ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Autobiographie








Philosophie et départ

De la théologie à la critique



P. Danet : Magnum dictionarium latinum et gallicum, MDXCI 



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LE DÉPART



L’ITALIE

Au collège d’Arezzo

Le Noviciat

Philosophie et départ
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- Sous l'occupation de
   l’Italie par les nazis
- De la théologie à la cri-
   tique

- Le Saint Office
- De Florence à la France


PUIS LA FRANCE



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uelques jours avant l’entrée des Américains dans Ro­me, j’assistai à la traversée de la ville par les sol­dats de la division allemande du Monte Cassino, com­mandée par le maréchal Kesserling. Le spec­ta­cle fut quasi religieux. Un défilé qui dura, je crois, trois jours, d’hommes blessés, boiteux, avilis, mais en ordre et forts, pas assez pour attaquer, mais au moins pour résister encore à l’avance américaine.
    Les romains suivirent le défilé muets, respec­tueux, émerveillés, et sans doute pleins de com­pas­sion en voyant beaucoup de jeunes. Signe d’une ré­conciliation existentielle avec le peuple allemand. Ce fut peut-être par cette vision que les Italiens pu­rent rejeter de leur inconscient leur adhésion au fas­cisme, et leur condition de peuple vaincu, humilié, déprécié, pour exister dans une nouvelle per­son­na­lité, celle de « résistants ». C’est comme tels que se présentèrent les réfugiés, pour lesquels je signai des témoignages pour qu’ils obtiennent la médaille d’ar­gent.

    Quant à moi, je n’étais pas dans cette situation, par mon statut de religieux intérieurement sujet à une profonde crise religieuse. Je m’étais consacré au sauvetage des juifs plus par une prise de conscience de la solidarité humaine et de la responsabilité chré­tienne que par une motivation politique de défense des Droits de l’homme.
    Le fait que je me sois ainsi engagé trouvait une opposition dans l’Église par l’excommunication de l’Ordre et, même si elle ne pouvait pas être exé­cu­tée, la contradiction avec les exigences de mon statut religieux me jetait dans une situation de doute sur les principes de ma foi et de mon statut clérical. Il est vrai que, pour parvenir à l’aboutissement de mes projets, je prenais des libertés envers la discipline con­ventuelle qui, sans doute, étaient excessives. Mais il m’était impossible d’agir autrement. Con­vain­cus que l’ordre dominicain avait été institué pour l’annonce de la parole de Dieu et non pour le rétablissement de l’ordre social, ses « Supérieurs » ne pouvaient considérer mon action que comme une transgression de la règle de la communauté. J’agis­sais comme un laïc, non comme un religieux. Cette conviction les amenait à être toujours durs et in­transigeants à mon égard.
    Mais pourquoi cette opposition, si je n’avais fait que suivre le Christ en sauvant la vie d’hommes au risque de la mienne et prêt à la donner à tout mo­ment ?

    Une parole, celle de la tradition, résonnait à mes oreilles : « Tu es dominicain, de l’Ordre créé pour les études et la défense de la foi, recherchant les hé­ré­tiques certainement pas pour leur sauver la vie. Comme tel, tu es un religieux engagé dans le service religieux comme le chœur, la prédication, le culte, la vie en communauté. Maintenant ton engagement à sau­ver des hommes de leurs périls te met en dehors de la condition de vie de l’état de religieux. C’est un engagement, certes, nécessaire, mais il doit être ac­com­pli par d’autres. »
    Mais le Christ, alors ? « Nous devons imiter le Christ, mais ne pas confondre sa mission avec la nôtre. Le Christ n’a pas donné sa vie pour sauver les hommes des persécutions ou des abus des pou­voirs politiques, mais du péché. Si dans notre res­pon­sa­bilité politique nous devons combattre ces abus et défendre notre liberté, c’est notre droit, ce­pen­dant l’imitation du Christ est plutôt d’exhorter les oppri­més à supporter leur souffrance et à l’offrir en sa­cri­fice à Dieu pour la rémission des péchés de ceux qui les provoquent. »
    Oui, j’ai compris, mais peut-être trop. Si l’homme religieux, quand il peut sauver des hommes oppres­sés, s’en abstient pour ne pas sortir de la condition de son statut et profite de cette situation pour les ex­hor­ter à subir les souffrances imposées pour les of­frir en sacrifice d’expiation pour les péchés de leurs persécuteurs, c’est de l’héroïsme pour un homme nor­mal et de l’aliénation pour un religieux. Parce qu’en réfléchissant ainsi, on laisse le délinquant com­mettre son crime, afin que la victime le sauve par le sacrifice de sa souffrance ou de sa mort. Fo­lie !

    Plus folle encore m’apparaissait la mission que la foi confie au Christ. Le fils de Dieu offre sa vie à son père comme prix de rachat de la condamnation à mort que les hommes ont subi pour leurs péchés, afin qu’ils obtiennent de lui le pardon et rede­vien­nent éternels comme au début. Et Dieu est amour ! Mais comment peut-il l’être s’il ne concède sa grâce que quand son exigence de justice est satisfaite avec pour prix la mort de son propre fils ? Mais le Dieu du Christ est-il un père ou, comme l’en accuse le blasphème en usage en Toscane, un bourreau ?


    Ces doutes m’amenaient à penser que ma carrière de docteur en théologie était finie, et que je com­men­çais peut-être celle de critique. Je me rappelais les paroles du père Brown. J’avais certes la théo­logie, mais celle-ci n’était pas plus qu’une quille po­sée sur ma main, un souffle la ferait tomber par ter­re. Je devais sortir de cette situation et me mettre en condition d’entreprendre un autre challenge, celui de sauver la raison offerte en sacrifice au Dieu de la foi ! Et je me retrouvais dans une « forêt sauvage, et âpre et forte, à laquelle penser renouvelle la peur » !




Rédigé de 2009 à 2012




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t505600 : 19/12/2020