Sommaire
La foi au Christ ressuscité
Le Christ est ressuscité
Les apparitions d’anges aux femmes
Les apparitions «privées» de Jésus
Les apparitions de Jésus aux Onze
- Le Christ ressuscité
- Selon Marc
- Selon Matthieu
- Selon Luc
- Selon les Actes
- Selon Jean
. La première apparition
. La seconde apparition
La structure des textes évangéliques
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Selon le quatrième évangile :
la première apparition
Le quatrième évangile décrit la scène de l’apparition de Jésus aux Onze de la même façon que Luc (1) : les apôtres sont réunis le soir même du premier jour de la semaine, après que Pierre et l’autre disciple aient découvert le tombeau vide, et soudain Jésus « se tient au milieu d’eux » (Jn 20:19).
La première question que, cette fois encore, nous nous posons est : pourquoi les Onze sont-ils réunis ? Ils se sont réunis parce que Marie de Magdala, qui a vu le Seigneur, leur a rapporté les paroles que celui-ci lui a dites : « Va trouver les frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Jn 20:17-18). Ils se sont réunis pour attendre le retour du Seigneur, car il leur semble reconnaître dans ces paroles l’annonce d’un rendez-vous que Jésus leur aurait fixé.
Et nous trouvons effectivement ce « rendez-vous » dans le dernier discours de Jésus aux disciples, avant sa passion (Jn 16).
Si nous lisons l’évangile d’une façon « fondamentaliste », nous considèrerons ce discours comme une prophétie de la mort et de la résurrection du Christ, prophétie précise, sans équivoque, dans laquelle Jésus lui-même fait connaître à ses disciples leur reniement et leur dispersion, sa mort et sa résurrection, son absence et ses apparitions. Dans cette optique, l’apparition du Ressuscité s’expliquera comme étant la réalisation de cette prophétie, l’événement dans l’histoire de ce que Jésus avait prédit, et dont les disciples avaient eu pleine et parfaite connaissance.
Cependant, cette interprétation « historiciste » paraît absurde quand on comprend, en étudiant l’évangile de Jean, que ce dernier discours de Jésus, plutôt qu’une prophétie, est une théologie de la mort et de la résurrection, élaborée, spécifique du quatrième évangile et unique, et que, étant cela, ce discours ne peut avoir été prononcé par Jésus. Ce n’est pas Jésus de Nazareth, l’homme historique, qui a ce long entretien avec ces disciples, c’est un autre Jésus propre au quatrième évangile, personnage déjà interprété dans une élaboration théologique, et vu à travers la vie et la foi d’un groupe d’Églises ; c’est un Jésus né des événements et des paroles compris dans leur profondeur, et non pas considérés dans leur superficialité historique.
Il faut donc dire que, dans ce discours de Jésus, la résurrection n’est pas « prophétisée », mais déjà « racontée » ; quant au récit de l’apparition, il n’est qu’une matérialisation dans le temps et dans l’espace de cette vision du Ressuscité que le quatrième évangile veut proposer aux croyants. En effet, les paroles que Marie rapporte aux « frères » sont celles-là mêmes qui constituent le thème dont est inspiré le chapitre 16 de l’évangile : « Je vais au Père » (Jn 20:17-18). En fait, il s’agit là de la réponse que l’évangile donne aux questions posées par la mort de Jésus et par la disparition de son corps.
Au-delà du déroulement épisodique des faits a lieu le véritable événement, que les yeux de chair ne peuvent pas voir car il ne peut être saisi que par l’Esprit. Ainsi, le fait que le tombeau soit vide signifie que Jésus s’est soustrait à la vue de ses disciples parce qu’il est monté chez son Père, chez ce Père qui l’avait envoyé. La résurrection est, elle, la découverte de cette vérité : on voit Jésus dans la mesure où on le croit vivant auprès du Père, dans sa gloire. C’est donc un événement qui, dépassant la dimension de l’histoire, ne peut être saisi que par la foi.
Tout ce chapitre, d’ailleurs, ne décrit pas autre chose que le cheminement par lequel les disciples vont du désarroi, qui emplit leur âme à la vue du tombeau vide, à la foi en la gloire du Ressuscité. Et ce cheminement est le processus intérieur, propre aux Églises de Jean, par lequel leur catéchèse est parvenue à une formulation de foi. Cette tâche de faire parvenir à la foi au Ressuscité, que les autres évangiles avaient confiée soit à des anges, soit au Christ ressuscité, Jean la donne, lui, au Christ de l’histoire en lui prêtant ce discours. Mais le but reste le même : amener à la foi au Christ ressuscité par la parole.
Le même chapitre annonce aussi à l’avance, les larmes et les lamentations des disciples à cause de la mort du Seigneur ; il dépeint leur tristesse et leur dispersion. Le dialogue qui s’établit entre les disciples et le Seigneur reflète les mêmes thèmes que la conversation qu’ils ont, dans les autres évangiles, avec le Ressuscité à propos de leur doute, de leurs interrogations et de leur tentative pour comprendre la signification des paroles de Jésus et de celles des Écritures.
À cette situation de souffrance des disciples, Jean répond par l’exemple de la femme qui « sur le point d’accoucher, s’attriste parce que son heure est venue ; mais quand elle a enfanté, elle oublie les douleurs dans la joie qu’un homme soit venu au monde » (Jn 16:21). Dans cette femme qui accouche, on reconnaît l’image des disciples de Jésus en train de devenir Église car, dans ces disciples dispersés et tristes, la foi au Christ ressuscité est en gestation. Leur tristesse se transformera en joie au moment où cette foi s’affermira sans plus de doute ni d’équivoque parce qu’ils reconnaîtront que Jésus, étant sorti du Père et venu dans le monde, a maintenant quitté le monde pour aller chez le Père (Jn 20:28). C’est la naissance de cette foi qui leur donnera la paix dans la parfaite joie.
L’apparition de Jésus aux Onze n’est que la représentation, dans cette scène où les apôtres sont réunis, de ce processus de foi suivi par l’Église. Ce qui s’est passé à l’intérieur des esprits est traduit en une action épisodique et en dialogues, afin de concrétiser, dans cette rencontre des apôtres, cet événement qui s’est déroulé, en fait, comme un processus de vie.
Le premier personnage de cette action est Marie de Magdala, car c’est dans son âme que Jean découvre et saisit ce processus de foi et d’amour. C’est elle la femme qui donne naissance à la foi, parce que c’est en elle que Jean fait se refléter toute la souffrance et la première joie de l’Église.
Étudions sous cet éclairage le récit de l’apparition.
« Le soir de ce même jour, le premier de la semaine, toutes portes étant closes, par crainte des juifs, là où se trouvaient les disciples, Jésus vint et se tint au milieu d’eux ; il leur dit : « Paix soit à vous ! » Ce disant, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples furent saisis de joie à la vue du Seigneur. Il leur dit encore : « Paix soit à vous ! » » (Jn 20:19-21).
Par deux fois, Jean met dans la bouche du Ressuscité la parole : « Paix », parce que la paix est le premier signe par lequel les disciples reconnaissent la présence de Jésus. C’est le thème que l’évangéliste avait déjà énoncé dans le sermon de Jésus : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, et je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre, vous avez entendu : je vous le dis » (Jn 14:27-28).
Bien que Marie leur ait annoncé que Jésus monte vers le Père, bien que Jean et Pierre aient témoigné de leur foi, les disciples ne sont pas encore délivrés de leur doute, ni surtout de leur crainte : ils se sont réunis, mais les portes sont fermées par peur des juifs. Cependant, comme nous l’avons déjà dit, ils sont « en gestation » : en eux la parole germe et la foi va naître. Et c’est au moment où leur trouble se dissipe et où toute crainte cesse que Jésus « se tint au milieu d’eux ». Jésus est présent au moment où ils parviennent à la paix, à la fois dans leur lutte intérieure contre le doute et, dans leur communauté, entre eux. C’est l’expérience qu’ils font de cette paix qui témoigne pour eux de la présence de Jésus, car cette paix ne peut venir du monde : c’est la paix que donne le Seigneur, c’est la paix du Seigneur.
Il s’agit donc d’une présence dans l’esprit, car le Seigneur paraît « les portes étant fermées ». Il est présent parce qu’il agit présentement, en eux et au milieu d’eux, par la paix. S’il montre son côté et ses mains, ce n’est pas pour démontrer, comme chez Luc (2), la corporalité de son être, mais c’est pour s’identifier au Christ crucifié. Les mains et le côté sont, en effet, les symboles de cette crucifixion. Jean ne fait pas, contrairement à Luc, allusion aux pieds – qui symbolisent plutôt la prédication – car, pour lui, la parole n’est pas une prédication mais une vie intérieure ; elle n’est pas une semence jetée dans les champs, mais un grain qui meurt. Seul l’évangile de Jean parle du côté percé de Jésus, d’où sortirent de l’eau et du sang (Jn 19:34), et il est très significatif qu’il en reprenne ici le symbole.
En faisant montrer par Jésus son côté, en même temps qu’il prononce sa salutation de paix, Jean veut faire comprendre que cette paix surgit au cœur des disciples et au milieu d’eux au moment où, méditant sur la mort de Jésus, ils découvrent en lui le fils du Père. C’est de la méditation sur le Crucifié que naît la foi au Christ ressuscité.
Jean attribue aux disciples la même foi que la sienne, celle dont il témoigne lorsque, voyant percer le côté de Jésus, il dit : « Celui qui a vu en rend témoignage – un authentique témoignage – pour que vous aussi vous croyiez » (Jn 19:35). Car c’est dans ce sang et dans cette eau, jaillissant du corps de Jésus, qu’il a vu le signe de l’Esprit (Jn 7:37-39), et par conséquent celui de la victoire du Christ sur la mort pour lui-même et pour tous les hommes. Le processus suivi par la catéchèse de Jean est donc le chemin de la croix. Tout le quatrième évangile, d’ailleurs, est une théologie de la croix, car c’est dans l’approfondissement de la mort du Crucifié que, d’après lui, on parvient à comprendre la gloire du Ressuscité.
C’est au moment où les disciples reconnaissent la présence du Ressuscité qu’ils sont « remplis de joie à la vue du Seigneur ». On pourrait dire qu’ils sont remplis de joie et que c’est dans l’expérience de cette joie qu’ils voient le Seigneur. C’est encore un thème qui est extrait du discours de Jésus : « Vous aussi, maintenant, êtes tristes, mais je vous reverrai et votre cœur se réjouira, et votre joie, nul ne pourra la ravir » (Jn 16:22). C’est la joie qui suit l’enfantement, au moment où, de l’angoisse de la mort, la foi surgit comme une rencontre intérieure avec le Ressuscité.
Jean construit son récit sur le même schéma que Luc : après avoir décrit l’apparition de Jésus, il nous rapporte les paroles qu’il aurait prononcées et qui viseraient à établir l’origine christologique du témoignage des apôtres.
« Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » (Jn 20:21). Ici aussi, il s’agit d’un thème déjà développé dans le discours de Jésus. De même que Jésus ne vient pas du monde, puisqu’il est envoyé dans le monde par son Père, de même les apôtres ne sont pas du monde, car ils sont envoyés dans le monde par Jésus. Ce sont des hommes consacrés dans la vérité par sa parole (Jn 17:16-18). En mettant à nouveau ces paroles dans la bouche du Ressuscité, Jean veut faire de cette consécration un événement.
En effet, « après avoir dit cela, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis, ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » » (Jn 20:22-23).
Ce souffle est le signe du Saint Esprit, comme en était signe le vent chez Luc. Mais Jean préfère le souffle pour exprimer, tout d’abord, que le Saint-Esprit vient du Christ lui-même : « Il vaut mieux pour vous que je parte, car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai » (Jn 16:7). Le souffle concrétise donc et rend, pour ainsi dire, visible et sensible l’envoi du Saint-Esprit par le Christ de la gloire. Cela équivaut à dire que les apôtres découvrent la glorification de Jésus dans la présence en eux du Saint-Esprit, présence dont ils prennent conscience précisément dans la mesure où ils progressent dans la vérité de la parole, jusqu’à la compréhension du Christ : « Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité toute entière, car il ne parlera pas de lui-même mais tout ce qu’il entendra, il le dira… il me glorifiera car c’est de mon bien qu’il prendra pour vous en faire part » (Jn 16:12-14).
Le souffle exprime, ensuite, qu’il s’agit d’une nouvelle naissance de ces hommes, selon la théologie de l’Esprit propre au quatrième évangile. En effet, par cet Esprit, ils sont des hommes qui naissent « non du sang ni du vouloir de la chair, ni du vouloir de l’homme, mais de Dieu » (Jn 1:13-14), participant ainsi à l’incarnation de la Parole. Par rapport à leur existence humaine, il s’agit d’une nouvelle naissance (Jn 3:5) car, de même que Dieu « insuffla dans les narines de l’homme qu’il avait modelé pour le faire âme vivante » (Gn 2:6), de même le Christ souffle sur les apôtres pour les rendre fils de Dieu (Jn 1:12).
Mais quand Jésus exhale-t-il ce souffle ? Précisément au moment de sa mort, au moment où, ayant accompli son œuvre, « il baissa la tête et remit son esprit » (Jn 19:30). L’instant où Jésus expire, c’est l’instant où le nouvel homme respire pour la première fois, car le souffle de Jésus devient souffle de vie pour ceux qui croient. Le témoignage apostolique reçoit donc la marque de son authenticité non par une sorte de transmission de la Loi, comme chez Matthieu, mais par le fait que la Parole fait jaillir dans les apôtres une nouvelle existence en les assimilant au Christ lui-même. Car l’esprit de Christ agit en eux justement pour accomplir tout ce qui est propre au Christ : la vérité, l’amour, l’unité et la vie. Ils peuvent maintenant remettre et retenir les péchés parce que le Saint-Esprit, par eux, « confondra le monde en matière de péché, par rapport à tous ceux qui ne croient pas en lui » (Jn 16:8-9).
L’œuvre de la résurrection est donc accomplie au cours d’une même journée, la première de la semaine. Mais, première de la semaine, cette journée est aussi la première des temps nouveaux, car il s’agit de la nouvelle naissance de l’homme par le Christ, de cet homme qui, dispersé et troublé, anéanti par la peur et l’incrédulité, devient esprit vivant par le souffle du Ressuscité. Toute l’œuvre des six jours de la création est comme reprise dans cette journée, afin qu’elle aboutisse à l’homme achevé. Le monde trouve son accomplissement dans les hommes réunis autour de Jésus-Christ présent. Et ce même Esprit, matrice de la création qui, au commencement « planait sur les eaux », se pose maintenant sur les apôtres réunis et comme cachés au monde par l’eau qui jaillit du côté du Christ, afin que tout revive à nouveau en vie éternelle.
Et, finalement, que représentent ces apôtres ? Ils sont l’Église en tant que koinonia, c’est-à-dire en tant qu’union des croyants dans l’amour du Seigneur. C’est une Église qui veut être apostolique et qui, tout en gardant comme les autres l’enseignement de Jésus et les formes liturgiques, ne veut pas vivre selon les formes mais selon la réalité profonde qu’ils signifient. C’est une Église que l’on pourrait appeler « pneumatique », car elle est, en elle-même, une réalité d’amour au milieu de la haine, un événement de vie éternelle dans le temps, une parole de vérité au milieu de l’erreur et du mensonge, la lumière dans les ténèbres, la victoire de la résurrection sur la mort.
Comme les récits des autres évangiles, ce récit de Jean nous montre, une fois encore, que ce n’est pas l’Église qui s’est faite à l’image du Ressuscité, mais que c’est le Ressuscité qui a été dépeint à l’image de l’Église : dans ce quatrième évangile, le Christ est décrit à la lumière de la foi de l’Église, selon la vision mystique propre à cette communauté que la théologie de cet évangile exprime et définit.
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(1) Voir. 
(2) Voir. 
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