Pour bien comprendre les paroles de Jean, nous chercherons à nous mettre dans la même situation d’intelligence et de conscience que le lecteur auquel il s’adresse.
   Nous croirons donc au Christ en ayant de Jésus la connaissance commune de tout le monde d’alors. Nous savons de lui qu’il est un Juif galiléen bâtard qui, ayant la conviction d’être appelé par Dieu à une mission prophétique, a prêché et œuvré en vue du « renouvellement de toute chose ». Il était convaincu par une illumination prophétique que Dieu est le Père de tous les hommes et que nous sommes tous des frères. Compatissant envers les faibles et les pauvres, mais dur et intransigeant à l’égard des riches et des détenteurs du pouvoir et des traditions, il fut pris lorsqu’il occupa le Temple pour le libérer du pouvoir des grands-prêtres, S’étant échappé, il fut à nouveau saisi, jugé et condamné à la crucifixion, pour sédition et tentative de prise du pouvoir.

   Nous commencerons donc à lire les évangiles, sûrs de trouver dans cet homme les signes susceptibles de l’accréditer comme Christ.
   Mais en lisant, nous ne trouvons pas les choses tout à fait ainsi. Nous trouvons en Jésus un prophète qui a conscience d’être le Christ et qui en montre effectivement les signes. Tout en jouant un rôle prophétique, il a une visée qui dépasse celle d’un prophète. Il ne se borne pas à annoncer la parole de Dieu, mais agit pour atteindre une finalité qui est propre au Christ, celle de sauver les hommes du péché. On constate ainsi qu’il nait, parle et meurt comme doit naître, parler et mourir le Christ. On reconnaît qu’il est le Christ aussi bien par la situation miraculeuse de son existence, que par la signification de ses paroles, et le prodige de ses actes.

   Dans les quatre évangiles, Jésus apparaît ainsi comme le Christ incognito qui se fait reconnaître par des signes. Mais si on les parcourt de Marc jusqu’à Jean, on constate qu’il y a un crescendo dans l’efficacité de la démonstration.
   Chez Marc, il est comme un héros qui accomplit des actes qui montrent en lui une force divine, mais il n’est reconnu fils de Dieu qu’au moment de sa mort tragique. À la fin du récit, on lit : « Le centurion qui était en face de Jésus, voyant qu’il avait expiré de la sorte, dit : assurément, cet homme était fils de Dieu » (Mc 15:39).
   Chez Matthieu, il est un prophète qui accomplit les Écritures concernant le Christ en paroles et en actes, en sorte que toute la prophétie biblique prend sens en lui.
   Chez Luc, il est comme un acteur qui joue le rôle du Christ par les actes et les paroles de sa propre existence.
   Enfin, dans le quatrième évangile, il déclare à tout moment être le Christ, et il agit par des actes qui le montrent comme tel. L’efficacité des signes est telle qu’il n’est condamné que parce qu’il se fait Fils de Dieu.

   À la suite de ce regard d’ensemble sur les évangiles, que pouvons-nous répondre à Jean, dont l’intention était d’écrire un livre pour qu’on croie que Jésus est le Christ ? A-t-il apporté des arguments de crédibilité vraiment convaincants ? Je dirai oui, dans la mesure cependant où on croit au Christ des Écritures et où on s’assure que les écrits remontent à des témoignages de foi qui sont aussi documents d’histoire. Pour le croire, il faut que les témoins auxquels les écrits se rapportent, aient vu de leurs propres yeux que Jésus a donné vraiment des signes suffisants pour se faire reconnaître comme étant le Christ des Écritures venu dans le monde. Luc avait pressenti la nécessité de cette condition, en s’assurant que la tradition se rapportant à ces témoignages était vraie, par « des recherches exactes sur toutes ces choses depuis le commencement » (Lc 1:3). Aurions-nous des motifs d’en douter ?