ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


L’écriture  des  évangiles




Le Jésus de l’histoire :

La reconstruction de la figure de Jésus




Sommaire

Introduction

La foi en Jésus-Christ

Mort et résurrection

Refoulement et sublimation de Jésus

Tournant historique de l’Église

Naissance de l’anti évangile

De l’Évangile aux évangiles

Structure de l’anti évangile

Structure des évangiles

Le Jésus de l’histoire
- Détours et aboutissement
- Échec des modes
   traditionnels de lecture
- Coupure référentielle
- Reconstruction de la
   figure de Jésus


Genre littéraire et genre référentiel



. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .


   À l’aboutissement de cette double analyse, nous nous trouverons donc face à ces éléments d’information que les écrivains avaient reçus des juifs et qui avaient servi de matériau dans la rédaction de leurs récits. Ce résultat est analogue à celui d’une fouille : une multitude variée et hétérogène de pièces qu’il faut avant tout classer et dont il convient, par la suite, de rechercher la fonction.

   La classification apparaît de prime abord difficile, puisqu’il s’agit de phrases mutilées ou modifiées et aussi d’énoncés qui, pour avoir été détachés de leur contexte, sont dépourvus de sens. Mais si on regarde ces éléments à partir du récit dont ils ont été tirés, on constate qu’ils n’occupaient pas la même place : certains faisaient partie des situations de base et apparaissent comme des schémas géographiques et chronologiques ou comme des canevas d’action et d’intrigue ; d’autres, par contre, sont des références isolées dans la mesure où, détachés de leur contexte, ils ont été employés comme éléments décoratifs, accessoires ou supplétifs ; en troisième lieu viennent les traits appartenant à l’image originelle de Jésus. Ce triple classement est déjà suffisamment différencié pour nous permettre de procéder à la reconstruction des éléments, dans un récit qui soit image de celui qui fut à l’origine.
   Le premier groupe comprend, comme je viens de le dire, des situations de base qui couvraient l’étendue du champ référentiel du récit. Elles sont en effet géographiques et chronologiques, et elles se rapportent aussi bien à des intrigues qu’à des actions. Si on suit le jeu de leurs affinités, elles s’offrent comme des panneaux indicateurs, susceptibles de nous aider à tracer, à différents niveaux, des schémas possibles du déroulement des faits auxquels les témoignages originels se rapportaient. Dans la reconstruction de ces schémas, les situations de base exercent la même fonction que les tracés d’une fondation pour la représentation d’un édifice détruit. En effet, quoique les données soient séparées par des ruptures, présentant ainsi des lignes coupées et interrompues, il est possible de combler les vides en suivant la cohérence de leur affinité.
   Sans doute ces schémas sont-ils en partie hypothétiques, il n’en demeure pas moins qu’ils sont opératoires, dans la mesure où ils servent d’épreuve pour la réorganisation des autres éléments obtenus par l’analyse et des traits correspondants à l’image de Jésus. En effet, tandis qu’une adaptation cohérente de ces éléments confirmera l’exactitude des schémas, leur résistance à une insertion conduira à des corrections ou à de nouvelles adjonctions, jusqu’à parvenir à un tout cohérent.

   Pour conclure, je dirai qu’il est possible de connaître Jésus de Nazareth, mais seulement sous la forme d’une maquette ou d’une esquisse, et dans les limites des informations contenues dans les écrits néotestamentaires.
   Sans doute est-il légitime de s’interroger sur l’objectivité de ce discours : est-il historique ? Cette appellation, à mon avis, ne peut revenir qu’à un récit qui se propose de rapporter des faits sur la base d’une documentation explicite et incontestable. Or ce nouveau discours s’appuie au contraire sur des éléments d’information qui ne parviennent pas, quant à leur objectivité, à dissiper toute méfiance. En effet, à leur origine, ils se trouvaient enfouis dans l’infrastructure des récits évangéliques après avoir été détournés de leur signification originelle. Ils existaient, pour ainsi dire, comme une matérialité sans forme, puisqu’ils étaient placés en fonction d’une structure qui reniait leur sens primitif. Pour les rétablir dans leur fonction de documentation, il a donc fallu les tirer du silence du texte par la déstructuration du discours, mais aussi les compléter dans leur énoncé et découvrir ainsi leur sens.
   Ainsi, tels qu’ils se trouvent dans le discours, ils apparaissent comme des documents non seulement redécouverts, mais aussi redits, interprétés, traduits en discours. Rigoureusement, ce ne sont pas des documents d’histoire. Cependant leur valeur d’objectivité demeure, car ils s’inscrivent dans le cadre d’un autre discours, celui qui est propre au jugement qui, tout en n’étant pas historique, se rapporte au réel. Celui-ci n’est pas un discours qui se détermine par la jonction de documents, mais par la mise en opposition de témoignages contradictoires qui prétendent au réel. Ainsi la vérité de ses énoncés demeure-t-elle conditionnée, en dernière analyse, par la présomption que les deux témoignages – celui de la défense et celui de l’accusation – sont objectifs au niveau de leur négation. Le jugement n’est que la traduction en énoncé d’une objectivité qui reste au niveau du non-dit et du non-être du discours. Il implique donc un processus de renversement critique et d’interprétation, il est discours qui demeure sujet au soupçon, dans la mesure où il s’est efforcé de préserver de tout soupçon ses propres fondements, il résiste donc à être inscrit dans l’historiographie mais il prétend au réel.

   Tel est le discours qu’il est possible de tenir sur Jésus de Nazareth. On peut parler de lui en mettant en contradiction les témoignages contradictoires à son sujet, ceux de l’accusation et ceux de la défense. On ne peut parler de lui qu’en restant dans le cadre de son procès, mais en le conduisant à son terme par l’acte critique de jugement.
   Dans ce contexte, on peut aussi affirmer que cette recherche de Jésus est l’unique façon de lui rendre justice. Le sort que l’Église et l’histoire ont réservé à Jésus de Nazareth est en effet tragique, car s’il est vrai que l’Église en a assumé la défense après sa condamnation, il n’en reste pas moins que Jésus n’a pas été acquitté par l’histoire. C’est que l’on ne connaît Jésus que par le biais de sa défense, qui a sciemment caché sa réalité d’homme.
   Après l’avoir refoulé dans l’inconscient des croyants lors de la prédication apostolique, elle l’a évité, le cachant dans le silence des textes, lors de son tournant historique. L’Église a eu peur de lui : peur de sa réalité d’homme et peur de son image d’antéchrist. Elle a préféré le voir dans une image qui le transfigurait, le donnant à voir dans une vision de rêve, le rêve de sa mission historique, de son ambition démesurée à refaire le monde et où l’image du Christ ne représentait que le prototype de l’homme qu’elle voulait enfanter.
   Réduit dans le silence des textes par une censure aussi sévère qu’une torture, le Jésus de l’histoire y apparaît cependant comme une ombre pour demander au lecteur qu’on lui fasse justice : justice contre l’écrit qui le cache, et contre le Christ qui le couvre d’un masque. Ces pages ne prétendent pas à d’autre mérite que de chercher à lui rendre justice.



c 1980




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