La réaction de l’Église :
l’Église des gentils
L’Église des
gentils aussi avait vu dans la destruction du
temple le signe qui annonçait le commencement des temps eschatologiques. Mais il ne s’agissait pas pour elle du règne de
Dieu mais de celui du
Christ. Celui-ci lui était apparu comme un prince héritier auquel le roi confie l’entreprise de soumettre à son pouvoir des nations rebelles : elles doivent être conquises avant de faire partie du royaume. L’événement de la destruction de
Jérusalem marquait donc l’apparition du
Christ sur la
terre pour la soumettre à la domination de
Dieu, il ne s’agissait pas du règne céleste mais d’une domination intermédiaire destinée à préparer les hommes au règne éternel.
Ainsi, tandis que l’Église de
Jérusalem attendait dans sa solitude et à l’écart la fin du monde, celle de l’
oikoumène gréco-romaine se voua à un engagement historique, parallèle à celui de la nouvelle
dynastie des Flaviens, pour une nouvelle ère dans le monde, celle de la paix et de la justice. L’Église découvrait une dimension historique.
La destruction du
temple put être assumée comme signe de cette nouvelle ère, dans la mesure où l’Église de l’
oikoumène se fondait sur le dépassement de la loi par l’Évangile.
La destruction du
temple constituait l’événement qui consommait la rupture entre le judaïsme et le christianisme, le triomphe de la foi sur la loi, l’entrée de l’Évangile comme puissance dans l’histoire du monde. C’est pour cela que les récits évangéliques concernant cet événement manifestent un caractère épique : on y retrouve sans doute la terreur propre aux récits eschatologiques, mais celle-ci se double d’une exaltation de victoire, où la plainte est effacée par la réjouissance.
Les textes trahissent l’intention d’une glorification que les symboles apocalyptiques n’ont pas réussi à occulter. Nul doute qu’ils ont été écrits après que les
chrétiens de Rome eurent pris part au triomphe de
Vespasien et
Titus sur les
juifs, en s’en réjouissant comme d’un triomphe du
Christ lui-même. Ils constituent l’Évangile dans les évangiles ! Ils célèbrent la manifestation de l’Évangile dans le monde pour remplacer le droit et la loi. Il n’est pas étonnant que, en dépit de sa brièveté, cette page condense en elle l’histoire de l’Église dans ses événements les plus marquants : la persécution des
apôtres et celle de
Néron, l’évangélisation de l’
oikoumène et la crise de
l’empire, la guerre de
Judée et la destruction du
temple. L’Église met le récit de son histoire dans la bouche prophétique de
Jésus, afin de le comprendre comme accomplissement messianique.
Quant aux signes populaires de l’événement, ils se laissent entrevoir entre les lignes même s’ils ne sont pas explicites au niveau du texte.
L’ouverture de la porte du
temple peut bien se trouver voilée sous l’allusion au
Christ qui est «
aux portes ». C’est le moment tragique de l’occupation, quand le
peuple attend contre toute espérance l’apparition du
Christ, le cherchant cependant ailleurs. Pour l’Église cette ouverture de la porte du levant ne pouvait être comprise que comme celle d’un tombeau :
Dieu avertit ses élus de fuir la mort, de quitter à jamais
le temple.
Celui-ci doit être détruit, comme par interdit, afin d’abolir les imposés rituels et les contraintes de la tradition, l’obligation de la loi et la propitiation du culte. Tout disparaît dans le passé, comme l’ombre face à la lumière. « Le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus de lumière, les étoiles tomberont du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées » (
Ap 6:13-15).
Quant aux signes dans les nuées, alors que le
peuple y avait vu des chars armés, l’Église, elle, y avait reconnu la venue du «
fils de l’homme » en grande puissance.
La grande voix, au contraire, fut interprétée comme venant des
anges, qui rassemblaient les élus «
des extrémités de la terre jusqu’aux extrémités de la terre » (
Ap 7:2). Il n’y avait donc pas d’ouverture de
temple dans le
ciel, le temple disparaissait pour céder la place à l’Église, communauté rassemblant tous les hommes sous le pouvoir du
Christ.
Ainsi l’Église trouvait-elle dans cet événement la solution de sa crise. Elle sortait de son attente eschatologique douteuse et périlleuse, où elle menaçait de s’enliser, pour s’ouvrir à l’histoire. Ainsi, elle parvenait à son autonomie en se séparant du judaïsme, et en en assumant les perspectives. Elle trouvait enfin son unité à la dimension de
l’empire.