ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisL’écriture des évangiles |
Le tournant historique de l’Église |
Sommaire Introduction La foi en Jésus-Christ Mort et résurrection Refoulement et sublimation de Jésus Tournant historique de l’Église - Crise de civilisation - La destruction du temple - Du kérygmatique au narratif Naissance de l’anti évangile De l’Évangile aux évangiles Structure de l’anti évangile Structure des évangiles Le Jésus de l’histoire Genre littéraire et genre référentiel . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
Marc commence son récit par les paroles « Évangile de Jésus-Christ » (Mc 1:1). Cette expression est grammaticalement identique à celle qui désignait l’ensemble de la prédication apostolique. Elle en diffère cependant quant au sens. En effet, la prédication apostolique concernait le mystère du Christ seulement à partir de sa mort et de sa résurrection, et elle ne touchait à la vie de Jésus que d’une façon indirecte, par reflet et comme anticipation de sa gloire. Il s’agissait de recueils kérygmatiques des paroles, manifestations et actes, mais détachés de tout contexte biographique et visant à faire connaître la personnalité christique de Jésus déjà du vivant de celui-ci. Dans les « évangiles », par contre, Jésus devient l’objet direct et principal du récit. Aussi convient-il de souligner que, dans la tradition apostolique, le Christ n’était qu’un objet de parole – même si le discours qu’on tenait sur lui était censé avoir été révélé par le Christ lui-même – tandis qu’ici Jésus-Christ est à la fois objet et sujet de parole, puisqu’il s’agit d’un Évangile qu’il accomplit et annonce lui-même. Comment peut-on expliquer cette différence ? Il n’est pas possible de chercher à la comprendre comme une suite logique du processus historique de la prédication primitive, puisque le silence qu’elle faisait au sujet de Jésus était voulu, causé, comme nous l’avons vu, par l’antinomie entre la vie de Jésus et les prérogatives propres au Christ. Jésus avait été mis entre parenthèses en raison d’une censure exigée par le processus de sublimation de la foi. Par leur argument et leur méthode, les évangiles présupposaient donc un changement d’orientation dans la tradition catéchétique de l’Église. Mais quel fut l’événement qui fut à l’origine de cette nouvelle orientation ? Rappelons que les évangiles ont été écrits après 70, année fatidique qui vit la fin de la guerre de Judée par la destruction de Jérusalem, et les juifs enchaînés lors du triomphe des vainqueurs revêtus de la dignité impériale. Or il est surprenant que les synoptiques aient fait allusion à cet événement. S’agissant d’un fait qui était postérieur à la vie de Jésus, ils ne pouvaient l’inscrire dans cette vie que comme prophétie : Jésus en aurait fait l’objet d’un oracle lors de son dernier séjour à Jérusalem, peu avant sa mort. Pour que la destruction du temple par les armées romaines ait pris une telle importance dans les évangiles, c’est qu’elle devait sans doute avoir pour les écrivains et l’Église une grande portée historique. D’autant plus que les évangélistes ne se sont pas contentés d’y faire allusion, mais en ont fait l’objet d’une longue séquence. Les récits conduisent les lecteurs non seulement au-delà de la passion et de la mort de Jésus, mais aussi de sa résurrection, matière des chapitres qui la suivent, pour faire apparaître Jésus dans la plénitude de sa gloire. Il s’ajoute aussi que la destruction du temple y apparaît étroitement liée aux événements derniers de l’histoire, dans la mesure où elle marque l’avènement du Christ comme juge du monde. Pourquoi cet événement revêt-il une dimension eschatologique ? Aurait-il pu s’offrir pour devenir le signe par excellence de la « parousie » du Christ, si l’Église ne l’avait pas compris dans ce sens ? Mais alors qu’est-ce qui s’est passé dans l’Église et dans le monde, à la suite de cet événement, pour qu’on ait vu en lui la fin et le commencement du temps ? Je n’ignore pas que les exégètes de l’orthodoxie biblique s’efforcent de comprendre ce chapitre comme se rapportant à un oracle effectivement prononcé par Jésus. Dès lors, le récit n’aurait aucune référence réelle à la destruction historique de la ville, mais s’apparenterait aux récits bibliques eschatologiques. La page évangélique deviendrait ainsi claire, sans problèmes et presque transparente. Comme d’habitude, cette exigence de réalisme surnaturel met les exégètes orthodoxes dans un pétrin d’où il leur est impossible de sortir. Car pourquoi ce jumelage de la destruction de la ville avec l’eschatologie ? S’il revient à Jésus, on devrait constater que celui-ci s’est trompé, puisque les hommes attendent encore sa manifestation glorieuse. Si, par contre, elle nous vient des écrivains eux-mêmes ou de copistes, quelle garantie le texte nous donne-t-il pour la ramener à Jésus lui-même ? Comment l’anachronisme de ce mélange a-t-il pu échapper à ses écrivains et à ces copistes ? Je n’ai pas l’intention de poursuivre l’exégèse du texte, ni d’entrer en polémique avec les défenseurs de cette interprétation. À mon avis, il aurait suffi de porter l’attention sur l’importance que la destruction de la ville a revêtue non seulement pour le peuple juif, mais aussi pour les Romains et pour l’Église naissante, pour faire au moins soupçonner que le récit eschatologique des évangiles rapportait moins une prophétie de Jésus qu’une prise de conscience de l’Église elle-même. Les pages qui suivent montrent que cet événement revêt une dimension eschatologique en ce qu’il a constitué un véritable tournant historique qui a ouvert à l’empire, au judaïsme et au christianisme une nouvelle perspective d’existence : les temps passés étaient révolus. Quant à l’Église, elle y a reconnu le printemps des temps eschatologiques, dans la mesure où elle marqua la fin de son attente, la découverte de sa mission dans le monde sous l’action puissante du Christ Seigneur. Ce fut aussi cette prise de conscience historique – cette fin de l’attente eschatologique – qui fonda la nécessité de l’écriture des évangiles. |
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![]() ![]() ![]() ![]() ![]() tg04000 : 01/03/2021 |