ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Les apparitions dans les évangiles





Les apparitions de Jésus aux Onze


Sommaire

La foi au Christ ressuscité

Le Christ est ressuscité

Les apparitions d’anges aux femmes

Les apparitions «privées» de Jésus

Les apparitions de Jésus aux Onze
- Le Christ ressuscité
- Selon Marc
- Selon Matthieu
  . Pourquoi en Galilée ?
  . Analyse du récit
- Selon Luc
- Selon les Actes
- Selon Jean

La structure des textes évangéliques




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Selon l’évangile de Matthieu :

pourquoi en Galilée ?


   L’ange du Seigneur, qui apparaît à Marie de Magdala et à l’autre Marie venues au tombeau, leur dit entre autres paroles : « allez vite dire à ses disciples : il est ressuscité d’entre les morts, et voilà, il vous précède en Galilée ; c’est là que vous le verrez » (Mt 28:7). Alors qu’elles sont en chemin pour porter cette nouvelle aux disciples, Jésus lui-même leur apparaît pour leur dire la même chose : « allez annoncer à mes frères qu’ils doivent partir pour la Galilée : c’est là qu’ils me verront » (Mt 28:10).
   Ces visions n’ont donc d’autre but que d’annoncer l’apparition de Jésus aux apôtres, ce qui montre bien que les visions « privées » comme celles-ci ne sont pas déterminantes pour la foi de l’Église. Pour l’Église, l’événement de la résurrection s’accomplit dans l’apparition aux apôtres : c’est sur leur témoignage collectif que sa foi se fonde, et que toute foi doit se fonder. Ainsi s’explique l’importance que revêt cette apparition de Jésus aux Onze : l’être du Ressuscité n’est vraiment et authentiquement connaissable que dans son « apparaître » aux disciples.

   Mais pourquoi ce rendez-vous en Galilée, alors que Jésus est ressuscité à Jérusalem, où était son tombeau ? L’évangile de Matthieu affirme que Jésus l’avait annoncé lui-même à l’avance, lorsque, à la veille de sa mort, il prédisait aux apôtres qu’ils se scandaliseraient à cause de cette mort : « Vous allez tous vous scandaliser à cause de moi, cette nuit même. Il est écrit, en effet, « je frapperai le pasteur et les brebis du troupeau seront dispersées » (Za 13:7) ; mais après que je serai ressuscité, je vous précèderai en Galilée » (Mt 26:31-32).
   Cette prédiction concernant sa résurrection et son apparition en Galilée paraît tout de suite tellement étrangère au contexte et à la logique des paroles que Jésus a dites avant, qu’on ne peut pas ne pas considérer comme impossible qu’elle leur fasse suite. On voit immédiatement qu’il s’agit d’un a priori dogmatique que l’évangéliste, afin qu’il soit accepté sans contestation, met dans la bouche de Jésus avant sa mort, car il veut que Jésus apparaisse en Galilée afin de bien souligner qu’on doit croire en lui à la lumière de cet enseignement qu’il a, selon lui Matthieu, dispensé en Galilée.
   Après sa tentation au désert, Jésus « se retira en Galilée » (Mt 4:12). Sur ce point, la tradition de Matthieu est conforme à celle des autres évangélistes. Pourtant il se distingue d’eux en donnant à ce fait une importance toute spéciale, car il y voit l’accomplissement de l’oracle d’Isaïe, qu’il rapporte textuellement : « Terre de Zabulon, terre de Naphtali, route de la mer, pays de Transjordanie, Galilée des Nations ! Le peuple qui se trouvait dans les ténèbres a vu une grande lumière : sur ceux qui habitaient les obscurs parages de la mort, une lumière s’est levée » (Is 8:23 ; 9:1).
   Matthieu croit voir s’accomplir cet oracle dans le fait que Jésus prêche en Galilée. Il pense que ce n’est ni par hasard, ni par une raison de circonstance, que cette prédication commence là, mais bien pour accomplir cette prophétie qui concerne Jésus. Se fondant sur la traduction grecque de l’Ancien Testament, Matthieu conçoit la Galilée par rapport aux Nations, il la voit comme le lieu de rencontre de toutes les nations, comme le carrefour du monde. Il est très significatif, par exemple, qu’il unisse, dans sa citation d’Isaïe, le verset qui concerne la Galilée (Is 8:23) au chapitre suivant : en agissant ainsi, il veut que ces versets ne soient pas interprétés par rapport à la naissance du Messie, de l’enfant dont Isaïe parle en 8:5, mais par rapport au fait que Jésus est venu en Galilée. La lumière qui délivre le peuple des ténèbres par lesquelles il est enveloppé, la lumière qui se lève dans le lieu de la mort, c’est l’enseignement que Jésus dispense en Galilée.

   En parcourant la Galilée, Jésus, pour Matthieu, semble poursuivre la même perspective que celle que décrit Marc, car il enseigne dans les synagogues et il proclame la bonne nouvelle en guérissant toutes les maladies (Mt 4:23). Son enseignement est accompagné par l’efficacité des signes. Mais, tandis que pour Marc l’enseignement est en raison des signes et presque effacé par eux puisqu’ils sont, pour lui, l’événement du salut, chez Matthieu c’est l’enseignement qui prend la première place car c’est lui qui est, à son avis, l’événement de l’évangile. C’est en raison de cette conception que, « lorsque de grandes foules se mirent à le suivre, venues de la Galilée, de la Décapole, de Jérusalem, de la Judée et de la Transjordanie » (Mt 4:25), Matthieu affirme qu’elles s’arrêtent aux pieds d’une montagne et donne à leur regroupement le caractère d’un rassemblement de toutes les nations.
   Cependant les foules se rassemblent, Jésus gravit la montagne, s’assied ; ses disciples l’entourent. « Et prenant la parole, il les enseignait » (Mt 5:1). Suivent les « Béatitudes » et tout le discours désigné sous le nom de « sermon de la montagne ». Or ce sermon est, pour Matthieu, la manifestation messianique par excellence, car il le présente selon une image qui rappelle la proclamation de la loi mosaïque (Ex 19) : de même que la loi est donnée, du haut de la montagne, au peuple resté à ses pieds, de même l’enseignement de Jésus est annoncé du haut de la montagne aux foules qui l’entourent. S’il n’y a pas de théophanie, comme dans le récit de l’Ancien Testament, c’est parce que Jésus, en tant que fils de Dieu, est la manifestation divine. Jésus met d’ailleurs lui-même les paroles qu’il prononce dans ce discours en relation avec la Loi car, au commencement, il affirme : « Je ne suis pas venu abolir la loi ou les prophètes : je ne suis pas venu abolir mais accomplir » (Mt 5:17).
   Bien que, théologiquement, on doive chercher à connaître l’optique réelle dans laquelle Jésus a enseigné, il n’en reste pas moins que l’évangile de Matthieu présente, pour sa part, le sermon de Jésus dans cette optique de la Loi. En effet, si on reste dans la logique du contexte, on peut dire que « accomplir » signifie « parfaire » : Jésus ne ferait pas autre chose que dicter une nouvelle loi, celle de la nouvelle alliance, qui se substituerait à l’autre dans la mesure où elle la parfait. Cette nouvelle loi est au royaume des cieux ce que la loi mosaïque était à la terre promise et aux promesses concernant l’établissement sur cette terre.

   Comme on lit, dans le Deutéronome : « Gardez et mettez en pratique ! Ainsi vous l’a commandé Yahvé, votre Dieu… Vous suivez tous le chemin que Yahvé, votre Dieu, vous a tracé, alors vous vivrez, vous aurez bonheur et longue vie dans le pays dont vous allez prendre possession » (Dt 5:32), ainsi on entend Jésus dire : « Celui donc qui violera l’un de ces moindres préceptes et enseignera aux autres à faire de même sera tenu pour le moindre dans le royaume des cieux ; au contraire, celui qui les exécutera et les enseignera, celui-là sera tenu pour grand dans le royaume des cieux » (Mt 5:19).
   On peut donc dire, à juste titre, de l’évangile de Matthieu qu’il apporte dans le Nouveau Testament la spiritualité propre au Deutéronome, à savoir celle qui découle de l’obéissance à la parole de Dieu par la pratique de ses commandements. « Ce n’est pas en me disant « Seigneur, Seigneur » que vous entrerez tous dans le royaume des cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père, qui est dans les cieux » (Mt 7:21), dit Jésus vers la fin de son discours. De même que c’est aux fruits qu’on connaît l’arbre (Mt 7:16-20), de même c’est au fait qu’il écoute la parole et la met en pratique qu’on reconnaît le disciple de Christ. On peut donc dire que cette « mise en pratique » est le signe de l’avènement du royaume de Dieu dans les hommes, car on entre dans ce royaume précisément quand on fait la volonté de Dieu.
   Matthieu reconnaît, évidemment, d’autres « signes » – tels que la prophétie, le pouvoir de chasser les démons et de guérir les malades – mais il les met au second plan, laissant ainsi entendre qu’ils sont conditionnés à la mise en pratique de la parole de Dieu : « Beaucoup me diront en ce jour-là : « Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prophétisé, en ton nom que nous avons chassé les démons, en ton nom que nous avons fait bien des miracles ? » Alors je leur dirai en face : « Jamais je ne vous ai connus : écartez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité ! » » (Mt 7:22-23).
   Il n’y a qu’un signe véritable de la venue du royaume des cieux dans les hommes, celui-là même par lequel Jésus reconnaît ses disciples : l’écoute de la parole de Dieu et sa mise en pratique. C’est par l’obéissance aux commandements que le nom de Jésus sera puissant et efficace pour prophétiser, pour chasser les démons, pour guérir les malades… Car Jésus lui-même a autorité sur les hommes et sur les démons parce qu’il a obéi à la parole jusqu’à la « parfaire » et la vivre en lui-même (Mt 4:4 ; 7:13).

   Nous sommes maintenant à même de pouvoir apprécier la différence d’optique entre Marc et Matthieu. Pour Marc, l’autorité que possède le Christ se reconnaît à son pouvoir thaumaturgique ; pour Matthieu, à sa perfection morale. Pour le premier, le Christ exerce son autorité (exousia) dans la mesure où une force (dunamis) sort de lui, qui guérit les malades et chasse les démons ; pour le second, Jésus exerce son autorité dans la mesure où, observant la Loi, il devient sujet de cette Loi, autorité même de la Loi ; il parvient à la manifestation de son « je » messianique – « mais moi, je vous dis » – parce qu’il a soumis son « moi » à l’autorité de la Loi.




c 1981




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t265210 : 13/04/2020