La réaction de l’Église :
l’Église de Jérusalem
En ce qui concerne la communauté de
Jérusalem, elle avait quitté
la ville bien avant le siège, se refusant à être entraînée dans les conséquences tragiques de la résistance.
Par un compromis qui nous échappe encore dans ses détails elle avait réussi, dans un premier temps, à se maintenir en équilibre entre les synagogues et les Églises grecques. Mais l’exigence d’autonomie et de rupture de celles-ci à l’encontre du judaïsme l’obligea sinon à se séparer d’elles, du moins à se détacher de
Paul, premier responsable à ses yeux de leur antijudaïsme. L’insurrection les mettait maintenant en conflit aussi avec celui-ci : il était plus facile à l’orthodoxie juive d’accepter la cohabitation avec une secte qui croyait que la venue du
Christ s’était accomplie, qu’à l’Église de reconnaître l’existence d’une autre secte qui prétendait accomplir l’ère messianique. Christianisme judaïsant et zélotisme étaient irréductibles, le départ de
la ville évita donc l’éclatement d’un conflit qui aurait sans doute été tragique pour l’Église.
Pour peu que nous parvenions à nous faire une idée de sa christologie, tout nous oblige à penser qu’elle ne pouvait pas accepter un engagement politique et militaire de ses croyants, même conçu en vue du retour du
Christ, car d’une part ce retour ne revenait qu’à la volonté de
Dieu, et d’autre part tout engagement armé contre les puissances aurait diminué le pouvoir du
Christ lui-même.
Mais peut-on connaître l’interprétation que cette Église donna à la destruction du
temple ? À mon avis, elle se trouve reflétée dans
l’
Apocalypse, si toutefois celle-ci s’inscrit dans une tradition qui remonte à l’Église de
Jérusalem. En effet sa christologie semble bien se rapporter en dernière analyse à celle de l’Église primitive judaïsante, puisque dans ses visions le
Christ est toujours présenté comme le point de rencontre entre la tradition judaïque et l’évangile.
Les visions concernant la destruction de
Jérusalem sont contenues dans le
chapitre 11. Sous l’énigme de ses images, il est possible de retrouver les signes relatés par
Josèphe. La voix entendue par le
sacrificateur est reprise dans les paroles «
Et ils entendirent du ciel une voix qui disait : Montez ici. Et ils montèrent au ciel dans la nuée et leurs ennemis le virent » (
Ap 11:12). Il convient de remarquer que cette voix lance un appel à la sortie analogue à celle de la vision rapportée par
Josèphe, de même qu’elle est suivie par une sortie effective du
temple des deux témoins. Aussi est-elle en correspondance avec «
la porte ouverte » du
temple et le départ de
Dieu. On notera encore qu’il y a une allusion explicite au fait que les non-croyants ont été témoins de la voix et de la montée au
ciel des deux témoins, comme ils le furent chez
Josèphe pour les signes du
temple.
L’image de «
la porte ouverte » est aussi reprise dans la vision concernant l’ouverture du
temple dans le
ciel, qui fait suite à celle de la montée au
ciel des deux témoins. La vision présuppose qu’il y a
deux temples, un sur la
terre et l’autre dans le
ciel, dans la mesure où il y a aussi deux
Jérusalem, la terrestre et
la céleste. Or le
temple dans le
ciel était resté fermé jusqu’à la prise de possession du royaume par
Dieu et son
Christ. Son ouverture marque ainsi le commencement de ce règne, et en même temps elle est en correspondance avec l’ouverture de la porte du
temple terrestre qui permet aux élus de monter dans le lieu céleste du culte. Mais cette sortie des élus nous oblige aussi à penser que
Dieu lui-même avait quitté
le temple, pour ne plus habiter que dans sa
demeure du
ciel.
On peut affirmer que
l’
Apocalypse, et par là l’Église de
Jérusalem, interprétait le signe à la lumière de l’oracle
d’Osée exploité par le judaïsme. Seulement, au lieu de faire fuir
Dieu dans le
désert et d’impliquer un retour à l’ère deutéronomique, l’Église le fait monter au
ciel non pas dans l’intention de renouveler, mais d’accomplir les promesses messianiques.
Dès lors il apparaît aussi probable que l’Église de
Jérusalem comprenait la vision des armées et des feux dans les nuées dans le cadre de la prise de possession du royaume par
Dieu après l’ouverture du
temple céleste. «
Et il y eut des éclairs, des voix, des tonnerres, un tremblement de terre et une forte grêle » (
Ap 11:13). C’est la description apocalyptique de la destruction du
temple, qui devient symbole de cette «
grande puissance » (
Ap 11:17) que
Dieu a montrée dans sa prise du pouvoir.
Quelle fut l’attitude de cette Église à la suite de la prise de conscience de l’avènement des temps eschatologiques ? Elle fut conforme à sa situation d’exil et de séparation. Elle ne pouvait qu’attendre l’action du
Christ pour l’établissement de son royaume mais, espérant la fin prochaine du monde, dépourvue de toute perspective historique, elle ne pouvait que s’éteindre.
L’
Apocalypse elle-même, au moins dans les visions qui suivent la destruction du
temple, représentait une sortie de cette attente passive et une insertion dans l’Église universelle et œcuménique à laquelle elle apportait un esprit de lutte contre
l’empire. Le noyau primitif de la communauté judaïsante devint de plus en plus une secte, dont le destin ne pouvait être que la mort.