PILATE
– Qu’on présente l’acte d’accusation.
L’huissier
– Monsieur Samuel, avocat de l’accusation, veuillez avancer à la barre !
SAMUEL
(Venant d’un siège à gauche du Procurateur, il accède à l’estrade de la plaidoirie).
– Monsieur le Procurateur, Messieurs ! Je suis le membre du Sanhédrin qui a déposé la plainte contre les disciples de Jésus de Nazareth, les accusant d’avoir fomenté le vol du corps de Jésus pour prétendre à sa résurrection. Je chercherai à vous convaincre de cette accusation essentiellement par l’analyse de leur témoignage, qui les dévoile comme les auteurs de ce mensonge et de ce crime. La dialectique d’interrogatoire du Procurateur a réussi à déjouer efficacement leur intrigue.
(Exclamations d’étonnement dans la salle. Quelqu’un se lève et défie l’orateur : « Oh, çà ! »).
PILATE
– Silence ! Que chacun reste assis ! Laissez parler l’avocat qui, dans sa plaidoirie, a le droit de défendre ou d’accuser en toute liberté. D’elle dépend l’issue du procès dans la vérité. Continuez, Maître !
SAMUEL
– Dans ma plaidoirie, je me limiterai à reformuler l’accusation qu’a lancée le Procurateur, de manière plus directe et, dirais-je aussi, plus compréhensible. Le Procurateur a trouvé que vous avez vous-mêmes confirmé l’accusation que nous avons portée contre vous, selon laquelle vous avez enlevé le corps de Jésus du tombeau afin d’en simuler la résurrection. Je procéderai à la mise en évidence de sa critique lors de l’enquête...
PIERRE
(Se rapprochant de Maria et de Jean).
– D’accord ! À condition que nous puissions quand même manifester notre accord ou notre désaccord.
SAMUEL
– C’est évident ! Je dis en premier lieu que Maria était certaine que le corps de Jésus avait été enlevé par ses disciples et non pas dérobé par les Juifs. En effet, alors que Salomé parlait de vol commis par des Juifs, Maria disait par contre qu’il avait été enlevé par ses confrères.
MARIA
– C’est vrai ! Mais il n’était pas question dans mon esprit d’affirmer que Jésus était ressuscité, mais d’empêcher qu’il puisse être dérobé par les Juifs.
SAMUEL
– Certes ! Cependant, le Procurateur a été convaincu par les aveux de Pierre et de Jean, qu’ils l’ont emporté afin de proclamer sa résurrection.
(Pierre et Jean se serrent l’un contre l’autre, tournant leurs regards vers Samuel).
En effet, quand vous avez pénétré dans le sépulcre, vous n’avez manifesté aucune surprise en présence du tombeau vide, n’ayant que la préoccupation d’y découvrir quelques signes de la résurrection de Jésus... Et vous y êtes parvenus !
PIERRE
– Et ils nous ont fait comprendre que le corps de Jésus n’avait été ni emporté par les siens, ni volé par les Juifs, mais repris par Jésus lui-même.
SAMUEL
– C’est vrai. Mais quels étaient ces signes ?
PIERRE
– Tout d’abord les bandelettes que j’ai aperçues serpentant au-devant de la dalle, signe évident que Jésus s’était libéré lui-même des chaînes de la mort.
SAMUEL
– Et ce sont elles que tu désignes comme les signes de la résurrection ? Si cela était, ne crois-tu pas que Jésus, ressuscitant, aurait extirpé avec violence les bandelettes, le suaire et le linceul par la force de vie qui l’aurait libéré des liens de la mort ? À la vue de ces bandelettes, j’aurais moi-même déclaré qu’elles avaient été laissées à terre par un voleur plutôt que par un ressuscité. En effet, un voleur aurait eu besoin d’un corps souple pour le transporter plus aisément. Affirmer que Jésus ressuscité aurait dû se libérer lui-même des bandelettes, c’est reconnaître que sa résurrection a pris les allures d’un vol. D’ailleurs, vous vous trahissez vous-mêmes, en déclarant que Jésus s’est délié lui-même des liens de la mort !
JEAN
– En dirais-tu autant, Maître, à propos du suaire ?
SAMUEL
– Le ressuscité n’a pas à donner de signes pour déclarer qu’il est vivant, puisqu’il doit le manifester par sa présence.
MARIA
– Je ne pense pas comme vous, mais vous m’avez convaincue de deux choses, Monsieur. D’abord, que mes frères se sont trompés en prenant les empreintes laissées par un vol pour des signes de la résurrection ; pour autant, vous n’êtes pas autorisés à affirmer qu’on a volé le corps pour prétendre qu’il est ressuscité.
Ensuite, j’ai aussi appris de vous qu’un mort ne peut pas prouver sa résurrection par des signes, mais par sa vie d’homme. Sous cet angle, je me considère comme la première qui ait cru en la résurrection de Jésus, non pas parce que j’ai vu un signe, mais parce que le ressuscité m’est apparu. (Regardant avec fascination). Prenez garde de ne pas vous engager à votre insu sur le chemin de la foi en la résurrection !
SAMUEL
(Souriant).
– Je m’en garderais bien ! Mais laissons, pour l’heure, ma conversion dans le secret de ton cœur, pour nous occuper de tes confrères. Tu les as vus entrer au tombeau dans l’indifférence, ce qui n’a pas été ton cas puisque tu pleurais la disparition du corps de Jésus.
Pourquoi cette impassibilité de leur part ? Parce qu’ils avaient d’autres soucis en tête que de pleurer leur mort ! Ils étaient obsédés de savoir s’ils trouveraient le tombeau vide à la suite d’un vol, ou bien d’un enlèvement, précisément afin qu’il ne soit pas volé. Mais ce souci n’aurait été compréhensible que s’ils n’avaient pas été concernés eux-mêmes par cet enlèvement, mieux, s’ils ne l’avaient eux-mêmes organisé dans l’intention de proclamer que Jésus était ressuscité.
Voilà pourquoi ils se sont efforcés de découvrir si les traces laissées dans le tombeau après la disparition du corps, étaient l’empreinte de voleurs ou celles de leurs émissaires. Dans leur esprit, elles devaient être celles de la résurrection. Ainsi donc, ce souci de relever des indices de la résurrection de Jésus nous autorise à affirmer que l’accusation portée par les Juifs à leur endroit est véritablement fondée.
MARIA
– J’ai affirmé que j’ai ressenti en mon for intérieur ma rencontre avec le jardinier comme un fait réel. En effet, j’étais convaincue qu’il ne s’agissait pas de la projection d’une image intérieure, mais bien d’une personne réelle. Je me suis sentie profondément blessée et humiliée quand le Procurateur en a conclu que cet homme, qui s’adressait à moi sous l’identité de Jésus, n’était qu’un vulgaire individu envoyé par mes confrères sous le simulacre de la personne de Jésus ressuscité. Je le déclare solennellement : il s’agit d’une fausse interprétation.
SAMUEL
– Si tu m’avais pris pour avocat, j’aurais été disposé à t’écouter ; mais je suis celui de l’accusation. Je ne puis agréer ta plainte, retourne-toi vers ton avocat ! Selon ta déclaration, je déclare donc, en conclusion de mon enquête, qu’elle ne peut, hélas, pas vous être favorable.
De vos aveux il ressort que, vu les déclarations faites sur le tombeau vide, votre comportement est la conséquence d’une machination de votre part, tendant à vous emparer du corps de Jésus pour simuler sa résurrection. Certes, on pourra toujours trouver des raisons à votre machination dans le contexte du Judaïsme et dans vos convictions religieuses. En droit, les faits s’accordent avec les accusations des Juifs à votre endroit et à l’analyse de vos actes, présentée par le Procurateur.
(Consternation chez les disciples, Maria pleure).