Sommaire
Avant-propos
Le problème et ses antinomies
La solution selon la théologie de la foi
- Principes de la théologie de la foi
- Jésus, fils de Dieu
- La rédemption
- La médiation
- La justification
- Le pouvoir de rémission
- Efficacité de la foi
- Le baptême
- Confession fraternelle
- Confession individuelle
- L’Église
. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .
|
La rédemption
La tradition évangélique a considéré la mort de Jésus comme une victoire totale sur le péché, en exprimant cette victoire sous les formes de libération, d’expiation et de rédemption. À l’encontre de la théologie orthodoxe, qui saisit cette triple valeur par rapport à la divinité de la personne du Christ, notre théologie (1) l’explique par la transcendance de la croix, en ce que le Christ se donne pour les autres.
Le péché est personnel et social dans le même temps. L’individu, de même qu’il pense, parle et agit, pèche par rapport aux autres. Le péché est de l’individu, mais aussi de la société à laquelle l’individu appartient. La distinction faite par la théologie catholique entre péché originel et péché actuel est acceptable, dans le sens que par péché originel nous entendons le péché eu égard à sa valeur sociale, et par péché actuel le péché commis par une personne déterminée. Nous considérons le péché selon trois aspects : comme puissance du mal, comme acte qui entraîne la responsabilité individuelle, et comme offense à la personne.
Le dommage apporté par le péché est absolument irréparable pour l’homme.
Après le mythe, qui a personnifié le péché avec le Diable, plusieurs méthodes de combat ont été employées contre la puissance du mal, et même les lois, les traditions et l’institution familiale on toujours pris la charge d’endiguer la corruption dans le monde. Cependant aucune institution n’a réussi à vaincre le péché, qui aujourd’hui encore pousse les hommes vers le mal et la corruption.
On a aussi cherché à expier le péché comme offense envers Dieu et le prochain. À ce propos, les religions ont exécuté des rites de sacrifice et de propitiation, tandis que la société civile a fixé en plusieurs degrés le dommage produit par la faute en correspondance à une valeur donnée présumée par la peine, en vue d’une réparation juridique. Mais les rites expiatoires et le droit des peuples ne pourront jamais réussir à réparer l’offense par la peine.
Cette impossibilité se manifeste pour deux raisons : d’abord parce que la peine, n’ayant qu’une valeur négative et immanente dans la personne qui l’expie, ne peut apporter un bénéfice à la personne offensée ; ensuite parce que l’offense est tellement subjective et intérieure qu’une valeur objective et extérieure telle que la peine ne peut pas la satisfaire.
Enfin on a cherché à racheter l’individu de l’acte du péché en produisant une valeur de mérite personnel telle qu’elle puisse effacer la faute présupposée par le péché. Ces méthodes, qui revêtent un caractère ascétique, ont pour but de renier la personne humaine dans la conscience de son moi par rapport aux exigences de sensibilité et de sentiment, de vérité et de beauté, d’activité et de repos. Cependant toutes les ascèses paraissent toujours trompeuses parce que, tandis que l’homme meurt, l’orgueil reste en vertu même du reniement, bien qu’il réduise l’homme en un cadavre.
Jésus a été conduit sur la croix par le péché. Il est faux de considérer sa mort comme résultant de la responsabilité de quelques individus. Le péché qui conduit Jésus à la croix est le péché des personnes qui agissent en tant qu’elles sont dans l’histoire, poussées par les institutions religieuses et sociales, les dogmes et les convictions, les erreurs et les vices.
Les personnes qui ont crucifié le Christ sont dans la continuité historique de tous les hommes passés et à venir. Jésus monte sur la croix parce qu’il est appelé par le péché comme puissance sociale, acte de responsabilité individuelle, offense des hommes envers Dieu et envers eux-mêmes.
Ce qui s’est passé dans l’agonie douloureuse de la croix a été surtout exprimé par les paroles de Jésus : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23:34). La puissance qui vainc le péché est le pardon.
Le pardon arrête d’abord le péché dans sa marche de corruption dans le monde. Il s’affirme parmi les hommes comme liaison, où offenseur et offensé se rencontrent. En demandant pardon l’offenseur, ennemi auparavant de l’offensé et séparé de lui, se réconcilie et retrouve en lui son frère. En accordant le pardon, l’offensé comble le vide qui était ouvert entre lui et l’offenseur et qui brisait la continuité de l’homme entre individu et individu. Le pardon donné par Jésus sur la croix est un acte de révolution spirituelle, sur lequel se greffe la conscience religieuse de tous les peuples pour réaffirmer l’unité de l’homme en Dieu.
Le pardon achève une véritable action expiatoire du péché. Dans la mesure où il est demande de l’offenseur à l’offensé et offre de l’offensé à l’offenseur, il produit une valeur qui égale, et dépasse même, le dommage produit par le péché. En ce qu’il est demande de l’offenseur, il mène à un anéantissement total, par lequel se détruit l’exaltation du moi par laquelle l’offenseur avait péché contre le frère. Mais, comme offre, il donne une satisfaction parfaite de l’offense, qu’il détruit dans son exigence de revendication dans la conscience de l’offensé.
Enfin le pardon rachète l’homme du péché en conséquence de l’expiation. Si le pécheur est parvenu à se renier par rapport à la faute, et l’offensé à renoncer à sa revendication, l’homme peut être considéré comme délivré du péché.
Telle est la valeur de la mort du Christ comme pardon accordé au moment où il se donne pour les autres. Jésus pardonne, et dans le même temps demande pardon à Dieu et aux hommes pour le péché des autres. En demandant pardon au nom des offenseurs, il se pose lui-même comme offenseur et s’humilie devant Dieu et devant les hommes, comme si le péché était de lui. En offrant le pardon, il se constitue comme offensé qui délivre les hommes du devoir de justice envers lui. Mais en ce qu’il se pose devant Dieu avec cette double personnalité, il appelle Dieu à se révéler comme Père. C’est par la révélation de Dieu comme Père en lui pour les autres, que le péché est pardonné, c’est-à-dire vaincu, expié et détruit dans l’homme.
______________
(1) Voir les principes de la théologie de la foi. 
|