ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Ennio Floris
Les apparitions dans les évangiles
Les apparitions de Jésus aux Onze
Sommaire
La foi
au Christ ressuscité
Le Christ
est ressuscité
Les apparitions
d’anges aux femmes
Les apparitions
«privées» de Jésus
Les apparitions de Jésus aux Onze
-
Le Christ
ressuscité
-
Selon Marc
-
Selon Matthieu
-
Selon Luc
.
Les paroles de Jésus
.
Analyse
du discours
-
Selon les
Actes
-
Selon Jean
La structure
des textes évangéliques
. . . . . . . . - o
0
o - . . . . . . . .
Selon l’évangile de Luc :
les paroles de Jésus
Dans l’évangile de
Luc
, le
Seigneur apparaît aux
Onze au moment où les
disciples
d’Emmaüs, de retour à
Jérusalem,
leur racontent «
ce qui s’était passé en chemin et comment
ils… avaient reconnu
(
Jésus)
à la fraction du pain ;
ils parlaient encore, quand
il se présenta au milieu d’eux et leur dit : « Paix à vous »
» (
Lc 24:
35-36
). Le récit qui suit est comme divisé en deux parties : dans la première (
Lc 24:
38-43
),
Jésus dissipe les doutes des
disciples et les convainc de la réalité physique de sa personne, dans la seconde
il les éclaire sur les Écritures.
Ce souci de démontrer que la réalité du
Ressuscité est physique ne se trouve ni chez
Marc
ni chez
Matthieu
. Pour
eux, « l’apparaître » du
Christ ressuscité et le fait
qu’il parle sont des preuves qui suffisent à démontrer cette réalité. Pourquoi donc, chez
Luc
, ce souci, que nous retrouvons aussi chez
Jean
? Telle est la question que nous nous posons en lisant ce texte, et à laquelle nous voulons chercher à répondre.
Pour une raison de méthode, nous commencerons par analyser les paroles du
Ressuscité, et nous n’aborderons qu’ensuite la première partie de son discours.
En s’adressant aux
Onze,
Jésus reprend ce rôle d’interprète des Écritures
qu’il avait déjà joué auprès des
disciples
d’Emmaüs. Ce
Ressuscité se présente donc comme un catéchète, et ses paroles ne sont qu’une catéchèse résumée en trois thèses.
«
Telles sont les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous : il faut que s’accomplisse tout ce qui est écrit dans la Loi de
Moïse
,
les prophètes et les
Psaumes
» (
Lc 24:
44
).
Cette première thèse lie les événements de l’histoire de
Jésus à l’accomplissement des Écritures et des paroles de
Jésus lui-même. Elle unit donc les évangiles – considérés en tant que
logia
de
Jésus – aux Écritures pour interpréter tous les faits qui concernent
Jésus, ce qui équivaut à dire que
Jésus, étant le
Messie, doit être reconnu à ce
qu’il accomplit les Écritures.
La deuxième thèse concerne ce que les Écritures disent du
Messie : «
Ainsi était-il écrit que
le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et qu’en son nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait prêché à toutes les nations, à commencer par
Jérusalem
» (
Lc 24:
46-47
).
Cette thèse n’exprime pas tout ce que les Écritures disent du
Messie, elle se borne à affirmer qu’elles ont annoncé les trois événements fondamentaux de l’évangile : la mort de
Jésus, sa résurrection et la prédication en vue de la rémission des péchés. Or une telle affirmation ne peut résulter de la simple lecture des Écritures : elle présuppose une interprétation de celles-ci justement à la lumière de ces événements. Cela suffirait à nous faire comprendre qu’il ne s’agit pas de paroles que
Jésus aurait prononcées, mais que ce sont, transférées par
Luc
comme des paroles du
Ressuscité, les thèses fondamentales propres à l’Église primitive donc
Luc se fait le porte-parole.
Cela devient plus évident encore lorsque nous approfondissons le troisième point de cette deuxième thèse. En effet, on ne trouve nulle part dans les Écritures que «
Au nom du
Christ, la repentance sera prêchée à toutes les nations en vue de la rémission des péchés
» (
Lc 24:
47
). Et, chose plus curieuse encore, on ne trouve cette expression dans aucun des évangiles, et même pas dans celui de
Luc
. Chez
Marc
et
Matthieu
, le fait que l’évangile doive être prêché à toute créature est annoncé uniquement par
Jésus, lors de son apparition aux
Onze (donc après sa résurrection).
Luc, au contraire, présuppose que cette prédication a été annoncée par les Écritures ! Tout cela semble étonnant : en effet, on s’attendrait à ce que
Luc prête à
Jésus, en ce moment où
il apparaît, des paroles enjoignant aux
apôtres d’annoncer l’évangile selon l’optique propre à son évangile – qui est une optique prophétique et sociale – comme
Marc et
Matthieu l’ont fait dans le leur. Or, non seulement
les apôtres ne sont pas « envoyés », mais de plus la prédication aux Nations relève d’une perspective évangélique, la repentance en vue de la rémission des péchés, qui n’est pas celle du troisième évangile.
D’où vient donc cette formule, qui définit la prédication apostolique dans les limites imposées par cette perspective ?
Luc
nous donne lui-même la réponse à cette question dans son deuxième livre, les
Actes des apôtres
. En effet, si nous analysons les trois discours de
Pierre, nous constatons qu’ils aboutissent à la repentance en vue de la rémission des péchés (
Ac 2:
38
;
3:
19
). Nous pouvons affirmer que le « résumé » de catéchèse, que
Luc fait dire à
Jésus au moment de son apparition, reproduit le schéma même de ces discours.
Dans le premier discours, après avoir proclamé comme faits réels la vie, la mort et la résurrection de
Jésus,
Pierre affirme entre autres choses que «
il n’était pas possible
qu’il fut retenu en son pouvoir
» (celui du
Schéol) et cite, à l’appui de cette affirmation, le
psaume
16
; puis
il conclue en disant que
David
«
comme il était
prophète et savait que
Dieu lui avait juré par serment de faire asseoir sur son trône un descendant de son sang… a vu d’avance et annoncé la résurrection du
Christ
» (
Ac 2:
30-31
). Et aux auditeurs qui, à la fin de son discours, demandent «
Frère, que devons-nous faire ?
»,
il répond : «
Repentez-vous, et que chacun d’entre vous se fasse baptiser au nom de
Jésus-Christ pour la rémission des péchés, et vous recevrez alors le don du
Saint-Esprit
» (
Ac 2:
37-38
).
On retrouve ces mêmes thèses dogmatiques dans son deuxième discours : «
Dieu a accompli ce qu’il avait annoncé d’avance, par la bouche de ses
prophètes, que
son Christ souffrirait
» (
Ac 3:
18
) ;
«
Dieu
l’a ressuscité des morts, nous en sommes témoins
» (
Ac 3:
15
) ; «
Tous les
prophètes, ensuite, qui ont parlé depuis
Samuel et ses successeurs, ont pareillement annoncé ces jours-ci
» (
Ac 3:
24
) ;
«
Repentez-vous donc et convertissez-vous, afin que vos péchés soient effacés
» (
Ac 3:
19
) ; voir aussi
Ac 5:
31
.
Luc
, compagnon de
Pierre, comme ensuite de
Paul
, décrit l’apparition de
Jésus à la lumière du témoignage de
ces apôtres, surtout de celui de
Pierre, témoin plus immédiat de la résurrection, et dont les discours sont considérés comme étant l’expression des paroles mêmes de
Jésus. Le fait que les paroles par lesquelles
Jésus conclue son discours aux
Onze : «
De cela vous
(êtes)
témoins
» soient au présent et non au futur, alors
qu’ils n’ont pas encore commencé à prêcher l’évangile de la repentance et que
Jésus ne les a même pas encore « envoyés » en est une preuve, d’autant plus que, dans le récit parallèle des
Actes
, le même
Jésus dit «
Vous serez mes témoins à
Jérusalem, dans toute la
Judée et la
Samarie, et jusqu’aux confins de
la terre
» (
Ac 1:
8
).
Luc part donc du témoignage de
Pierre et la source de son récit ne doit pas être cherchée dans des paroles du
Christ ressuscité, mais dans l’affirmation réitérée de
Pierre : «
Nous en sommes témoins
» (
Ac 2:
32
;
3:
15
;
5:
32
).
Ce « résumé » de la prédication apostolique que
Luc
fait dire à
Jésus, comprend encore une troisième thèse, qui concerne l’envoi du
Saint-Esprit, et qui ne se trouve ni chez
Marc
ni chez
Matthieu
: «
Pour moi, voici que je vais envoyer sur vous ce que
mon Père a promis. Vous, donc, demeurez dans
la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en haut
» (
Lc 24:
49
). Contrairement à
Marc et
Matthieu,
Luc ne situe pas l’événement de l’envoi en mission des
apôtres au moment de l’apparition de
Jésus :
il se contente de l’annoncer comme l’accomplissement des Écritures concernant le
Messie. Quand cet événement va-t-il donc se situer ? Les dernières paroles que
l’évangéliste prête à
Jésus nous font comprendre qu’il coïncide avec la Pentecôte, que
Luc relatera dans les
Actes
. Le fait que l’apostolat soit ainsi déplacé de l’apparition de
Jésus à la Pentecôte nous autorise à penser que cette apparition et la Pentecôte ne sont qu’un seul et même moment : le moment où
les apôtres, saisis par l’esprit du
Christ, se redécouvrent
apôtres par l’expérience qu’ils ont, intérieurement, que
le Christ est ressuscité.
Pierre nous fait croire à cette expérience par ces paroles, qui suivent le récit de la Pentecôte : «
Et maintenant, exalté par la droite de
Dieu,
il a reçu du
Père
l’Esprit Saint, objet de la promesse, et
il l’a répandu
» (
Ac 2:
33
). La descente de
l’Esprit sur les
apôtres coïncide avec l’exaltation
du Christ, ce qui équivaut à dire que l’exaltation de
Jésus, sa résurrection en tant qu’enlèvement au
ciel, sont connues par la conscience que les
apôtres découvrent en eux de leur mission apostolique.
Le point de départ de
Luc
est donc cet événement, qui est la constitution de l’Église apostolique de
Jérusalem. C’est en partant de là
qu’il remonte aux origines, au
Christ ressuscité lui-même, afin de remplir le vide existant entre le
Jésus de l’histoire et le
Jésus de la gloire, en établissant une succession ininterrompue de faits : le
Christ mort est ressuscité,
il est apparu,
il est monté au
ciel et
il envoie le
Saint-Esprit sur les
apôtres. Ces quatre faits n’expriment pas autre chose que la plénitude du dernier d’entre eux. C’est la réflexion théologique qui
leur permet de traduire, dans les catégories propres aux faits historiques, ce qui est contenu dans la densité prophétique du témoignage des
apôtres et, par conséquent, dans l’expérience de l’Église naissante.
c 1981
t265310 : 13/04/2020