu’ils sont poussés par leur besoin, mais ils ne le font pas pour être rassasiés mais après avoir été rassasiés dans le grand repas miraculeux du jour précédent : leur faim trouve donc une réponse préalable dans la recherche de la parole. De même, ils demandent du pain, mais après qu’ils sachent que ce pain est celui qui donne la vie au monde. La violence qui était contenue dans leur demande, leur visée qui l’inscrivait dans une situation de révolte avec une prise de conscience par les pauvres de l’injustice sociale à leur égard, s’effacent. La lutte des pauvres pour leur pain est sublimée par la vision théologique de la foi. |
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![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ti22400 : 29/05/2017 |