ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris


Les apparitions dans les évangiles





Les apparitions de Jésus aux Onze


Sommaire

La foi au Christ ressuscité

Le Christ est ressuscité

Les apparitions d’anges aux femmes

Les apparitions «privées» de Jésus

Les apparitions de Jésus aux Onze
- Le Christ ressuscité
- Selon Marc
- Selon Matthieu
- Selon Luc
- Selon les Actes
- Selon Jean

La structure des textes évangéliques




. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

Selon les Actes des apôtres


   Luc parle à nouveau de l’apparition de Jésus aux Onze dans le prologue de son autre livre, les Actes des apôtres. Mais ce nouveau récit n’est pas une répétition pure et simple du premier : il en est plutôt un approfondissement, l’évangéliste y présentant le même fait sous un éclairage différent. En effet, bien que dans la première version – celle de l’évangile – Luc établisse déjà une relation entre l’apparition de Jésus et la Pentecôte (1), ici il présente cette apparition comme ayant lieu exclusivement en vue de la manifestation de l’Esprit. L’étude de ce texte présente donc un grand intérêt, car elle peut nous permettre de mieux apprécier l’influence que l’expérience et la catéchèse de l’Église ont eues sur l’élaboration de l’évangile de la résurrection.

   Le caractère de ce nouveau récit apparaît dès ses premières lignes : « J’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le commencement jusqu’au jour où, après avoir donné par le Saint Esprit ordonnance aux apôtres qu’il avait choisi, il fut enlevé » (Ac 1:2).
   Luc présente la vie de Jésus comme si elle n’avait pas été interrompue par la mort ; il la présente comme un ensemble de faits et d’enseignements se succédant sans discontinuité depuis le « commence­ment » jusqu’à l’ascension. Le dernier fait de cette succession, celui qui précède immédiatement l’ascension, est l’apparition de Jésus aux Onze.
   Dans l’évangile, cette apparition avait pour but d’amener les disciples à prendre conscience de leur mission, à travers les Écritures. Ici, par contre, – comme aussi chez Marc et Matthieu – elle est l’événement même de l’apostolat : Jésus donne aux apôtres des instructions qui ont la portée d’une consigne et d’une ordonnance, c’est donc de ces dernières paroles du Seigneur que naît la mission apostolique.
   D’autre part, Luc souligne que les apôtres qui reçoivent cette consigne sont ceux-là mêmes que Jésus avait choisis ; et enfin, il affirme qu’ils reçoivent ces ordonnances par le « Saint-Esprit ». Ordonnance, élection et Saint-Esprit sont les trois éléments qui nous permettent de reconnaître dans ce rassemblement des apôtres autour du Christ ressuscité l’origine de l’Église telle que Luc la présume précisément dans ses Actes. Jésus peut bien être enlevé au ciel puisque, sur la terre, il laisse ses apôtres qui, par leur collégialité, forment le lien qui unit sa personne et l’Église.

   « C’est encore à eux qu’avec de nombreuses preuves il s’était montré vivant après sa passion : pendant quarante jours, il leur était apparu et les avait entretenus du royaume de Dieu » (Ac 1:3).
   Ce qui, dans le récit de l’évangile, semble se passer dans le cours d’une seule journée, se déroule ici sur une période de quarante jours. Ce fait nous donne à penser que le témoignage et l’enseignement des apôtres bénéficiaient, aux yeux de l’Église, de la même autorité que les Écritures. En effet, l’Église détermine le temps pendant lequel ont lieu les apparitions, et qui sépare la résurrection de l’enlèvement au ciel, par rapport à la manifestation de Dieu à Moïse sur le Sinaï : de même que Moïse était resté sur la montagne quarante jours et quarante nuits, pour écouter et recevoir la Loi et les commandements de Dieu (Ex 24:12-18) ou pour les écrire (Ex 34:28), de même les apôtres demeurent dans la présence glorieuse du Ressuscité quarante jours et quarante nuits, pour recevoir les instructions du Seigneur concernant le Royaume.
   L’Église est donc vue comme le nouveau peuple de Dieu, les apôtres comme ceux qui héritent l’autorité du prophète pour transmettre la Loi à l’Église ; quant au Christ ressuscité il est, lui, la manifestation de Dieu pour l’Église et dans l’Église. C’est cette théologie, nouvelle, qui a obligé Luc à changer d’optique en ce qui concerne l’apparition de Jésus et à en modifier le récit lorsqu’il la raconte pour la seconde fois. Car il veut souligner, cette fois, qu’il s’agit de la dernière rencontre par laquelle Jésus, achevant son enseignement aux apôtres, les charge de le transmettre à l’Église (voir Ex 34:32).

   « Alors, au cours d’un repas qu’il partageait avec eux, il leur enjoignit de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre ce que le Père avait promis, « ce que », dit-il, « je vous ai appris : Jean, lui, a baptisé d’eau, mais vous c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés sous peu de jours » (Ac 1:4).
   Selon le premier récit – et même s’ils sont en mesure d’offrir à Jésus du poisson grillé – les disciples ne se sont pas assis pour un repas. Ici, au contraire, les disciples sont à table, et Jésus avec eux. Cela probablement – nous pouvons le penser – parce que Luc veut donner à cette dernière apparition de Jésus un caractère eschatologique, cet ultime repas du Ressuscité avec ses disciples liant ceux-ci non seulement à la Sainte Cène, mais aussi au repas du Royaume, annoncé lors de cette cène (Lc 22:16). Réunis autour de cette table, nous ne trouvons plus des disciples craintifs et angoissés, pleins de doutes et d’interrogations, mais des apôtres qui mangent ensemble, déjà conscients qu’ils forment l’Église. Quant à Jésus, il n’a pas besoin ici de leur prouver l’authenticité de sa personne : il mange avec eux, comme l’un d’eux, titulaire d’une place que personne ne peut plus, désormais, lui contester.

   Ce que Jésus dit aux Onze, pendant ce repas, explique les paroles : « Après avoir donné, par le Saint-Esprit, ses instructions » (Ac 1:2). En effet, Jésus parle du baptême « dans l’Esprit » et, à la fin, de la « force » qui rendra les apôtres témoins de la parole. Dans son premier récit, Luc faisait déjà allusion à la Pentecôte mais, s’éloignant en cela de la tradition synoptique représentée par Marc et Matthieu, il avait omis le baptême. Dans sa nouvelle version du récit, il pallie cette omission. Mais le baptême que Jésus promet à ses disciples n’est pas le même que celui de la tradition synoptique : il ne s’agit plus du baptême de Jean, que l’Église administre par l’immersion et par l’évocation du nom de Jésus, mais d’un baptême « dans l’Esprit ». Il apparaît donc que le baptême et la Pentecôte sont, ici, une seule et même chose. Comme Luc le fera comprendre par la suite, les apôtres seront baptisés « dans l’Esprit », dans la mesure où ils seront « immergés » dans le « vent », signe visible de l’Esprit (Ac 2:2).
   Par ce baptême d’Esprit, Luc veut en quelque sorte augmenter l’autorité des apôtres, car il conçoit la mission apostolique non seulement à l’image de celle de Moïse dans le récit qui concerne l’établissement de la Loi, mais aussi à la lumière de la transmission de l’Esprit, de la personne de Moïse à celle des Anciens du peuple : « Yahvé dit à Moïse : « Assemble-moi soixante-dix des anciens d’Israël… Tu les amèneras à la tente de réunion, où ils se tiendront avec toi. Je descendrai m’entretenir avec toi, mais je prendrai de l’Esprit qui est sur toi pour le mettre sur eux » (Nb 11:16-17).
   Il est clair que le Christ promet aux apôtres de leur donner ce même Esprit qu’il avait reçu lui-même lors de son baptême dans le Jourdain (Lc 3:22). Les disciples sont donc ses héritiers, puisqu’ils reçoivent la consigne de prêcher la Parole, mais surtout parce qu’ils reçoivent la prophétie de cette Parole. Par l’Esprit, leur enseignement devient prophétique, fondement d’une nouvelle Écriture, le Nouveau Testament.
   On comprend maintenant pourquoi Luc affirmait que Jésus avait donné ses instructions aux disciples « par le Saint-Esprit ». C’est en effet par le baptême dans l’Esprit que leur prédication et leur enseignement aux Nations, dont ils ont reçu la consigne, deviendront une force de témoignage ; c’est par la transmission de l’Esprit de Jésus sur eux-mêmes que les Onze deviendront vraiment apôtres, puisqu’ils deviendront prophètes. Pour conclure cette dernière rencontre, Jésus leur dit en effet : « Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint, qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux confins de la terre » (Ac 1:8).

   Le voilà donc, le but vers lequel tend tout le récit : le témoi­gnage apostolique ! Mais c’est le témoi­gnage apostolique conçu selon la confession de foi de l’Église de Jérusalem, telle qu’elle est décrite précisément dans les premiers chapitres des Actes. Ayant poussé jusque-là notre analyse, il nous faut donc relire le récit de l’apparition de Jésus, en quelque sorte à rebours, et le reconstruire à partir du baptême dans l’Esprit. Ce que faisant, nous constatons qu’il n’est pas autre chose que le transfert de cette vérité de foi que croit et vit la première Église « pentecôtiste », dans une scène fictive représentant un repas des apôtres avec leur Seigneur. En réalité il ne se passe rien lors de cette rencontre, car Jésus ne fait qu’annoncer et promettre le véritable événement, qui se passera « sous peu de jours ». Le récit est là pour nous faire connaître la plénitude christique et ecclésiale de cet événement, car c’est en lui que l’évangile s’accomplit. L’événe­ment de l’évangile coïncide avec l’avènement de l’Église.
   Jérusalem reste le lieu de l’accomplissement du salut, car elle est la ville où Jésus est mort, celle où il est resuscité, celle où il est apparu et a donné ses instructions ; elle est le lieu où l’Esprit est descendu pour se répandre sur les apôtres en vue de l’évangélisation du monde. Plus encore que dans son premier texte, Luc veut insister, ici, d’abord sur la primauté des Églises de Jérusalem sur les Églises « galiléennes », mais surtout sur son authenticité. Car, alors que les Églises de tradition galiléenne, bien qu’invoquant le nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, n’en sont encore qu’au baptême d’eau, comme le donnait Jean, les Églises de Jérusalem, elles, baptisent de l’Esprit car c’est l’Esprit seul qui compte, c’est lui qui est « le baptême » au sens évangélique du mot : le baptême de Jean, même s’il est donné au nom de Jésus, n’est qu’une préparation propre au catéchuménat.

______________

(1) Voir.   Retour au texte




c 1981




Retour à l'accueil L'apparition de Jésus selon Luc Haut de page La première apparition de Jésus d'après Jean      écrire au webmestre

t265400 : 29/02/2020