ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris



Prométhée et Jésus :
d’Eschyle aux évangiles


(esquisse d’une théologie du mythe)





Première partie : Dieu, le Sauveur et la mort

VIII – Io et Marie au pied de la croix




Sommaire

Introduction

Dieu, le Sauveur et la mort
- La colère de Dieu et le
  péché
- Dieu et le Sauveur
- Le Sauveur contre Dieu
- Le feu
- Procès et condamnation
- Océan et Pierre
- Océanides et filles de
   Jérusalem
- Io et Marie
  . Io, libératrice de
    Prométhée

  . Marie et la souffrance
- La mort
- La rédemption
- L’eschatologie

Le mythe d’Io et l’évangile de Marie

Conclusion théologique



. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Io, libératrice de Prométhée


   Io s’approche de la croix sans le savoir, poussée par les morsures du taon. C’est l’ombre d’Argos qui la suit partout, le spectre de ce bouvier auquel Héra avait donné l’ordre de tuer son enfant. Bien que mort, il reste toujours vivant dans son âme, tant la jeune mère l’avait redouté ! Pourquoi, dans sa course folle, s’arrête-t-elle devant le dieu enchaîné ? Elle n’en est pas consciente. Elle devine cependant qu’un lien profond doit exister entre sa souffrance et celle du crucifié, et qu’une volonté divine a provoqué cette rencontre.

   Chez Eschyle, le mythe d’Io se développe comme une scène de la tragédie de Prométhée. Nous connaissons (voir étude postérieure) Io, sa virginité et ses noces, sa grossesse et ses souffrances : tout cela nous a été manifesté sur le lieu de sa souffrance. La naissance du fils d’Io s’insère, comme nous le verrons mieux par la suite, dans l’œuvre de rédemption de Prométhée. Étant donné que nous étudierons à part le mythe le concernant, nous chercherons seulement à approfondir la signification de la présence d’Io sur la scène de la passion, de même que nous avons étudié les différents sens de la visite faite par Océan et par les Océanides. S’ils sont allés vers Prométhée, l’un en signe d’amitié, les autres poussées par la compassion, Io, elle, est là en raison de sa participation à la même souffrance, qui s’accomplit dans le même amour. Alors que l’amitié échoue, que la compassion s’évanouit, la souffrance, seule, résiste à l’épreuve de la mort.

   Ce sont deux souffrances apparemment différentes qui font, dans ce lieu désert, se rencontrer les deux personnages : Prométhée est persécuté par Zeus, Io par Héra. Les raisons pour lesquelles la colère de Dieu se déclenche contre Prométhée touchent à l’ordre universel de la création, la jalousie d’Héra se présente plutôt comme un épisode dans les rapports entre les dieux et les hommes. La dimension des deux souffrances aussi est différente, celle de Prométhée étant placée sur le plan divin, tandis que celle d’Io se développe dans des événements humains.
   Et pourtant, quand les deux personnages se rencontrent, Io découvre que ses peines sont une conséquence des douleurs de Prométhée. Son angoisse n’est plus isolée ni personnelle, puisqu’elle découle de celle du sauveur et s’accomplit en elle. Elle n’aurait pas été persécutée par le taon d’Héra, en effet, si Prométhée n’avait pas déclenché cette offensive d’amour qui pousse Zeus à renouveler les hommes, et si l’enfant dont elle est enceinte n’était pas destiné à délivrer Prométhée des chaînes qui le tiennent prisonnier de l’Adès : la souffrance d’Io est le reflet, à une échelle humaine, de celle de Prométhée.
   La présence d’Io est véritablement un témoignage de la rédemption de Prométhée : c’est par la jeune mère que le dieu rend évidente à tous les êtres l’efficacité de sa passion, et qu’il assure les hommes que le bonheur qu’ils ont reçu par le feu ne leur sera pas ôté. Io est le point de rencontre du sauveur avec les hommes et des hommes avec le sauveur.

   Tout le monde pouvait considérer l’œuvre de Prométhée comme irrémédiablement vouée à l’échec, du fait qu’il était victime d’une condamnation irrévocable de la part de Zeus. Prométhée avait annoncé aux Océanides sa victoire finale, mais cette prophétie rendait sa rédemption plus difficile et plus complexe, car elle annonçait la défaite de ce Dieu dont on ne pouvait trouver l’égal : il était impossible de comprendre comment on aurait pu détrôner ce Zeus qui s’était emparé de la puissance de la foudre.
   Io est appelée auprès de Prométhée pour résoudre l’énigme de cette situation. Elle témoigne, par cet enfant qu’elle porte dans son sein, de l’amour de Zeus pour les hommes ; elle annonce, par sa grossesse, le commencement de la délivrance qui sauvera Prométhée en même temps que la divinité de Zeus. Ce Zeus qui, par Hermès, a tué l’ennemi d’Io, Argos, est le même qui déliera, par le descendant d’Io, Héraclès, le dieu attaché dans les enfers. On ne peut pas encore connaître ni toute la raison, ni les épisodes de cette délivrance, mais Io est la colombe de la paix apportant le rameau d’olivier au plus fort d’une bataille. Elle n’est pas un acteur du drame de la rédemption, mais le témoin de son accomplissement, le lieu spirituel où les deux événements – celui de la souffrance propre à Prométhée, et celui de la délivrance propre à Épaphos – s’unissent pour réaliser une seule œuvre de salut.
   En Io, Prométhée rencontre Épaphos. Bien qu’encore caché dans le sein de sa mère, Épaphos est là, présenté à Prométhée sur sa croix, précisément pour exprimer que les deux personnages sont les acteurs d’un même drame. Il est nécessaire qu’Épaphos soit présenté à Prométhée, puisqu’il doit hériter toute la souffrance du dieu. La volonté de salut du Titan est transmise à l’enfant comme une mission confiée à la race entière. Prométhée peut, désormais, accepter de disparaître dans l’Adès : il est sûr que son entreprise ne restera pas captive avec lui, mais qu’elle se poursuivra dans la dimension héroïque du temps. Io est la personne dans laquelle le dieu rédempteur s’unit au dieu sauveur pour affermir l’unité et la continuité spirituelle du salut.

   En reprenant sa course vers la terre de Zeus pour y enfanter la race du sauveur, Io est présentée aux hommes non seulement comme la mère de la race royale qui aboutira à Héraclès, mais aussi comme la mère spirituelle des hommes sauvés. Car si elle ne joue pas directement un rôle de rédemptrice, elle est la mère du futur Héraclès qui, en délivrant Prométhée, sauvera tous les hommes de la colère de Zeus.
   On peut même dire que, en ce moment, Io devient aussi la mère spirituelle de Prométhée, en ce sens que son enfant est comme chargé de la douleur, de la mission et du pouvoir rédempteur du dieu souffrant. Lorsqu’elle enfantera, elle ne donnera pas seulement au monde l’aîné de la race élue, mais l’héritier de l’exploit de Prométhée. Et lorsque, dans un futur eschatologique, Héraclès délivrera Prométhée, celui-ci pourra commencer une nouvelle vie grâce à la maternité d’Io, qui enfante spirituellement le triomphateur, de même qu’elle a enfanté physiologiquement celui qui le délivrera. Toujours en marge de l’œuvre qui s’accomplit entre des êtres divins, Io n’y est pas pour autant étrangère : sa maternité est toujours appelée à se mettre au service de l’œuvre du salut propre aux dieux, pour la réaliser dans l’histoire et pour exprimer l’unité et la continuité de ces événements.



c 1960




Retour à l’accueil Les filles de Jérusalem Haut de page Marie au pied de la croix

t910810 : 31/01/2021