ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie


Au risque de croire





Église en dialogue avec le monde :
une quête du Christ dans le monde


Sommaire

Préface
Quittez un monde bon
Vivre la foi dans le siècle

Présence de l’Église au monde

Église en dialogue avec le monde
- Introduction
- Quête du Christ
  . Dialogue Église-monde
    - Catholicisme
    - Piétisme
    - Orthodoxie protestante
  . Le monde, lieu de
    souveraineté de Dieu
- Dialoguer aujourd’hui
- Parole et image

Itinérance : une quête du sens

Croire au-delà des perplexités

En écoutant l’Alléluiah d’Hændel




. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

Le dialogue Église-monde dans les théologies classiques :
l’orthodoxie protestante


   Un premier niveau de réflexion devrait envisager d’une part la conception luthérienne des « deux royaumes », d’autre part la conception réformée et calviniste de la « distinction sans séparation » des deux cités (la cité céleste et la cité séculière).

   La conception luthérienne est sans doute plus radicale que l’autre ; peut-être, par plusieurs aspects, est-elle plus proche de la position piétiste que de l’attitude catholique.
   La conception réformée calviniste tente d’éviter, dans son intention profonde, à la fois la confusion et la rupture entre l’Église et le monde ; elle distingue l’Église et le monde. À ce propos, la conception de Calvin des rapports de l’Église et de l’État est significative de ce qu’on appelle aujourd’hui le dialogue de l’Église et du monde. L’Église est un « corps » dont le Christ est l’unique chef ; elle appartient au domaine de la grâce, c’est-à-dire qu’elle est le lieu de la liberté intérieure face au monde. Sa parole est libre et n’est pas liée par les paroles et les traditions humaines, c’est ce qui fonde son autorité et sa mission. L’État existe comme réalité distincte de l’Église, mais il n’est pas autonome mais lié à Dieu qui l’a institué. Il n’est donc pas un mal à supporter, il a sa mission spécifique : conserver dans la justice l’ordre de la création. Il a ainsi une dignité éminente et il est revêtu d’une autorité véritable, attestée par la « gloire » qu’il porte et dont il doit se servir.
   Ainsi, pour Calvin, à côté de l’Église il y a l’État, en face de l’État il y a l’Église : l’un est distinct de l’autre, sans jamais être séparé ni confondu. Cependant, des rapports étroits existent entre l’un et l’autre. Pour Calvin, l’État est le garant de l’ordre extérieur de l’Église, bien qu’il n’ait en aucune façon à prendre la direction spirituelle de l’Église. Mais, principalement, la signification de l’État pour l’Église se situe sur le terrain politique, dans la perspective presque exclusive de l’obéissance du chrétien au « magistrat », « vicaire de Dieu ». Le magistrat est politiquement le témoin et le dépositaire de l’ordre de justice voulu par Dieu. Pareillement, le service que l’Église rend à l’État réside dans son rôle prophétique, posant une limite à l’autorité du prince. Si le prince n’a de comptes à rendre qu’à Dieu, il doit voir cependant dans le ministère prophétique de l’Église un signe que Dieu jugera sa gestion, son « vicariat ».

   Karl Barth a, lui-même, établi une sorte de parallélisme dans la distinction sans séparation entre la « communauté chrétienne » et la « communauté civile ». Il écrit : « Le rapport entre communauté civile et communauté chrétienne a son rôle positif, qui résulte du fait que les éléments constitutifs de la première appartiennent également à la seconde et lui sont indispensables. Le terme « ekklesia » est lui-même emprunté au domaine politique. La communauté chrétienne vit et agit elle aussi dans le cadre d’un ordre, d’un statut légal, d’un « droit ecclésiastique » ayant force obligatoire pour tous ses membres, ordre qui n’a d’ailleurs pas son but en lui-même, mais que l’Église se doit de dresser dans le monde comme un « signe de la souveraineté du Christ ».La communauté chrétienne existe elle aussi toujours et partout, en tant que « politeia » ayant ses autorités et ses fonctions propres, ses formes d’association et ses secteurs d’activité. Les différents pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire qui caractérisent la vie de l’État ont leurs parallèles bien nets dans la vie de l’Église, en dépit du caractère plus libre et plus mouvant qu’ile revêtent ici et du fondement purement « spirituel » qu’on leur attribue… Appelée à servir le peuple tout entier d’une localité, d’une région ou d’un pays déterminé, la communauté chrétienne a au moins autant d’importance que la communauté civile » (1). Plus loin encore : « La communauté chrétienne entend exiger que la forme et la substance de l’État orientent les hommes vers le Royaume de Dieu et ne les en détourne pas. Elle ne demande pas que la politique humaine coïncide avec celle de Dieu mais que, dans la distance infinie qui la sépare d’elle, elle lui soit parallèle » (2).

   La position de l’orthodoxie protestante, réformée particulièrement, nous paraît tenir à la fois de l’ambiguïté du catholicisme et de celle du piétisme. Le « monde » est toujours le lieu où le péché règne ; cependant, il est aussi celui où s’exerce la souveraineté du Christ. Le Christ est au centre du « monde », « tête » du tout ; mais au centre du grand « cercle mondain », le Christ constitue son « corps », distinct du monde sans être séparé de lui. Nous retrouvons ainsi à la fois des aspects du schéma des cercles concentriques de la thèse de l’encyclique Ecclesiam suam de Paul VI (3), et des éléments du schéma piétiste (4), car dans la distinction existe toujours une part de séparation.
   Dans la pratique de l’orthodoxie protestante, l’ambiguïté est si évidente que la vie des hommes se trouve partagée en deux domaines : un domaine religieux (du culte, des activités d’Église s’étendant jusqu’à la vie familiale et professionnelle), et un domaine mondain distinct (c’est-à-dire séparé) : le culturel, le social, et surtout le politique. Aujourd’hui, plus qu’au temps de Calvin qui n’était pas encore sorti de l’ère de la chrétienté, il devient de plus en plus difficile de saisir les rapports entre ces deux domaines. À ce niveau, il serait utile d’entreprendre une étude de sociologie religieuse de l’Église réformée en France au cours de ces dernières années, pour tenter de mettre en lumière cette distorsion.



   Ainsi, dans les théologies classiques des différentes Églises, le point de départ est toujours l’Église, et la fin de l’Église est le Royaume de Dieu. Pour elles, le monde n’a qu’une existence provisoire, accidentelle : il devra disparaître progressivement par une extension de l’Église (selon la thèse catholique), ou au travers d’une crise, le jugement dernier lors du « retour du Christ » (selon les thèses piétistes et des orthodoxies protestantes). Pour les uns (piétisme et protestantisme), le dialogue Église et monde relève d’une théologie de la tension et de la rupture ; pour l’autre (catholicisme), il relève d’une théologie évolutive, d’une extension progressive de l’Église vers le Royaume par absorption du monde dans cette évolution. Mais dans un cas et dans l’autre, le monde en tant que tel est appelé à disparaître.

______________

(1) Karl Barth, Communauté chrétienne, communauté civile, CPE, 1947, pp.11-12.   Retour au texte

(2) Ibid. p.40.   Retour au texte

(3) Voir.   Retour au texte

(4) Voir.   Retour au texte



juin 1971




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tc521130 : 05/12/2019