ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


La crise galiléenne




La mise entre parenthèses du contexte et l’analyse du miracle :

Le miracle du rassasiement de l’Église



Sommaire
Avertissement au lecteur

Mise entre parenthèses du contexte
- Introduction
- Le symposium du récit
- Les miracles du Christ
- Miracle de la croissance
- Miracle de la constitution
- Miracle du rassasiement
  - Équilibre économique
  - Le Christ tarda à venir
  - De riche à pauvre
  - L’action du Christ
- Miracle de prédication
- Du miracle du Christ au
   miracle de Jésus
- Jésus accomplit un miracle
   du Christ

Mise entre parenthèses du miracle

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L’action du Christ


   Dans le premier regard que nous avons jeté sur le récit, nous avons vu qu’il reflète, en l’anticipant dans la vie de Jésus, l’assemblée eucharistique de l’Église. Dans ce miracle, Jésus n’opère que ce que le Christ était censé accomplir lors de la célébration de la fraction du pain. Les remarques que je viens de faire nous permettent de déterminer concrètement cette action du Christ.
   Il s’agit toujours de la vie qu’il donne à tous ceux qui sont en communion avec lui. Mais le mystère de cette communion (coinonie) s’approfondit et se densifie, car la fraction du pain trouve son sens moins dans la participation à la mort et à la résurrection du Christ que dans la communion avec son incarnation par sa kénose. La mort et la résurrection demeurent, mais elles sont revécues d’une autre façon et au niveau social ; ceux qui participent à la fraction du pain meurent avec le Christ, mais d’une mort qui se réalise par le renoncement au surplus de consommation comme de thésaurisation. L’eucharistie n’est plus à l’image des rites des mystères, mais elle devient rite nouveau, moins axé sur l’au-delà que sur l’histoire. S’il est, certes, mystère, il concerne cependant le présent, la naissance des hommes à une humanité par le partage des richesses.
   Le récit montre donc que l’Église avait inscrit dans la symbolique eucharistique sa propre praxis d’économie politique. De même que, jadis, elle communiait avec le corps du Christ pour attendre sa venue, maintenant elle communie pour s’offrir comme corps. La kénose que le Christ avait accomplie en lui-même, il la reproduit dans l’Église – son corps – afin qu’elle aussi parvienne à sa résurrection. Désormais l’Église devenait l’image de la cité future, dans la mesure où elle parvenait à réaliser en elle-même l’idéal de la société parfaite, une société dans laquelle l’unité des membres s’accomplit dans l’égalité, chacun pouvant non seulement manger à sa faim, mais vivre selon ses besoins. La fraction du pain exprimait cette nouvelle réalité, qui était à la fois événement et mystère, œuvre des hommes et miracle du Christ.

   En nous approchant plus près du texte, il nous est possible d’y découvrir les traces du double moment de la praxis du partage du surplus, l’un représenté par le repas, et l’autre par le ramassage des « restes ».
   On notera d’abord le symbole des cinq pains. D’où viennent-ils ? Ils se trouvaient là, justement comme un reste, qui pouvait appartenir aussi bien aux disciples qu’à la foule. La mise en relief de l’impossibilité de nourrir avec ces restes les cinq mille hommes présents traduit le fait encore inconcevable et inimaginable de pouvoir résoudre le problème de la faim par le partage du surplus et l’abolition de l’inégalité entre les hommes. Et cependant, en divisant ces pains et en les partageant, le miracle s’opère : tout le monde mange à sa faim, du même pain et abondamment. Le repas devient donc image des communautés fraternelles éparses dans les provinces de l’empire. Cette multitude de pauvres exprime dans le récit la multitude des chrétiens qui trouvent dans le partage des richesses la solution au problème de la faim.
   Quant à la deuxième partie du récit, elle représente la praxis ecclésiale des collectes. En effet, ce qu’on ramasse dans les corbeilles n’est pas un rebut destiné à la poubelle, mais le surplus qui n’a pas été consommé par les convives. Le texte ne dit pas à qui ce surplus est destiné, mais il n’est pas difficile de le deviner : il est pour les pauvres, ceux qui sont demeurés en dehors de ce repas. Tout en se rassasiant par le partage du surplus, l’Église cherche elle aussi à produire du surplus pour rassasier les indigents qui l’entourent. C’est le signe que la collecte devient permanente, même après la disparition de la famine. Il convient de souligner aussi le mouvement circulaire de la « diaconie » exercée par les apôtres, qui sont les intermédiaires entre le Christ et la foule pour la distribution du pain et le deviennent entre l’Église et les pauvres pour la distribution du surplus de l’Église.

   Par le biais du miracle et sous le symbole eucharistique, le récit est pour nous un des documents les plus importants sur la réalité sociale de l’Église. Elle apparaît déjà comme l’union des hommes destinée à remplacer les Koinon créés dans les provinces de l’empire : de même que des peuples différents devenaient un par le culte de Rome et de l’empereur, dans l’Église ils l’étaient au nom du Christ et par la fraction du pain. Mais, alors que, dans le culte de l’empereur, le Koinon restait extérieur, comme une fête, un marché ou un rassemblement politique, ici il était vie, communauté. Là les hommes étaient réunis par le pouvoir, ici par le service ; là ils restaient soumis à l’inégalité des classes, ici ils parvenaient à être égaux par le partage.

   Quelques détails dans le récit trahissent cette intention de l’Église de se substituer au Koinon impérial. On y trouve en effet que, pour le repas, la multitude de cinq mille personnes fut divisée par groupes de cent et de cinquante. Pour donner une cohérence à cette division, il faut la comprendre au sens de cent groupes de cinquante personnes, ou de cinquante groupes de cent. Or il se trouve que Rome était une ville de cinq cent mille habitants, divisés en centuries qui n’avaient d’autre fonction que la distribution du blé. Étrangement, le rassemblement des évangiles correspond au nombre d’habitants de Rome, divisé par cent. De plus, pour qu’on puisse distribuer à cette foule le pain et les poissons, elle est divisée en centuries.
   Coïncidence, dira-t-on, et je serais prêt à le croire si l’Église n’avait pas pris son grand tournant qui, de la visée eschatologique, la mena vers un projet historique. Dans la mesure où elle se formait à l’image du Koinon impérial et représentait le Christ à l’image de l’empereur, ce détail de cinquante groupes de cent personnes montre bien que l’Église était convaincue d’être la nouvelle cité qui remplaçait Jérusalem et Rome, devenant ainsi le centre véritable de l’oicumene.



1984




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ti15400 : 09/05/2017