ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris



Prométhée et Jésus :
d’Eschyle aux évangiles


(esquisse d’une théologie du mythe)





Première partie : Dieu, le Sauveur et la mort

XI – L’eschatologie




Sommaire

Introduction

Dieu, le Sauveur et la mort
- La colère de Dieu et le
  péché
- Dieu et le Sauveur
- Le Sauveur contre Dieu
- Le feu
- Procès et condamnation
- Océan et Pierre
- Océanides et filles de
   Jérusalem
- Io et Marie
- La mort
- La rédemption
- L’eschatologie
  . Zeus converti à l’amour
  . Un nouveau Yahvé

Le mythe d’Io et l’évangile de Marie

Conclusion théologique



. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Zeus converti à l’amour


   L’œuvre de Prométhée n’est pas ensevelie avec lui. L’annonce de la victoire qu’il a proclamée du haut de la croix semble interrompre la lutte un instant, mais pour qu’elle soit reprise et accomplie à la fin des temps. Le dieu reste dans son tombeau pendant plusieurs générations de héros. Bien que nous puissions énumérer les familles royales qui se succèdent au long de ces générations, il nous est impossible d’en fixer la durée, parce qu’il s’agit d’un temps différent du nôtre. La mort de Prométhée, sa souffrance et sa délivrance sont des épisodes mythiques qui expriment, par des événements du passé, les valeurs et les perspectives futures des hommes.
   Bien que caché dans l’Adès, Prométhée affirme sa divinité par sa révolte contre la volonté de Zeus. C’est le signe qu’il n’a pas renoncé à aimer les hommes. Les dieux du ciel et de l’Adès, les Titans et les hommes, ont tous les yeux fixés sur son tombeau comme sur le lieu qui cache le mystère de la vie. Tout le monde sait que le dieu ne restera pas toujours dans le royaume des morts ; tout le monde attend la réalisation des dernières paroles, par lesquelles il avait annoncé sa délivrance, sa vengeance et le renouvellement de l’ordre, dans le divin comme chez les mortels.

   Si, dans le ciel, ces paroles sont motif de durcissement et de crainte, sur la terre elles ouvrent le cœur des hommes vers une attente fiévreuse, pleine d’espérance. Car ces paroles, reçues comme héritage par Io, inspirent la race de celle-ci et nourrissent son aspiration vers le sauveur, Héraclès, qui déliera le dieu de ses chaînes. L’espérance eschatologique devient une réalité historique par cette postérité qui doit aboutir au sauveur. Le « non » du vaincu à Zeus, le « non » du Titan haï et méprisé devient un mouvement de révolte précisément dans cette postérité qui naît par le « oui » de Dieu.
   Héraclès, dès sa naissance, incarne dans sa personne la lutte entre les deux dieux, Prométhée et Zeus. En tant que descendant d’Io, il est fils de Zeus, en tant qu’héritier de Prométhée, il personnifie la révolte propre aux Titans. Il s’annonce alors comme ce fils de Zeus qui devra destituer son père et instaurer un règne de paix et de justice, après avoir délivré Prométhée et lui avoir donné à nouveau accès à la gloire des dieux. Il est le héros des derniers temps, de même que Prométhée est le sauveur des temps passés, il est le dieu de la gloire cependant que Prométhée est le dieu de la souffrance.
   Tout d’abord, Héraclès délivre Prométhée. C’est un exploit ardu, car le dieu n’est pas seulement enseveli, mais attaché par des chaînes, rongé par l’aigle, enfermé sous un couvercle d’airain. En tuant l’aigle, Héraclès détruit la mort elle-même, car l’aigle est le symbole de la puissance destructrice de Zeus, de la mort considérée activement, par rapport au pouvoir divin.
   En le déliant de ses chaînes, Héraclès délivre Prométhée de son esclavage et lui redonne toute la liberté propre à sa personne divine. Enfin, il soulève le couvercle de son tombeau pour le réintégrer dans la vie avec les hommes et les dieux. Le fils de Dieu n’ose pas s’attaquer directement à son père, mais il délivre contre lui son ennemi ; ainsi auraient pu en tout cas penser les dieux et les mortels !
   Et cependant, il n’y aura pas de lutte. Au lieu de voir le sauveur déchaîné se lancer contre Zeus, nous assistons à une réconciliation, car Dieu n’est plus lui-même : il renonce à son orgueil, il choisit la justice contre la tyrannie, la paix contre la guerre, l’amour contre la haine. Héraclès cache dans sa personne un mystère bien plus profond que le mystère prophétisé par Prométhée : il n’est pas le fils de Dieu qui détrône son père, mais celui par qui Zeus se réconcilie avec Prométhée et les hommes, et se manifeste père des mortels comme des immortels. Dieu lui-même délivre Prométhée parce qu’il aime les hommes pour lesquels Prométhée a souffert.

   Prométhée s’est-il trompé dans sa prophétie ? Nous pouvons sans doute répondre que son oracle était valable dans la mesure où Zeus se serait refusé à aimer les hommes. La vision terrifiante que Prométhée avait des derniers jours était influencée par l’opposition et la colère de Zeus. Cette colère apaisée, le jugement cède la place à la réconciliation : la souffrance du sauveur a tout purifié, Zeus et le sauveur lui-même, les dieux et les hommes.
   Cette conversion de Zeus à l’amour et à la justice est exprimée par le mythe de Chiron. Au moment où tout l’univers attend une confrontation entre les deux dieux qui amènerait le monde à sa destruction (car, si Zeus pèche par orgueil, Prométhée est aussi victime de la démesure), Chiron est traîné entre les deux rivaux, pour prendre dans l’Adès la place occupée par Prométhée. Il se substitue directement à Prométhée car, en subissant les mêmes peines, il se charge de ses péchés et de ceux des hommes. Mais en devenant la cible éternelle à la colère de Zeus, il se charge aussi du péché de Dieu, afin de l’épuiser en lui-même. Chiron est le symbole de la vieille divinité et de la vieille humanité, la personnification de l’ubris qui avait atteint tous les êtres du monde. En acceptant d’être enfermé dans l’Adès, il devient le signe que l’ubris est condamnée, vaincue, jetée dans le règne de la mort d’où elle ne pourra plus jamais sortir. Il est aussi le signe que les dieux et les mortels sont délivrés du péché.

   Une nouvelle ère commence, sous la juste et pacifique domination de Zeus. Entre Dieu et les autres, soit hommes soit dieux, Prométhée se place comme le médiateur et le sauveur. Les hommes, de leur côté, n’étant plus empêchés de franchir le seuil du divin, marchent vers l’immortalité.



c 1960




Retour à l’accueil La substitution de Jésus Haut de page Nouvelle personnalité de Yahvé

t911110 : 02/02/2021