PILATE
– Cette distinction, très utile pour éviter de confondre vol et résurrection, nous plonge dans une intrigue sans issue. Pouvons-nous clarifier d’où vient cette confusion ?
NICODÈME
– Je crois qu’elle provient du fait que mon ami Joseph a demandé au Procurateur la faveur de lui accorder le corps de Jésus.
PILATE
– N’en avais-je pas le droit ? Le corps du condamné m’appartenait, en tant que ministre de l’État.
NICODÈME
– Sans doute, Monsieur le Procurateur, mais il ne faut pas perdre de vue que le Judaïsme estime, en justice, qu’il lui revient d’exiger la compensation des dommages causés par Jésus pour avoir entraîné le peuple à transgresser la Loi et à désobéir à la légitime autorité établie par Dieu.
PILATE
– Pourquoi se plaindraient-ils, puisqu’ils ont obtenu cette réparation par sa condamnation à mort ? Pourquoi exigeraient-ils aussi d’avoir le droit de posséder son cadavre ?
NICODÈME
– Parce que la Loi ne se contente pas de la peine de mort, mais exige aussi que la malédiction pèse sur le mort, afin que le condamné, une fois décédé, ne puisse plus exiger une quelconque légitimité.
SAMUEL
– Une parole de Dieu pèse sur tout homme condamné à être pendu : « Maudit celui qui est pendu au bois ».
PILATE
– Dois-je penser, à l’encontre de ce que vous avez dit vous-même, que les responsables du Judaïsme ont dérobé le corps de Jésus, pour le soustraire à l’ensevelissement rituel ?
SAMUEL
– Oh ! Ils ne l’ont pas fait, par solidarité avec vous et par respect de votre autorité.
NICODÈME
– Si les responsables du peuple se sont abstenus, le peuple, probablement, n’a pas eu cette pudeur, par fidélité à la Parole. Il est légitime de penser que le corps a été volé afin qu’il soit jeté dans une fosse commune, et qu’il se décompose ainsi dans la poussière originelle, sous la malédiction de Dieu.
SAMUEL
– Permettez-moi d’ajouter que cette possibilité existe aussi chez les croyants de la secte des disciples de Jésus, probablement pour une raison contraire : pour soustraire le corps de Jésus à cette malédiction. Ils ont pu craindre que les responsables du Judaïsme aient refusé de laisser le corps de Jésus dans un tombeau béni, afin de le jeter, comme une vulgaire ordure et un objet maudit et impur dans un trou de l’Haceldama !
NICODÈME
– Je partage cette opinion. La foi des croyants n’est jamais critique, mais adhésion sans réserve à la parole qui ordonne et qui contraint la conscience.
PILATE
– S’il en est ainsi, il ne me reste qu’à vous remercier pour votre collaboration et me préparer à délivrer mon jugement.
(S’adressant à l’huissier).
Fais entrer ceux qui attendent dans la cour.
L’huissier
(Sur le seuil de la porte).
– Messieurs, Mesdames, vous pouvez entrer !