ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisL’écriture des évangiles |
Le tournant historique de l’Église :Le signe de la destruction du temple |
Sommaire Introduction La foi en Jésus-Christ Mort et résurrection Refoulement et sublimation de Jésus Tournant historique de l’Église - Crise de civilisation - La destruction du temple . Interprétations romaines . Interprétations juives . Réaction de l’Église - Du kérygmatique au narratif Naissance de l’anti évangile De l’Évangile aux évangiles Structure de l’anti évangile Structure des évangiles Le Jésus de l’histoire Genre littéraire et genre référentiel . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
Les interprétations romainesFlavius Josèphe raconte que la destruction du temple avait été précédée par des signes. On avait constaté que la grande porte du levant, si lourde qu’elle devait être poussée par une vingtaine d’hommes, s’ouvrit par elle-même. La veille on avait vu, avant le coucher du soleil, des chars pleins d’hommes armés traverser les nuées tout autour de la ville. Enfin, le jour de la Pentecôte, le sacrificateur du temple avait entendu une voix répétant « sortez d’ici ! ». On peut sourire qu’un historien sérieux ait pu prêter attention à ces ouï-dire populaires, mais les historiens anciens, tels Josèphe, Hérodote ou Tacite, montraient en relatant les prodiges que l’objet de l’histoire n’est pas constitué seulement par les faits, mais aussi par la conscience des faits, qui est souvent déterminante dans le déroulement ultérieur du fait lui-même. Défectueuse par l’absence de prise en considération des facteurs objectifs de production, leur narration est cependant riche pour la connaissance des courants idéologiques populaires et des motivations profondes des événements historiques. En ce qui concerne les visions rapportées par Josèphe, elles sont d’une importance sans égale pour connaître la prise de conscience que le peuple eût de la destruction de la ville, car elles n’affectèrent pas seulement les assiégés mais aussi les assiégeants, et devinrent pour les juifs, les chrétiens et les Romains comme le miroir où ils reflétèrent l’interprétation qu’ils donnèrent de l’événement à partir du contexte de crise de leur propre culture. Tacite, lui, rapporte ainsi les phénomènes qui se seraient manifestés lors de la destruction du temple : « On vit dans le ciel des armées aux prises, des armées au rouge éclatant éclairer soudainement tout le temple. Les portes du sanctuaire s’ouvrirent brusquement d’elles-mêmes et une voix plus forte que la voix humaine annonça que les dieux en partaient, en même temps fut entendu un grand mouvement de départ » (Hist. 5,13). Que l’historien romain ait repris ce conte n’est pas étonnant, puisque sa méthode le menait à rechercher dans tout événement les motivations idéologiques et psychologiques qui l’avaient déterminé. Il est cependant surprenant, à première vue, qu’il ait donné à ce bruit populaire une si grande importance, puisqu’il ne se contente pas d’y faire allusion mais le décrit avec cette précision sculpturale dont il se sert pour les événements décisifs de l’histoire. Les trois visions rapportées par Josèphe – les chars dans le ciel, l’ouverture de la porte du temple et la voix – sont condensées par lui comme faisant partie d’un unique événement dramatique. Il montre qu’il croit au signe, en l’interprétant comme un présage faste pour le peuple romain : les dieux des juifs quittent leur demeure pour laisser place libre aux dieux des romains. Cette interprétation pourrait apparaître comme tout à fait rhétorique et comme acquise d’avance, puisque toute victoire emportait la défaite des dieux des vaincus face aux dieux des vainqueurs. Mais Tacite est allé au-delà des lieux communs de la vox populi : il a pris soin de s’enquérir au sujet du peuple juif, et surtout de tout ce qui concernait la guerre de Judée. Quoique l’histoire de Josèphe lui ait servi de base, il avait aussi consulté les archives d’État et avait constaté combien la voix populaire concernant ces visions et l’attente messianique qui les avait suscitées furent déterminantes dans l’accession de Vespasien à l’empire et dans la tournure que prit la guerre. Son interprétation des présages du temple s’inscrivait dans ce contexte. Lorsque Vespasien occupa la Palestine, il lui fallait attaquer Jérusalem, où s’étaient retranchés les chefs de la révolte. Mais il dut se contenter d’ordonner le siège de la ville sans la prendre, car les nouvelles qu’il recevait de Rome étaient si graves et si explosives qu’elles exigeaient de sa part une longue réflexion et des consultations au plus haut niveau politique. Galba s’était emparé du pouvoir et Vespasien lui avait envoyé son fils Titus pour l’assurer de sa fidélité quand, au cours de ce voyage, le nouvel empereur fut tué par ses propres soldats qui élirent Othon. Devenu empereur, celui-ci rencontra une opposition armée chez Vitellius, chef des légions de la Rhénanie. Le pouvoir impérial, ayant perdu son fondement de légitimité, ne pouvait plus être octroyé que par consensus militaire. Prenant conscience de cette nouvelle situation, les légions d’Orient élirent à leur tour Vespasien comme empereur. La guerre civile devenait inévitable. Avant d’accepter le titre et quoiqu’il ait reçu l’adhésion de son fils Titus, mais aussi de Mucinus, lieutenant des légions de l’Euphrate, le général romain prit le temps d’une analyse approfondie de la situation. Consciencieux, méticuleux même, il ne pouvait s’engager dans cette entreprise sans avoir bien pesé ses chances de réussite. Il était d’autant plus prudent qu’il mettait les intérêts de l’État au-dessus de sa propre ambition : s’il acceptait sa nomination ce ne serait pas pour s’emparer du pouvoir mais pour lui donner une nouvelle assise par la création d’une dynastie digne de celle des Césars. Or ses origines étaient modestes et ne pouvaient pas prétendre remonter, comme celle d’Auguste, jusqu’à une génération divine. Il ne pouvait compenser ce manque que s’il était sûr du vouloir des dieux à son égard. C’est dans ce but qu’il décida de consulter les oracles d’Égypte et du Carmel. Les réponses qu’il en reçut furent fastes et, de surcroît, elles furent accréditées par des prodiges de guérison qu’il opéra lui-même sur un aveugle et sur un boiteux, ainsi que sur un phénomène d’ubication. Mais d’abord, il prit soin de connaître aussi les oracles du peuple qu’il avait combattu et vaincu. Il ne manquait pas d’hommes capables de le renseigner, puisque l’historien Josèphe faisait partie de son entourage. Il apprit ainsi que les livres anciens du peuple juif avaient vaticiné que des rois provenant de Judée s’empareraient du pouvoir du monde. Pour lui et ses conseillers, ces rois venant de Judée ne pouvaient être que lui et son fils Titus. S’appuyant sur ces oracles et ces signes il put donc accepter la charge d’empereur et s’engager sans crainte dans la guerre civile pour la libération de Rome. Tacite avait cru lui aussi à l’intervention des dieux dans la nomination de Vespasien, d’autant plus qu’il avait vu dans la crise de l’empire une situation tragique dont la solution ne pouvait venir que du Destin. Sa croyance s’inscrivait dans la certitude de foi qu’il avait en l’éternité de Rome. Ses pages tragiques sur la crise, aussi bien que son récit de l’élection de Vespasien se situaient dans la ligne de l’épopée virgilienne. L’ascension à l’empire de la famille des Flaviens confirma l’oracle divin au sujet de l’empire donné à César. Mais, fait surprenant, ces prédictions rencontraient celles des oracles du messianisme juif, qui se trouvait ainsi être renversé : ce n’était pas au rejeton de David qu’avait été octroyée la domination du monde, mais à la gens romaine. Ainsi l’empereur devenait-il Christ avant que le Christ ne fut Seigneur. |
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![]() ![]() ![]() ![]() ![]() tg04210 : 01/03/2021 |