ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


L’écriture  des  évangiles




Mort et résurrection :

L’image du Christ dans la théologie paulinienne




Sommaire

Introduction

La foi en Jésus-Christ

Mort et résurrection
- Tradition apostolique
- Théologie paulinienne

Refoulement et sublimation de Jésus

Tournant historique de l’Église

Naissance de l’anti évangile

De l’Évangile aux évangiles

Structure de l’anti évangile

Structure des évangiles

Le Jésus de l’histoire

Genre littéraire et genre référentiel



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   Paul a toujours revendiqué face aux apôtres l’originalité de sa doctrine, qui était pour lui moins redevable à la prédication apostolique qu’à la révélation du Christ lui-même. Le conflit qui l’a opposé dès le commencement à la tradition judaïsante de l’Église de Jérusalem et qui a abouti à la rupture montre que cette revendication était fondée. La thèse qui mena à cette rupture fut sans doute la proclamation de la justification par la foi et non par les œuvres de la loi, car elle remettait en cause le principe même qui régissait la communauté apostolique. Pour Paul l’Évangile, en menant la Thora à son accomplissement, la vidait et la rendait complètement inutile (voir l’étude antérieure).
   Mais on serait dans le faux si on faisait de cette thèse le fondement de la théologie paulinienne. Au contraire, elle n’en était qu’une des conséquences, quoique la plus évidente et la plus marquante. Quant au fondement, il convient de le rechercher dans la conception du Christ elle-même : Paul s’opposa aux apôtres au point de rompre avec eux parce que son Christ n’était pas celui des apôtres.

   Multiples sont les passages qu’on devrait approfondir si on voulait décrire d’une façon exhaustive la représentation paulinienne du Christ, et je ne pourrai pas le faire dans cet aperçu, dont le but est synthétique et indicatif. Je m’arrêterai seulement, comme je viens de le faire pour la tradition apostolique, à un des textes parmi les plus anciens de la pensée paulinienne, parce que susceptible d’indiquer la conception du Christ la plus proche de l’expérience de la conversion de l’apôtre, le deuxième chapitre de la Lettre aux Philippiens.
   Ce chapitre est l’esquisse d’un drame qui, par son contenu, s’approche des grandes tragédies grecques visant à la solution du tragique humain. Son contexte est une représentation cosmologique en trois étages : le ciel, la terre et l’enfer, dont le premier est le siège des esprits, le deuxième des hommes et le troisième des puissances maléfiques et des morts. Le tragique apparaît en ce que les hommes et les morts ne peuvent pas monter au ciel, de même que les êtres célestes ne pourraient pas non plus venir sur terre sans se renier eux-mêmes. Les trois univers apparaissent donc comme séparés par un interdit, qui présuppose une chute.
   La solution de ce tragique cosmologique est donnée par le Christ, le fils de Dieu. Existant de tout temps dans le ciel, « en forme de Dieu » (Ph 2:6), l’origine de celui-ci est divine. Le mot « forme » (morfé) ne doit pas nous tromper, puisqu’il est synonyme de « corps », c’est-à-dire de matière qui concrétise et individualise l’être, mais étant divin il s’agit d’un « corps spirituel » composé d’une matière de lumière, transparente et sans épaisseur, légère et incorruptible. Le Christ serait donc une créature se distinguant de Dieu en ce qu’elle aurait un corps.
   Quoi que fils de Dieu, le Christ aurait pu pécher par orgueil, dans la mesure où il aurait pu être tenté de devenir égal à Dieu. Au contraire, non seulement il n’a pas cédé à la tentation mais il s’est anéanti, prenant la forme d’esclave propre aux hommes. Paul nous fait entrevoir le grand drame qui a conditionné la situation des hommes : des êtres célestes se seraient laissés tenter, dans la préhistoire du temps céleste, de devenir égaux à Dieu, et Dieu les aurait chassés du ciel et jetés dans les enfers. Ces êtres célestes déchus seraient justement ces puissances qui tiennent les hommes captifs du mal.
   La néantisation du fils de Dieu s’inscrit donc dans le plan d’une rédemption de l’univers du pouvoir exercé par ces puissances : de même que la ruine de l’homme a trouvé comme principe l’orgueil, son salut a pour origine l’obéissance et l’humiliation.

   Il a beaucoup été écrit au sujet de la Kénose, mais les interprétations ont été pour la plupart conditionnées par des conceptions dogmatiques. Dans le schéma de mon interprétation, elle implique un véritable anéantissement du fils de Dieu, et la mort réelle à son existence céleste, car si le fils de Dieu a un corps « spirituel » qui l’individualise et le rend concret et visible comme être céleste, il ne pourrait devenir homme sans perdre ce corps et donc mourir à son existence et assumer un corps « charnel ».
   Il ne faut pas chercher à comprendre l’incarnation du fils de Dieu de la théologie paulinienne à la lumière de l’incarnation du Logos du quatrième évangile, car dans celle-ci il n’y a pas de tragique. Si l’on cherche à atténuer la Kénose en la considérant comme une humiliation n’impliquant pas la mort de celui qui s’incarne, on la vide de toute sa profondeur et de son originalité et elle devient incompréhensible.

   Celui qui apparaît sur la terre est donc un dieu mort à son existence divine. Son existence humaine serait moins une incarnation qu’une réincarnation, si le corps qu’il a abandonné dans sa première mort avait été de chair. Mais s’agissant d’un corps spirituel et non charnel, il convient de parler de « réincorporation » : son être demeure divin, son corps est humain. Mais quel est le but de sa nouvelle existence ? Obéir au Père jusqu’à la mort, et à une mort telle qu’elle efface sa divinité aux yeux des hommes. Son but est une seconde Kénose, pour que l’homme esclave du péché meure en lui et puisse trouver par sa montée au ciel le chemin de l’immortalité.
   La mort du Christ est donc totale : non seulement il pénètre dans le tombeau, mais il y laisse définitivement son corps charnel. Ainsi, tandis que les apôtres ont cherché à comprendre la résurrection comme une reprise du corps charnel qui aurait été libéré de la corruption, ici elle se réalise par une reprise du corps céleste. Le corps charnel doit être abandonné à la corruption car il est nécessaire que le Christ habite dans les enfers de façon aussi réelle et concrète qu’il a habité la terre : de même qu’il a été un homme vraiment vivant, il doit être un homme vraiment mort, comme tous les hommes. Il ressuscite lorsque la vie et la mort du péché se sont accomplies en lui. En ressuscitant, il monte au ciel en reprenant son corps glorieux. Mais si le corps est le même, sa gloire change car tandis que jadis il était dans une situation d’épreuve sans avoir de pouvoir ni sur la terre ni sur les enfers, maintenant il devient seigneur de tout l’univers, aussi bien du ciel que de la terre et des enfers.

   Les thèses que Paul développe dans les grandes lettres – le salut par la foi, la réconciliation, la récapitulation de toute chose en Christ – ne sont que des conséquences de ce salut cosmique et universel par la double mort ou Kénose du fils de l’homme.



c 1980




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