ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisL’écriture des évangiles |
Mort et résurrection :La christologie de la tradition apostolique |
Sommaire Introduction La foi en Jésus-Christ Mort et résurrection - Tradition apostolique - Théologie paulinienne Refoulement et sublimation de Jésus Tournant historique de l’Église Naissance de l’anti évangile De l’Évangile aux évangiles Structure de l’anti évangile Structure des évangiles Le Jésus de l’histoire Genre littéraire et genre référentiel . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
J’entends rapporter ici la formulation christologique de la communauté chrétienne primitive, qui fut celle de Jérusalem dont le noyau était constitué par les apôtres et les frères de Jésus. La source principale sur cette christologie réside dans deux discours prononcés par Pierre et rapportés dans les Actes. Certes, il peut paraitre naïf de considérer ces discours comme des documents d’histoire, car d’une part l’auteur était trop éloigné dans le temps pour être rapporteur fidèle d’un discours, et d’autre part les Actes sont moins une histoire du christianisme primitif qu’une interprétation à partir d’une perspective qui lui est postérieure. Malgré cela cependant, et en dépit du style et de la structure de ces discours qui sont de Luc, il n’en reste pas moins que cette christologie est parmi les plus archaïques de la littérature néotestamentaire et sans doute la plus conforme à l’esprit judaïque de cette communauté primitive. Cette démarche christologique s’inscrit dans le cadre de la méthode herméneutique qui avait guidé les disciples dans la recherche du messianisme de Jésus : les Écritures demeurent le lieu de la compréhension du Christ. Les deux discours se rapportent à deux thématiques différentes du messianisme biblique, dont l’une gravite autour de la royauté davidique, et l’autre du serviteur de l’Éternel. Je ne donnerai pas de ces textes une analyse exhaustive, me contentant d’en dégager la conception christologique. Le premier discours aboutit à une compréhension de Jésus-Christ dans le cadre d’une interprétation du psaume 16. Il s’agit d’un cantique d’un lyrisme intense, où l’auteur se réjouit de la protection que Dieu lui accorde dans un moment où la nation cède au culte des idoles, et le prie de lui permettre de parcourir le cours normal de sa vie jusqu’à sa fin. Ce psaume est, selon la tradition, attribué à David et considéré comme messianique. L’attention est surtout portée sur le verset 10 qui, selon le texte hébreux, doit être traduit de la façon suivante : « Tu ne vas pas abandonner ma vie au Schéol, tu ne vas pas donner la vue de la fosse à ton fidèle ». Mais l’évangéliste, ayant sous les yeux la traduction grecque des Septante, lit : « Tu n’abandonneras pas mon âme dans le Schéol, tu ne permettras pas que ton saint voit la corruption ». Cette traduction n’est pas littérale, puisqu’elle ne se contente pas de reproduire tel quel le sens du texte, mais l’interprète dans le cadre d’un système de valeurs. En effet, chez les juifs, le Schéol, le séjour des morts, n’était pas différent du tombeau ou de la fosse, lieu de la déposition du corps ; les deux mots désignent la même réalité sous une représentation différente. En Grèce, par contre, le séjour des morts, l’Adès, ne coïncidait pas avec le tombeau, qui n’était que le lieu de la déposition et donc de la dissolution du corps, puisqu’on distinguait l’âme du corps. Il semblerait donc que les Septante aient traduit « fosse » par « corruption » en raison de cet arrière-plan philosophique inhérent à la langue grecque. Cette différence fut pour les interprètes de l’Église primitive d’une richesse insoupçonnée. Ils concevaient la mort comme un voyage qui s’accomplissait en trois moments : la mort, comme déposition au tombeau, la corruption, comme dissolution du corps, et l’entrée du défunt dans le séjour des morts. Le passage du tombeau au séjour des morts se faisait au troisième jour. En lisant le texte grec à la lumière de ce schéma, ils constatèrent qu’il n’excluait pas le premier moment du chemin de la mort, c’est-à-dire la mise au tombeau. Par contre il annonçait à leurs yeux la libération du Christ de la corruption et du séjour définitif parmi les morts. Le texte devenait ainsi une prophétie de ce qui s’était passé pour Jésus que Dieu, bien qu’il ait été mis dans le tombeau, avait empêché de subir la corruption et de rester mort entre les morts. Par une argumentation renversée, l’écrivain affirme aussi que la prophétie ne peut pas concerner David lui-même, auteur du psaume, puisque le fait que son sépulcre existait encore en ces jours montre bien qu’il était mort et séjournait parmi les morts. Ainsi, de même que le tombeau vide était le signe de la résurrection de Jésus, l’existence du tombeau le devenait de la mort de David. Si Jésus est ressuscité, il est le Christ, celui en lequel Dieu a accompli les promesses concernant la royauté davidique. Qu’est-ce en effet que la résurrection, sinon une élévation de Jésus au ciel, autrement dit au trône de Dieu, afin qu’il soit oint roi ? « Que toute la maison d’Israël sache que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié » (Ac 2:36). Jésus-Christ est donc compris dans le sens du messianisme davidique. En tant que Jésus, le Christ est « un homme à qui Dieu a rendu témoignage par des miracles, prodiges et signes… » (Ac 2:22). Aucune allusion à une naissance éternelle. Issu de la génération de David, Jésus est l’héritier légitime et messianique du royaume, et comme tel Dieu l’accrédite auprès du peuple par des signes. Il y a donc une continuité entre sa vie comme prétendant et la nouvelle vie de seigneur et Christ. N’étant pas totale, sa mort n’a pas apporté une véritable rupture entre les deux vies, elle n’a pas mené au néant mais à une dimension zéro entre la vie terrestre et la vie céleste. Vidée de tout tragique, la mort n’a été qu’un passage obligatoire pour l’obtention de la dignité royale, elle n’a eu de réalité qu’au niveau du signe qui a donné à comprendre qu’il n’était pas possible que Jésus fût retenu par la mort. Le second discours est axé sur la référence au messianisme postexilique du deuxième Isaïe : « Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos père a glorifié son serviteur Jésus que vous avez livré » (Ac 3:13). Jésus est assimilé au serviteur de l’Éternel, dont la souffrance et la glorification deviennent les interprétants de sa mort et de sa résurrection. Celle-ci demeure une exaltation, une glorification dans le cadre d’un royaume de Dieu qui s’étend sur toutes les nations. Dans cette tradition, la conception de Jésus-Christ reste dans les limites des représentations bibliques. Elle s’établit par une assimilation de Jésus aux grandes figures messianiques. Si à David et au serviteur de l’Éternel on ajoute Moïse et Élie – qui jouèrent surtout un rôle dans l’interprétation du tombeau vide – on peut affirmer que Jésus est celui en qui s’accomplit l’histoire biblique, aussi bien la libération de Moïse à Élie que la royauté instaurée par David et ouverte au monde par le serviteur de l’Éternel. Cette libération et cette exaltation se réalisent par sa résurrection. Celle-ci cependant, tout en accomplissant ces personnages bibliques, les dépasse puisqu’elle opère la libération et instaure la royauté dans le ciel et non sur la terre. Cela implique la mise en relation de Jésus également avec le messianisme de Daniel, et son assimilation au « fils de l’homme ». Libérateur comme Moïse et restaurateur comme Élie, roi comme David et exalté comme le serviteur de Dieu, il est encore ce « fils de l’homme qui apparaît dans les nuées » (Dn 7:13), et qui vient sur terre pour la soumettre au pouvoir de Dieu dans la justice et dans la paix. Le discours peut bien conclure : « Jésus-Christ, celui que le ciel doit recevoir jusqu’au temps du rétablissement de toute chose » (Ac 3:21). Cet aperçu sur les discours de Pierre nous montre la méthode du processus herméneutique suivi par la tradition apostolique primitive. Les disciples se sont approchés des textes messianiques en ayant sous les yeux la mort et la résurrection comme pôle de référence interprétative. Or la mort et la résurrection étaient au centre du messianisme eschatologique, dernier en date des courants messianiques bibliques. Il ne restait aux nouveaux herméneutes que de parcourir toutes les zones de la thématique messianique en la réduisant, par un processus d’assimilation analogique, à la mort et à la résurrection. Le Christ ne pouvant pas ne pas mourir et ressusciter, Jésus devenait la personne visée par les prophéties messianiques, de même que Jésus, par les derniers événements, paraissait postuler le Christ des Écritures. Ainsi l’image du Christ de la tradition apostolique demeurait-elle conforme à l’image traditionnelle, même si les traits qui la mettaient en relief étaient la mort et la résurrection. |
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![]() ![]() ![]() ![]() ![]() tg02100 : 19/02/2021 |