ANALYSE RÉFÉRENTIELLE
ET ARCHÉOLOGIQUE
Ennio Floris
Les apparitions dans les évangiles
Les apparitions de Jésus aux Onze
Sommaire
La foi
au Christ ressuscité
Le Christ
est ressuscité
Les apparitions
d’anges aux femmes
Les apparitions
«privées» de Jésus
Les apparitions de Jésus aux Onze
-
Le Christ
ressuscité
-
Selon Marc
-
Selon Matthieu
-
Selon Luc
-
Selon les
Actes
-
Selon Jean
.
La première
apparition
.
La seconde apparition
La structure
des textes évangéliques
. . . . . . . . - o
0
o - . . . . . . . .
Selon le quatrième évangile :
la seconde apparition
L’évangile de
Jean
nous parle d’une autre manifestation de
Jésus aux
Onze : «
Huit jours plus tard,
les disciples se trouvaient à nouveau dans la maison et
Thomas avec eux…
Jésus vint, toutes portes closes, et se tint au milieu
d’eux : « Paix soit à vous »,
dit-il
» (
Jn 20:
26
).
Pour quelle raison
Jésus réapparaît-il ? Parce que
«
Thomas, l’un des
Douze, appelé
Didyme, n’était pas avec
eux lorsque
Jésus vint
(la première fois)
.
Les autres
lui dirent donc : « nous avons vu
le Seigneur ! »
Il
leur répondit : « Si je ne vois pas dans ses mains les marques des clous et si je ne mets pas ma main dans son côté, je ne croirai pas
» (
Jn 20:
24-25
).
Ainsi donc, la raison de cette nouvelle apparition est l’incrédulité
d’un disciple,
Thomas. C’est pour la dissiper, pour amener
ce disciple à la même foi que
les autres, que
Jésus apparaît. Devant ce fait, il est logique que nous nous posions quelques questions. Quel est ce doute de
Thomas ? Et pourquoi
l’évangéliste nous a-t-il réservé cette surprise :
un disciple qui manque à l’appel et justement
un disciple qui doute, après que la journée de la résurrection ait été accomplie par la nouvelle naissance des
apôtres ? Comment était-il possible q
u’un des apôtres soit absent dans un moment aussi décisif pour le témoignage
des apôtres et pour l’Église ?
Thomas est censé ne pas croire au témoignage de
ses compagnons car
il estime qu’il s’agit d’une vision
qu’ils ont eue ou de l’apparition d’une autre personne. Pour être en mesure de croire et d’affirmer que c’est
Jésus qui est lui-même apparu,
il exige de constater que c’est bien ce
Jésus qui a été crucifié, c’est pourquoi
il veut voir de ses yeux la marque des clous dans les mains de celui qui a prétendu être
Jésus,
il veut y enfoncer son propre doigt ;
il ne peut pas croire
s’il ne peut pas mettre sa main sur son côté, là où
il a reçu la blessure.
Si l’on considère ce doute et cette exigence de preuves de l’authenticité du
Ressuscité comme s’il s’agit d’un doute qui a réellement assailli
un des disciples et d’une exigence
qu’il a réellement manifestée, le récit devient illogique. En effet, comment pourrait-on espérer retrouver sur un corps ressuscité la trace des clous et des blessures ? Comment peut-on penser qu’un homme, qui a été tellement puissant
qu’il a réussi à arracher son corps à la mort, se révèlera ensuite incapable d’effacer de ce corps les signes de sa défaite ? Surtout que
ce ressuscité-là n’est pas un homme simplement « réanimé », qui reste sur son lit, soumis encore aux conséquences de sa passion, mais un homme possédant un corps nouveau, qui peut franchir les murs et les portes fermée, qui est monté au
ciel chez
son Père, et qui revient sur
la terre et y est présent d’une façon qui n’est propre qu’à
Dieu. Peut-on prétendre retrouver, dans un tel homme, les traces de l’homme blessé, cloué et percé d’un coup de lance ?
On peut répondre à cela que l’évangile parle d’un homme,
Thomas, qui veut croire en voyant de ses propres yeux, et que peu importe que son exigence ne soit pas tout à fait logique par rapport à la réalité du
Ressuscité telle qu’elle est saisie par la foi. Et en effet, lorsque
Jésus
lui apparaît,
il montre à
Thomas les marques de ses blessures. À notre avis, cet illogisme est plutôt signe que l’évangile ne raconte pas, ici, un épisode qui s’est déroulé au milieu
des apôtres, mais qu’il cherche à exprimer, sous forme d’épisode, une vérité qu’il estime nécessaire pour parvenir à la foi au
Ressuscité.
Le fait que
Jean
mette ce doute dans la bouche de
Thomas nous éclaire sur cette vérité. En effet,
Jean ne fait que reproduire, dans ce récit épisodique, un autre thème
qu’il avait déjà développé dans le discours de
Jésus, et pour l’approfondissement duquel
il avait confié un rôle à ce même
Thomas (
Jn 14:
5
).
Jésus dit aux
apôtres : «
Que votre cœur cesse de se troubler : croyez en
Dieu, croyez aussi en moi… Je vais vous préparer une place, et quand je serai allé vous préparer une place, je reviendrai vous prendre avec moi, afin que là où je suis vous soyez, vous aussi. Et du lieu où je vais, vous connaissez le chemin
» (
Jn 14:
1-4
). Par ces paroles du
Seigneur,
Jean veut annoncer à l’avance le trouble
des disciples au sujet de sa mort, ainsi que la signification de cette mort, qui n’est rien d’autre qu’un départ de
Jésus vers
son Père, afin de préparer une place de gloire à ceux qui croient en
lui.
Il veut donc, par ces paroles, indiquer aux croyants le chemin pour connaître cette vérité cachée dans la mort du
Seigneur.
C’est à ce moment-là que
Jean fait intervenir
Thomas : «
Seigneur, nous ne savons pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin ?
» (
Jn 14:
5
).
Thomas est un homme logique : pour connaître un chemin, il faut d’abord connaître le lieu où il mène ! Par cette remarque,
l’évangéliste nous fait comprendre l’exigence propre à une théologie logique et rationaliste, qui prétend connaître le
Fils (le chemin) par
Dieu, le Père (l’aboutissement de ce chemin). Cette exigence sera manifestée également par un autre
disciple,
Philippe, qui dira à
Jésus :
«
Seigneur, montre-nous
le Père, et cela nous suffit
» (
Jn 14:
8
).
Mais cette exigence en cache une autre, celle de vouloir connaître
Jésus crucifié par
Jésus ressuscité, le
Christ de la souffrance par le
Christ de la gloire, le
Christ qui vient
du Père par
celui qui monte
au Père. Et c’était en effet cela le rôle qu’on donnait à la résurrection : manifester la véritable personne qui se cachait dans l’homme humilié par la passion et par sa mort sur la croix, à savoir le
fils de
Dieu.
Mais à cette exigence,
Jésus répond : «
Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nul ne va au
Père que par moi. Si vous me connaissez, vous connaîtrez aussi
mon Père
» (
Jn 14:
6-7
).
Jésus renverse donc le processus de connaissance : ce n’est pas par la connaissance du
Père qu’on parvient au
Christ, mais par la connaissance du
Christ qu’on parvient au
Père. Et le
Christ qu’on doit connaître, c’est le
Christ présent,
celui que
les apôtres voient de leur vivant, le
Christ qui s’achemine vers la croix. Le chemin que
Jésus trace par sa montée vers la croix, ce chemin-là mène au
Père. La vérité qu’on doit saisir de
lui est exprimée par ce don
qu’il fait de lui-même sur la croix : la vie, c’est sa mort.
En mettant sur la scène de la résurrection ce même personnage de
Thomas,
Jean
veut nous poser le même problème pour nous faire découvrir cette vérité.
Thomas cherche un chemin pour connaître
le Ressuscité,
il veut
le saisir en
le voyant de ses propres yeux, en
le touchant de ses propres mains.
Mais, en acceptant le défi,
Jean
fait apparaître à
Thomas un ressuscité qui n’est rien d’autre que
le Crucifié lui-même, car
il porte dans ses mains la trace des clous, et à son côté la blessure de la lance, signes de sa mort totale. C’est un ressuscité qui ne manifeste pas sa gloire par des
anges et par un pouvoir céleste, mais par les signes mêmes de sa mort ;
il se révèle exalté parce qu’élevé sur la croix (
Jn 12:
32
). «
Porte ton doigt ici : vois mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté, et ne sois pas incrédule !
» (
Jn 20:
27
).
Jean
ne va pas jusqu’à montrer
Thomas touchant effectivement les plaies
du Seigneur et, en réalité, ce n’est pas nécessaire : il
lui suffit de faire saisir que
le Ressuscité ne peut être reconnu que par
le Crucifié.
Thomas, lui, le comprend et s’écrie «
Mon
Seigneur et mon
Dieu
» (
Jn 20:
28
).
Pour qui
Jean
écrit-il ce récit ? Il ne faut pas perdre de vue
qu’il écrit en un moment qui, par certains côtés, est très proche du nôtre, un moment où la foi au
Ressuscité, répandue dans le monde, est déjà devenue religion d’État, mais où la raison, maniée par
les philosophes, lance des attaques très dures contre la croyance en la résurrection et son cortège de mythes et de légendes.
Jean
veut donner une réponse à ces attaques, par la foi ;
il veut montrer aux croyants du siècle le véritable chemin qui mène au
Christ ressuscité. Sans renoncer à se fonder sur le témoignage apostolique et sur celui de l’Église,
il cherche à donner à ces témoignages une base nouvelle, qui relève du processus intérieur de la foi.
Les apôtres, en effet, ont vu
le Seigneur, et
le Seigneur ressuscité, parce
qu’ils ont été témoins de sa mort. L’événement, c’est la compréhension de cette mort comme exaltation et glorification de
Jésus, c’est l’éclatement en eux de la foi au
fils de
Dieu.
Les apôtres ont vu
le Ressuscité parce
qu’ils ont vu
le Crucifié, mais que va-t-il se passer pour les autres hommes, pour ceux qui n’ont pas vu
le Crucifié et doivent croire seulement sur le témoignage des
apôtres ? Pour eux,
Jean
fait dire à
Jésus : «
Heureux ceux qui croiront sans avoir vu !
» (
Jn 20:
29
). La foi peut se passer aussi de la vision physique de la mort du
Seigneur, car elle est capable de faire naître l’homme à nouveau.
Jean semble lancer un défi à la raison en invitant les hommes à se confier à l’expérience de la foi, qui donnera par elle-même la vision
du Ressuscité par la connaissance
du Crucifié.
On comprend maintenant pourquoi cette apparition de
Jésus se déroule «
huit jours plus tard
», soit le premier jour de l’autre semaine, car ce jour n’est plus, alors, le jour propre au
Ressuscité mais le dimanche propre à l’Église. C’est l’apparition de
Jésus dans l’Église, à tous ceux qui croient par le témoignage des
apôtres prêché dans les communautés, mais qui n’ont pas vu le
Seigneur de l’histoire. La vision
du Ressuscité est, pour eux, l’accomplissement même, en eux, de la vie propre à la foi, de cette vie éternelle qui seule rend l’homme heureux, parce qu’elle l’unit à cette même vie que
le Christ a avec
son Père, dans la jouissance de la parfaite unité (
Jn 17:
23
).
c 1981
t265520 : 17/02/2020