ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris


La crise galiléenne




La mise entre parenthèses du miracle et l’analyse du contexte :

Le doute des disciples



Sommaire
Avertissement au lecteur

Mise entre parenthèses du contexte

Mise entre parenthèses du miracle
- Détermination du
   contexte
- Le manque de pain
- Demande du signe
- Marche sur les eaux
- Doute des disciples
   . Approche du récit
   . Jésus compris
     par les disciples ?
   . Crise de confiance
- Les lieux
- Syllepsis des
   informations

. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Le mode d’approche du récit


   J’aborderai d’abord la lecture du deuxième texte, qui nous permettra de connaître l’entretien de Jésus avec ses disciples pendant le trajet. Il est cependant opportun au préalable de déterminer le mode d’approche du récit, afin d’en permettre la compréhension.
   Voici le texte : « Les disciples avaient oublié de prendre du pain, ils n’en avaient qu’un seul avec eux dans la barque. Jésus leur fit cette recommandation : voyez, gardez-vous du levain des pharisiens et d’Hérode. Les disciples raisonnaient entre eux qu’ils n’avaient pas de pain. Jésus, l’ayant connu, leur dit : pourquoi raisonnez-vous sur ce que vous n’avez pas de pain ? Êtes-vous encore sans intelligence et ne comprenez-vous pas ? Avez-vous le cœur endurci ? Ayant des yeux, ne voyez-vous pas ? Ayant des oreilles, n’entendez-vous pas ? N’avez-vous pas de mémoire ? » (suit l’allusion aux deux multiplications) (Mc 8:14-21).

   Que ce texte ne soit qu’un doublet du premier ou, pour être plus précis, que ce trajet de Dalmanoutha à Bethsaïda ne soit déterminé que par des faits qui s’étaient passés pendant le voyage de la côte de Bethsaïda à Génésareth, apparaît des remarques suivantes. La thématique des deux récits est la même : souci causé par le manque de pain (Mc 8:14-16 ; 6:52, en liaison avec 6:37) et « dureté de cœur » des disciples (Mc 8:17 ; 6:52). De plus, les paroles de Jésus au sujet du levain des pharisiens et qui lui appartiennent en propre sont mises en relation avec cette demande du signe (Mc 8:11-13) qui constitue la substance du fait ôté du premier récit. Enfin, le souvenir explicite des deux multiplications (Mc 8:19-20) situe ce deuxième voyage dans l’atmosphère du premier.
   Quant au sens, ce deuxième récit est une énigme. On observera que les paroles de Jésus au sujet du levain des pharisiens se situent entre deux énoncés concernant le manque de pain. Ainsi, tandis que par rapport au premier de ces énoncés elles apparaissent comme une réponse que Jésus donne au manque de pain, par rapport au second c’est le manque de pain qui serait une interprétation de ces paroles de la part des disciples. Aussi le reproche que Jésus leur adresse demeure-t-il ambigüe, puisqu’il condamne en eux une infidélité qu’ils ne manifestent pas dans ce contexte. En outre, ce reproche ainsi que l’allusion aux deux multiplications des pains deviennent si déterminants qu’ils effacent la portée du levain, qui reste toutefois lié au manque de pain.
   Ce non-sens au sein d’un surplus de sens ne peut s’expliquer qu’en disant qu’effectivement l’auteur a voulu articuler sous une forme énigmatique des énoncés qui, dans leur enchaînement au niveau de l’information, étaient très clairs. En les laissant dans leur contexte propre, ces informations auraient été si proches du miracle qu’elles en auraient gêné la compréhension, elles ont donc été déplacées afin d’en être éloignées, tout en gardant leur relation au contexte primitif par l’énigme.

   Pour résoudre l’énigme, il est nécessaire de déstructurer le récit, et de le reconstruire en réarticulant ses énoncés pour obtenir un sens cohérent.
   Reprenons le fil des faits. Monté sur la barque, Jésus ordonna de prendre la direction de Génésareth. Cette déviation ne pouvait pas fatiguer davantage les disciples, puisque « le vent avait cessé », mais combien d’interrogations ce changement de cap allait-il poser à ces hommes épuisés et tristes ! Ils cherchèrent à cacher leur surprise en remarquant qu’ils « n’avaient pas de pain ». Cela voulait dire qu’avant d’entreprendre un nouveau voyage, il aurait été préférable de rentrer à la maison pour se reposer, manger et s’approvisionner. Mais ils durent s’apercevoir que, si Jésus leur donnait cet ordre, c’est qu’il avait des raisons qu’ils ne connaissaient pas encore et qui devaient être reliées aux faits des jours précédents. Peut-être comprirent-ils à ce moment-là que Jésus était en fuite.
   La résistance que les disciples lui opposèrent à cause du manque de pain frappa Jésus et il la ressentit comme une blessure : il allait se reproduire dans la barque, parmi ses disciples, cette même inquiétude qui avait poussé la foule à l’émeute, les disciples avaient été contaminés par la maladie des pauvres : l’instinct de la faim. En outre, ce rappel du pain le contraignait à s’expliquer avec eux sur ce qui s’était passé la veille, à parler de sa défaite, à avouer sa fuite. Sa réponse fut une plainte plutôt qu’une accusation : qu’ils étaient stupides pour ne pas comprendre encore ce qui s’était passé ! Étaient-ils aveugles au point de ne pas voir qu’il était traqué par les pharisiens, rejeté et défié par le peuple ? Avaient-ils le cœur aussi endurci que la foule pour lui jeter au visage le manque de pain ? Le temps était pourtant venu d’être plus soucieux de se garder du « levain des pharisiens et d’Hérode » que de rechercher la pain de tous les jours !
   Jésus avait rompu le silence, mais en énigme, par une métaphore. L’image du levain s’était offerte à son esprit d’elle-même, car elle était la plus adhérente à la chose, la plus représentative du drame qu’il venait de vivre. Dans son évangélisation il s’était appuyé sur les masses, sûr que la parole agirait en elles comme le ferment dans la pâte, or le peuple auquel il avait adressé la parole avait été corrompu par le levain des pharisiens. Ainsi la même parabole exprimait-elle le royaume et l’anti-royaume. Il ne s’agissait pas seulement d’une identité formelle, mais d’un symbole qui collait à deux réalités opposées, d’où le surgissement du doute et le commencement d’une errance à travers le désert humain qui le mènerait à la mort.



1984




Retour à l'accueil Le doute des disciples Haut de page Les disciples comprirent-ils ?      écrire au webmestre

ti25100 : 06/06/2017