ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


L’écriture  des  évangiles




Le tournant historique de l’Église :

Discours kérygmatique et discours narratif




Sommaire

Introduction

La foi en Jésus-Christ

Mort et résurrection

Refoulement et sublimation de Jésus

Tournant historique de l’Église
- Crise de civilisation
- La destruction du
   temple
- Du kérygmatique au
   narratif


Naissance de l’anti évangile

De l’Évangile aux évangiles

Structure de l’anti évangile

Structure des évangiles

Le Jésus de l’histoire

Genre littéraire et genre référentiel



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   Ce tournant historique obligea l’Église à changer aussi de discours.

   Je rappellerai que celui-ci était auparavant de nature kérygmatique, puisqu’il était annonce d’un message, appel en vue d’un rassemblement. À son écoute, les gens abandonnaient leur situation d’existence, quittant leur travail et leur maison, leurs traditions et leurs engagements. Leur présent n’étant considéré que comme un passé, ils devaient en sortir comme d’un tombeau. Même s’ils se réunissaient, leur rassemblement était vide car il était sans événement, celui-ci étant à venir et attendu, et même s’il était survenu, il aurait anéanti le temps : présent coupé du passé dont la réalité était attente, l’événement était la parole elle-même. Les rassemblés constituaient donc une communauté de contemplants, d’orants, de voyants sans action. Leur existence était un exode du monde et de l’homme lui-même, fuite de l’histoire dans la recherche d’un idéal qui entraînait la destruction du réel.
   On dira que les disciples de Jésus s’étaient réunis en Église à la suite de la foi en la résurrection, qui fut précisément l’événement qui fonda leur nouvelle existence. Mais nous avons vu que la résurrection ne fut qu’un fait de parole. Même si nous croyions qu’au-delà de cette parole il se passa aussi un événement, celui-ci ne fut pas historique mais transcendant : sa chair, ce qui le rendait visible et saisissable, n’était que l’énoncé de la parole.
   Quoi qu’il en soit, selon l’énoncé de la tout première croyance, Jésus ne ressuscita que pour disparaître et monter au ciel. Loin de situer Jésus dans le monde, sa résurrection visait à l’en détacher complètement, et comme vivant et comme mort. Sur la terre il ne restait rien de lui, il n’y avait qu’un tombeau vide. S’il se donna à voir, ce fut par la représentation d’un personnage, et lorsque les disciples le reconnurent par-delà cette représentation, ils ne purent retenir la personne car elle s’évanouit, les laissant en face d’une commémoration symbolique : la fraction du pain.

   La parole devint donc lieu de ce rassemblement dont elle fut appel. Elle devint signe et donc commémoration, célébration de son propre signifié son référent demeurant insaisissable. Parole qui avait vidé le passé pour l’interpréter, mais qui ne se substituait que dans la représentation du futur. Elle ne fut pas mémoire mais anamnèse, célébration et non anticipation du futur.
   Le discours kérygmatique, tel qu’il nous apparaît dans les épîtres de Paul et dans l’arrière-plan des évangiles, n’a pas de perspective historique. S’il touche à des situations concrètes, c’est pour les inscrire dans une perspective métahistorique. En ce qui concerne les recueils des souvenirs de Jésus, ils ne rapportent que des paroles et des actes détachés de tout contexte, devenus précisément des expressions thématiques susceptibles de s’inscrire dans toute situation concrète. Quant aux événements de sa vie, ils sont moins historiques que littéraires. Jésus – nous l’avons vu – a dû renoncer à sa propre historicité pour devenir apte à supporter l’image idéale du Christ. Celui-ci étant de l’ordre de la parole, il fallait réduire Jésus au niveau d’un signe.

   En changeant d’orientation, l’Église se trouva aussi dans la nécessité de passer à un autre discours. L’avènement du Christ dans le monde lui donnait conscience d’être l’événement du monde : non plus une communauté, mais une nouvelle humanité en cours d’enfantement. Elle devint praxis historique. La parole ne cessa pas pour autant, mais elle exigea de s’incarner dans le temps.
   Les évangiles surgirent de cette nécessité. Dès lors qu’elle possédait une visée historique, il fallait que l’Église accréditât ses origines : elle ne devait pas appuyer son espérance sur des miracles, mais sur l’efficacité de son action, il lui restait à prouver qu’elle possédait par naissance les créances de légitimité de sa mission dans le monde. Elle s’érigeait à l’encontre du judaïsme et face à l’empire, revendiquant au nom du Christ d’être l’héritière légitime des promesses messianiques. Mais qui était ce Christ ? Quel titre revendiquait-il pour prétendre à la succession davidique ? De quel prestige jouissait sa personne pour rivaliser avec les Césars ?
   D’où la nécessité d’inscrire le Christ dans le contexte de l’histoire de Jésus. De même qu’au commencement du discours théologique, « il fallait » que Jésus fut Christ, mort et ressuscité comme le Christ des Écritures, de même il fallait que le Christ fut Jésus, qu’il possède une généalogie, qu’il fût né comme un grand du monde, qu’il eut son message pour les hommes et qu’il eut accompli des exploits qui le montrent Seigneur et Sauveur. Le Christ ne pouvait être l’oméga de l’histoire s’il n’en avait été aussi l’alpha. Ainsi l’Église sortit-elle de de son anamnèse pour se mettre en quête de mémoire.



c 1980




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