ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisAutobiographie |
Philosophie et départÀ l’Angelicum |
EN SARDAIGNELE DÉPARTL’ITALIEAu collège d’ArezzoLe Noviciat Philosophie et départ - Du ginnasio aux écoles de philosophie - À l’Angelicum - La visite du Père Pègues - La constitution du centre régional - Sous l’occupation de l’Italie par les nazis - De Rome à Florence - De Florence à la France PUIS LA FRANCE............................................ |
’université était composée de trois facultés : philosophie, théologie et droit canon, et ses professeurs étaient des dominicains, tous titrés. Élèves et professeurs étant de différents pays, on parlait latin. Je m’inscrivis d’abord à la faculté de philosophie et, par la suite, à celle de théologie : les deux univers de la pensée ! En philosophie, je me trouvais pris par des problèmes dans lesquels j’ai pu m’engager sans peur de me perdre. J’avais au contraire le plaisir d’y nager, d’être assailli par le flux de la pensée sans jamais me noyer, sûr de me trouver dans la mer du savoir. En théologie, par contre, il n’en était pas ainsi ! J’étais en situation de recherche, sans cependant pouvoir saisir la liaison logique entre toutes ces affirmations. Je devais rester dans les limites de sa crédibilité. En philosophie, par contre, la proposition était toujours précédée ou suivie par la raison de son affirmation. Le premier des conflits fut celui que j’eus avec le père Jouffroy, professeur de propédeutique dont je suivis le cours en première année de théologie. J’ai su de suite qu’il était disciple de Garrigou-Lagrange, considéré par tous comme le plus grand théologien de l’Église, et dont je suivis le cours de théologie dogmatique. La Propédeutique était plus une discipline préparatoire à la théologie que de la théologie, consacrée aux problèmes méthodologiques propres à préparer à l’étude de celle-ci. Une des questions était celle des « motifs » de crédibilité. Puisque la théologie traite de problèmes dont la solution n’est pas donnée par le recours au principe de raison mais à celui de foi, constitué par la parole des Écritures, son premier problème est celui de la crédibilité de celles-ci. Selon la première thèse, la parole de l’Écriture est considérée comme parole de Dieu, donc comme vérité, si elle est précédée ou accompagnée d’un miracle qui, étant un événement hors des lois de la nature, est un signe garantissant l’origine divine d’une parole ou d’un événement. Selon l’autre thèse, le miracle précède presque toujours, ou accompagne cette parole, mais sans offrir l’évidence de sa vérité, évidence qui est donnée au contraire par le témoignage de l’Esprit Saint en celui qui croit. Dans sa leçon, Jouffroy exposait comme vraie la seconde hypothèse. À la fin de sa leçon, il demanda si nous avions des objections à cette façon de voir. Je lui dis que j’adhérais à la première thèse car elle était objective, se fondant sur un événement qui était une preuve négative que la parole venait de Dieu. Quant au témoignage de l’Esprit Saint, il me semblait subjectif car on ne disposait d’aucune preuve pour savoir s’il venait d’une intervention de Dieu ou d’un transfert de conscience. Le professeur soutint que le témoignage du Saint Esprit était à la base de toute foi, comme l’évidence à celle de la connaissance rationnelle, avec la différence que la foi était dotée de l’objectivité de la vérité de la parole que Dieu donne au sujet en quête de vérité. « Tu as compris ? » me demanda-t-il. « Oui, j’ai compris et c’est logique en partant de la foi, qui présuppose la vérité de la parole de Dieu, mais pas de la raison qui ne la présuppose pas mais en exige la preuve. » Jouffroy s’indigna de façon vile et indigne d’un professeur. Il me dit que je ne comprenais rien parce que, malheureusement, je ne pouvais rien comprendre ! Et il affirma publiquement qu’il ne pouvait pas comprendre comment un couvent dominicain comme celui de la Minerve de Rome pouvait inviter à l’université une personne limitée comme moi ! Je me renfermais en moi-même, avec l’intention d’être absent intérieurement, puisque je ne pouvais pas l’être physiquement, pour éviter de voir cette « merde » d’homme. Je restais silencieux plus d’une semaine, entendant tous les jours Jouffroy s’exclamer à la fin de sa leçon : « Tous ont compris, sauf le petit " minervien " ! » Éprouvait-il pour moi de la compassion, ou du mépris ? Il voulait montrer de la compassion pour ne pas être accusé de sadisme, mais cette compassion n’était que le camouflage du mépris. Mais le conflit ne finit pas ainsi. À la fin de la leçon sur cet argument, Jouffroy proposa que nous ayons un « petit débat », et nomma comme défenseur un jeune Français, et moi comme objecteur. Je refusais, n’ayant plus rien à voir avec cet homme. Mais lui, dansant presque de joie, affirma : « Je m’y attendais, parce que j’avais prévu que tu prendrais conscience de tes limites et que tu n’accepterais pas ! » Je me levais et le regardai avec fureur : « Fils de pute ! » dis-je à voix basse en italien, « Non recuso », lançai-je en latin. « Ah non, tu as refusé et tu ne peux pas accepter maintenant ! » Je le regardai, mais cette fois pour lui lancer un défi : « Je n’ai pas refusé parce que j’ai pris conscience de mes limites, mais par crainte de mettre à nu les vôtres. Et vous montrez que vous avez peur, en cherchant à ce que je me retire de cette discussion en croyant être un imbécile, pour qu’on ne vous soupçonne pas de chercher à m’éviter. Le professeur a donc peur d’un étudiant ? » Il fut obligé de me garder comme objecteur. Le débat commença dans un climat tendu. Le défenseur prononça sa défense, terminant en disant qu’il ne voyait aucune raison pour nier la thèse, puisqu’elle était si évidente qu’on ne pouvait s’y opposer que par sophisme. En effet, il récusait la « majeure » de mon premier syllogisme, ce qui me mettait en faux au niveau formel de la discussion, qui devait se dérouler en forme dialectique, selon la tradition de l’école : « Nego maiorem » dit-il solennellement, mettant le débat hors-jeu. Jouffroy intervint lui-même en comprenant la gaffe de son pupille, mais je saisis la balle au bond : je refusai de poursuivre le débat avec le défenseur. Étant incapable de répondre, attaquant la forme pour fuir le fond, il perdait le droit d’être le défenseur. Je ne pouvais m’adresser qu’à celui qui l’avait institué, le professeur ! Jouffroy se mit en furie, me disant qu’il n’était jamais arrivé une chose pareille, et que ce que je demandais était hors normes et n’avait pas de sens. Le débat devait se tenir entre étudiants, « Compris ? ». Mais c’est lui qui ne voulait pas comprendre ! Et je ne cédai pas. « Ce n’est pas ma faute si vous avez mal choisi le défenseur ! » Et je m’assis jusqu’à ce que lui, exaspéré et inquiet de la tension croissante parmi les étudiants, me dise « Continuez ! » En laissant de côté l’aspect formel, qu’il me serait du reste difficile de reproduire, je m’attarderai sur le fond. En me tournant vers le Professeur, j’exprimais ainsi mon premier raisonnement : « Pour croire qu’une proposition de foi est vraie, il faut être certain qu’elle vient de Dieu. Or cette certitude ne peut venir de l’évidence du contenu de la parole, puisqu’elle est au-delà des limites de l’expérience, mais du miracle qui, ne pouvant s’expliquer par les lois de la nature, devient une preuve négative de ce qu’elle vient de Dieu. Mais la parole comme le miracle lui-même ne sont pas des objets d’expérience de celui qui croit, mais des événements sujets à la contingence de l’histoire et de la connaissance humaine. Donc on croit, mais en restant conditionnés par le doute que ce conditionnement suscite. » « Il faut distinguer, dit Jouffroy, entre la connaissance de la raison et celle de la foi. Dans celle de la raison, on arrive à la vérité par l’analyse du phénomène ou d’une parole, s’il s’agit de théorie, par le témoignage d’un homme ou d’un document s’il s’agit d’histoire. Mais dans la foi, celui qui dit la parole est Dieu, Sujet qui n’est pas humain, conditionné par le temps et par l’espace, mais au-dessus des conditions naturelles. Par conséquent il est toujours présent dans la parole qu’il a prononcée, en en témoignant dans celui qui la reçoit. Ce témoignage est celui de l’Esprit Saint. Croire, je le répète, c’est accepter une parole qui n’a pas été donnée ou transmise par les hommes, mais par Dieu. Mais Dieu est un Sujet dont la connaissance ne provient pas de l’objet mais donne intelligibilité à celui-ci. Donc, en parlant, il inspire au croyant cette certitude qu’il ne pourrait pas avoir par la connaissance de l’objet. » « Mais la certitude, répondis-je, peut être subjective, soit par l’impact d’un phénomène ou d’une parole sur la conscience de l’homme, soit parce que celui-ci ne se rend pas compte de son erreur dans leur perception. Vous vous laissez peut-être illusionner par " l’idée claire et distincte " de Descartes. Or il ne suffit pas pour la certitude d’avoir une " idée claire et distincte ", mais il faut que la clarté et l’identité de celle-ci soient prouvées. Il faut arriver à ce que la certitude épistémologique de la foi soit totalement distincte de son impact psychologique. On ne peut donc pas ne pas reconnaitre que la condition de crédibilité d’un fait ou d’une parole est rationnelle. » Le débat fut interrompu, car l’heure qui lui était consacrée était terminée. La classe était vivement intéressée et les acteurs surexcités. M’avançant vers lui, je dis au père Jouffroy : « Professeur, je ne veux pas que vous m’attaquiez en public, comme si j’étais un imbécile. » Mais il fut choqué et me donna beaucoup à comprendre sur son état d’âme. Je me souviens de ses paroles comme s’il les avait dites hier, même si un demi-siècle a passé depuis : « Qui es-tu, pour dire " je ne veux pas " au père Jouffroy ? Non pas parce que je suis le père Jouffroy, mais parce que je suis professeur à l’Angelicum de Rome ? » Je répondis que, n’étant qu’un homme offensé, je ne demandais pas autre chose que d’être laissé en paix. Il me répondit « Do tibi pacem in sæcula sæculorum ». Il était impossible que je ne réponde pas « Amen ! » Je dois ajouter, en toute honnêteté, qu’il se comporta correctement à l’examen. Je m’étais préparé pour répondre à ses demandes conformément à ce qu’il nous avait enseigné. Il se permit seulement de me dire : « Comment fais-tu pour répondre avec ce que j’ai enseigné, alors que tu penses différemment ? » Je lui répondis que l’examen n’était pas une discussion, mais la démonstration qu’on avait bien intégré la matière enseignée. Il me reçut avec la note maximale ! Avant d’avoir fini les études de théologie, j’étais prêt à recevoir la consécration sacerdotale et donc à jouer le rôle de guide dans la vie morale et religieuse des croyants. Ayant obtenu le doctorat, je m’attendais aussi à obtenir une charge de professeur à l’Angelicum même. |
t505200 : 18/12/2020