PILATE
(S’adressant à Nicodème).
– Maître ! Je crois que vous m’interpellez pour me demander de rechercher ailleurs le voleur. Je vous prie de patienter : le Commissaire vient de m’annoncer qu’il a découvert une autre piste... que celle du voleur !
PIERRE
(Promptement).
– La preuve ! Cet « ailleurs », c’est la résurrection !
PILATE
(Se retenant de rire et fixant du regard le Centurion et le militaire).
– Documents, s’il vous plait ! Êtes-vous des militaires de l’armée romaine... ou des anges ? (Éclats de rire ! Puis, se tournant vers le Centurion). Qui est ce militaire, centurion ?
Le Centurion
– C’est un des quatre soldats, à qui j’avais confié la tâche de garder Jésus au moment du procès. Une des rares occasions où des militaires ont lié amitié avec leur condamné. Celle-ci s’est manifestée dès que vous leur avez permis de se moquer de lui, en le traitant de roi des Juifs.
PILATE
(Au soldat).
– T’es-tu beaucoup amusé avec le roi des Juifs ?
Le militaire
– Oui, si vous voulez, Monsieur le Procurateur ! Cependant, ce n’était pas un jeu pour se distraire soi-même, mais pour divertir les autres... C’était une farce !
PILATE
– Vous vous preniez pour des pitres ? Comment cette idée vous est-elle venue ?
Le militaire
– C’est Jésus lui-même qui nous l’a inspirée ! Après que vous nous l’ayez livré, nous nous sommes mis en cercle autour de lui, nous demandant ce que nous pouvions faire. C’est lui-même alors qui nous a dit d’en faire une farce : « Je ne suis pas un roi, mais un homme accusé de l’être pour pouvoir le condamner à mort... Mais puisque je ne suis pas roi, je veux bien le jouer comme le ferait un acteur ».
PILATE
– Extraordinaire ! Était-il calme, normal ?
Le militaire
– Plus que normal ! Au point de nous suggérer ce que nous pourrions faire pour cela ! Trouver une étoffe rouge, une couronne de petites branches épineuses ; si possible, une canne pour mimer un sceptre et... des bâtons pour le frapper. Après avoir rassemblé ces divers accessoires, nous avons entouré ses épaules d’une étoffe de pourpre ; puis nous nous sommes agenouillés devant lui en déclarant : « Salut, ô roi ! », et nous le frappions avec nos bâtons en lui crachant au visage !
PILATE
– C’était donc parfait ! Et vous vous êtes tous divertis ?
Le militaire
– Dois-je dire la vérité, Monsieur le Commissaire ?
PILATE
– Oui, la vérité, toute la vérité. (Au militaire indécis). Ne crains rien !
Le militaire
– Oui ! Ce fut une belle partie de plaisir ! Il ne nous était jamais arrivé d’avoir la permission de cracher au visage d’un roi ! Mais puisque ce n’était qu’un simulacre de roi, nous avons fini par nous ennuyer ! Nous lui avons alors demandé pourquoi il nous avait fait cette suggestion.
PILATE
– Il voulait vraiment que vous jouiez la comédie ? Que vous a-t-il répondu ?
Le militaire
– Les Écritures – nous a-t-il répondu – qui sont les paroles des pères du peuple, annoncent que le dernier roi de la génération de David viendra accomplir dans la gloire les espérances promises par Dieu au peuple. Mais – a-t-il ajouté – ce peuple ne connaîtra que sa ruine. C’est pourquoi, le jeu que nous avons réalisé avec lui était la farce tragique de cette ruine !
PILATE
(Comme se parlant à lui-même).
– Le cri du peuple « Mort au roi », au moment où je lui ai présenté Jésus sous un déguisement royal, annonçait cette tragi-comédie ! (S’adressant au Centurion). Tes soldats sont-ils parvenus à comprendre le jeu tragique de la crucifixion que préfigurait la farce qu’ils avaient jouée ?
Le Centurion
– Certainement, nous en avons bien eu conscience !
PILATE
– Mais étaient-ils des soldats romains ou de simples gens du commun ?
Le Centurion
– Étrangement, l’un et l’autre, Monsieur, je peux en témoigner. Ils ont toujours veillé à ce que n’éclate aucune émeute contre les crucifiés ou envers le Pouvoir. Aussi ont-ils été à leur service, profondément émus par leur souffrance.
PILATE
– Et Jésus supporta-t-il ses souffrances plus vaillamment que les autres ?
Le Centurion
– Il m’est difficile de répondre... Il était évident qu’il avait conscience de supporter ces peines pour des péchés qu’il n’avait pas commis.
PILATE
– Pensez-vous que j’ai été injuste dans le châtiment que j’ai décidé ?
Le Centurion
– Il est certain, Monsieur, que vous n’aviez trouvé en lui aucun crime punissable de mort. En politique, il arrive qu’on doive décider non selon la justice, mais selon l’équilibre des forces, quand la justice n’est plus applicable.
PILATE
– Hélas ! Cela arrive aussi au sujet de la religion.
Le Centurion
– Vous avez raison ! J’ai eu le sentiment que Jésus est mort comme un fils de Dieu, à l’exemple d’Héraclès, de Dionysos, de Prométhée... Il menait son combat moins contre des hommes que contre Dieu !
PILATE
– Comme dans un défi lancé à Dieu, afin qu’il renverse l’ordre de la justice !
Le militaire
– Je ne supportais plus de l’entendre, ni de le regarder, ni même d’accepter qu’il soit toujours vivant... Et quand il a jeté son ultime cri, je lui ai transpercé le cœur de ma lance, et j’ai vu son âme quitter son cœur avec son sang.
PILATE
– Tu as joué ton rôle jusqu’au bout...
Le militaire
– Oui, pour l’aider à mourir de cette mort qui lui a été donnée par les autres !
PILATE
– Notre digression a été un peu longue... Qu’avez-vous fait après sa mort ?
Le Centurion
– Une personne de qualité est venue m’apprendre que vous lui aviez concédé son cadavre. J’ai alors ordonné aux soldats de descendre le corps de la croix, de l’envelopper dans un linceul pour l’amener au Centre de triage. De là, le corps a été transporté au sépulcre de cette illustre personne.
Nous étions à la tombée de la nuit, et cet homme n’a pas eu le temps permis par la loi de la Pâque pour oindre le corps. On l’a entouré de bandelettes, on a placé le suaire au-dessus du linceul qui enveloppait le corps, puis on a roulé la pierre.
Le militaire
– Je dois préciser, Monsieur, qu’avant de partir j’ai soulevé le linceul pour vérifier s’il s’agissait bien du corps de Jésus... La blessure à son côté, était encore rouge de sang.
PILATE
– Vous pouvez vous retirer, Centurion (Tournant son regard vers tous). Je vous prie de quitter la salle et d’attendre dans la cour... J’invite les avocats, le Commissaire de Police, et Monsieur Joseph à demeurer dans la salle.
(L’huissier ouvre les portes pour faire sortir le public).