ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisProméthée et Jésus : |
Première partie : Dieu, le Sauveur et la mort |
Sommaire Introduction Dieu, le Sauveur et la mort - La colère de Dieu et le péché - Dieu et le Sauveur - Le Sauveur contre Dieu - Le feu - Procès et condamnation - Océan et Pierre - Océanides et filles de Jérusalem . Les Océanides . Les filles de Jérusalem - Io et Marie - La mort - La rédemption - L’eschatologie Le mythe d’Io et l’évangile de Marie Conclusion théologique . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
Les filles de JérusalemLorsque Jésus, chargé de la croix, est amené au Golgotha, une grande multitude le suit, dans laquelle se trouvent des femmes. Il n’est donc pas seul, du moins apparemment. Pourtant sa solitude est totale, car les soldats dressent une barrière infranchissable entre lui et les hommes. De lui-même, d’ailleurs, le peuple se tient à une certaine distance. Il est composé sans aucun doute de personnes qui connaissaient Jésus, de ceux qui, un jour, l’ont acclamé comme leur roi. Ces hommes étaient autrefois des boiteux, maintenant ils marchent, guéris par Jésus ; ils étaient aveugles, ils voient de la vue qu’il leur a donnée ; ils étaient des lépreux intouchables, des anormaux, et ils le suivent parce que le Christ les a rendus hommes. Mais quoi qu’ils marchent, voient, parlent grâce au sauveur, ils n’osent pas franchir la frontière de la justice qui les sépare du Christ, ils n’ont pas le courage de l’arracher aux mains de ses ennemis, ni de le défendre, ni même de pleurer sur son sort. Ils constituent comme une masse amorphe, anonyme, impersonnelle, dont l’expression n’est qu’un brouhaha confus. Au premier rang, entre cette masse et les gardes, les femmes. Jamais, quand la foule se pressait autour de Jésus, on n’avait tenu compte d’elles, même pas quand il s’agissait d’évaluer le nombre de personnes qui entouraient le seigneur. Seuls les hommes représentaient le peuple, les femmes n’étant que des êtres privés de toute responsabilité sociale et de toute personnalité, au même titre que les enfants. Devant la croix, alors que les hommes, par leur lâcheté, retombent dans l’anonymat de la foule, les femmes sortent de l’ombre pour affirmer leur personnalité jusqu’alors cachée : elles se détachent de cette masse amorphe pour se lamenter sur Jésus, en se frappant la poitrine. Que peuvent faire d’autre ces femmes de l’évangile que pleurer, comme les femmes du mythe ? Ces larmes et ses cris, d’habitude jugés inopportuns et inutiles, prennent dans la circonstance une valeur imprévue, car c’est par ces lamentations que la multitude anonyme devient une multitude d’êtres humains ; c’est par ces voix que le bruit confus de la foule devient une expression humaine de douleur et de compassion ; c’est par ces êtres faibles, méprisés et sans personnalité qu’est rétabli le dialogue entre le Christ et l’homme, le Sauveur et les sauvés. Le Sauveur s’adresse à elles en disant : « Filles de Jérusalem » (Lc 23:28). Si cette appellation est normale, puisque ces femmes sont de Jérusalem, elle est prophétique et leur donne un rôle dans le drame du salut. Ce n’est pas la première fois que Dieu parle aux filles de Jérusalem. Elles ont toujours été chargées d’annoncer par leurs larmes la menace de la justice de Dieu qui pèse sur le peuple, et d’implorer par leurs lamentations le pardon et la miséricorde. Dieu fait appel au sentiment des femmes lorsque le cœur des hommes résiste à sa volonté. Ce sont elles alors qui personnifient le peuple, comme au moment de la croix elles personnifient Jérusalem, en tant que mère du peuple. « Ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous et sur vos enfants » (Lc 23:28). La raison des larmes des femmes, c’est la personne de Jésus. Au moment où tous s’écartent de Jésus, les filles de Jérusalem sont là, qui lui témoignent leur compassion et leur amour. Oublié par la foule, sacrifié par les chefs religieux, non défendu par la justice romaine, abandonné par Dieu et négligé par lui-même, Jésus reste pour les femmes un objet d’affection. D’ailleurs, elles se sont toujours intéressées à sa personne, sans pour autant prendre une part active à son œuvre. Tandis que les hommes ont été les instruments de sa prédication et de ses guérisons, elles, comme tenues à l’écart, ont été mises à part pour prendre soin de sa personne. Elles l’ont accueilli, nourri, lavé, suivi, sans jamais parler, pour mieux le servir. Leur témoignage ne s’est exprimé que par leurs larmes. Ce double témoignage des femmes et des hommes est le fondement de la théologie future de l’Église. Car, de même que les hommes, les apôtres ont été témoins de l’œuvre du Christ, de même les femmes sont témoins de sa personne. Les hommes, par leur prédication, ont fondé la christologie, tandis que les femmes, par leur piété à l’égard de sa personne, ont fondé le culte du Sauveur. Oint en vue de sa sépulture, pleuré au moment de sa mort, adoré dans sa résurrection, le Sauveur a, d’avance, été considéré comme objet de culte. Christ ne veut pas qu’elles pleurent sur lui. Lui qui n’a jamais refusé leurs soins ni leur affection, il semble les éloigner au moment où sa personne court le plus grand danger. En vérité, il ne les écarte pas, il veut seulement que ces larmes ne restent pas un lien personnel entre lui et les femmes, mais un signe prophétique pour le drame qui se joue sur la croix. Il appelle les femmes à être prophètes et apôtres, à leur façon, à prédire et à exprimer dans leur comportement ce sacrifice qu’il réaliste par sa souffrance et par sa mort, en le plaçant en même temps comme signe de l’accomplissement des temps eschatologiques. « Pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants » (Lc 23:28) : quand il monte sur la croix, Jésus détient, comme Prométhée, un secret qu’il révèle partiellement aux hommes, celui de sa victoire. En pleurant sur lui, les femmes affirment leur conviction que leur maître et seigneur a été victime de l’envie et de la jalousie des hommes. C’est d’ailleurs la fin de la lutte que Jésus avait entreprise dès le commencement de sa prédication. Mais elles ne comprennent pas que la guerre, dépassant les passions des hommes, touche aussi à leur autorité politique et religieuse. Le Christ, en effet, ne meurt pas seulement parce que les hommes l’ont trahi, mais parce qu’il a été condamné au nom de Dieu par ces organes qui, précisément, mettaient en œuvre l’histoire de Dieu sur la terre. La lutte avait été engagée entre le Messie et l’autorité religieuse du peuple. Ce n’est pas Jésus en tant qu’homme qui en est la cause, mais son messianisme ; de la même manière, ce ne sont pas des hommes juifs qui se sont rendus responsables de la mort du sauveur, mais le peuple tout entier, dans sa législation et dans son histoire, dans ses dogmes et dans ses cultes. Jésus annonce aux femmes qui pleurent sa mort la défaite finale de ses ennemis, la ruine de ce peuple qui l’a condamné. Non seulement le Christ sera délivré de sa croix, mais il viendra pour décréter la fin du peuple et de la loi, par la destruction de Jérusalem. À cette annonce eschatologique, les filles de Jérusalem tombent dans la même angoisse que les Océanides après la révélation que leur a faite Prométhée. Elles aiment Jésus, c’est pourquoi elles pleurent sur ses peines et sur sa mort, mais en même temps elles aiment leur ville et sont convaincues que la perpétuité de Jérusalem est le support de la pérennité du Messie. Si Christ est Messie, pourquoi Jérusalem l’a-t-elle tué ? S’il doit ressusciter pour rétablir le royaume de David, pourquoi doit-il détruire la ville ? Doublement angoissées par la mort imminente de Jésus et par la destruction future de la ville, elles marchent derrière la croix. Expression de la compassion humaine envers le crucifié, elles deviennent signe du retour victorieux du Seigneur, en même temps que de la destruction de Jérusalem. L’annonce de l’accomplissement de l’œuvre du salut est confiée aux femmes, qui le signifient non pas en parlant, mais en déchirant leurs vêtements, en poussant des cris, en versant des larmes. |
![]() ![]() ![]() ![]() t910720 : 200720 |