ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Prométhée et Jésus :
d’Eschyle aux évangiles


(esquisse d’une théologie du mythe)





Première partie : Dieu, le Sauveur et la mort

VIII – Io et Marie au pied de la croix




Sommaire

Introduction

Dieu, le Sauveur et la mort
- La colère de Dieu et le
  péché
- Dieu et le Sauveur
- Le Sauveur contre Dieu
- Le feu
- Procès et condamnation
- Océan et Pierre
- Océanides et filles de
   Jérusalem
- Io et Marie
  . Io, libératrice de
    Prométhée
  . Marie et la souffrance
- La mort
- La rédemption
- L’eschatologie

Le mythe d’Io et l’évangile de Marie

Conclusion théologique



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Marie et la souffrance


   Au moment où les disciples abandonnent leur maître, où les filles de Jérusalem, elles aussi, laissent le fils de l’homme dans la solitude de son agonie, nous trouvons au pied de sa croix Marie, mère de Jésus. Enveloppée du même silence que son fils, elle est là pour exprimer l’amour qui naît de la participation à une même souffrance. Son apparition près de la croix peut nous étonner, d’autant plus qu’elle nous est relatée par l’évangile de Jean : aussi étonnés que de trouver Io auprès de Prométhée. Sa présence cependant a une importance bien plus grande que celle des autres.

   Marie suit Jésus par sa souffrance plutôt que par son action. Sa participation à la vie active de son fils est silencieuse, humble, existentielle, en vue de la mort du rédempteur plutôt qu’en raison de ses prédications et de ses miracles.
   La souffrance qui l’amène jusqu’au pied de la croix n’est pas, à première vue, la même que celle du rédempteur. Marie est restée marquée toute la vie par la persécution d’Hérode. Bien que mort, celui-ci est pour elle comme un esprit malin qui la poursuit afin de porter atteinte à la vie de son fils. Elle avait pu croire un moment que la mort du roi meurtrier avait éloigné toute menace pour son enfant, mais voilà qu’Archélaos d’abord, et la prophétie de Siméon ensuite, font remonter du plus profond de son subconscient le souvenir du persécuteur. Elle vit sous le complexe d’Hérode et à l’écart de la prédication de l’Évangile parce qu’elle a peur des hommes, des autorités religieuses et politiques, des pharisiens et même de ses disciples. Elle vit dans la crainte de cette épée qui doit transpercer son cœur de mère.

   La souffrance de Jésus est d’un autre genre : dans les périls auxquels il est sans cesse exposé, il ne voit pas la persécution des hommes, mais la haine des puissances des ténèbres. La lutte qui, pour Marie, reste sur un plan humain, prend en Christ une dimension divine.
   Marie et Jésus se sont cependant donné rendez-vous à la croix. C’est là que la souffrance de Marie trouve sa valeur dans celle de Jésus. C’est là aussi que le rôle de Marie se révèle aux hommes.

   Marie apparaît au moment où l’œuvre de Jésus semble aboutir à un échec : tous ceux qui l’avaient suivi dans l’espoir d’une restauration du royaume sont maintenant déçus : ils ont vu leur roi pendu comme un larron, le jour même qui a suivi son entrée victorieuse et pacifique dans la ville. Tout en reconnaissant la grandeur de sa personnalité de prophète, ils sont rentrés chez eux avec la conviction que ce n’était pas lui le sauveur, celui qui devait délivrer le peuple de son esclavage. Ceux, par contre, qui ont cru encore en lui ont pu penser, comme d’ailleurs on l’a fait par la suite, que Jésus était bien le sauveur, mais qu’il n’était pas celui qui est mort sur la croix, la personnalité du sauveur s’étant détachée de l’homme Jésus.
   Marie va à la croix rendre témoignage au messianisme de son fils. Elle y va avec son cœur blessé de mère, mais aussi en tant que témoin de la naissance de Jésus (voir les études de 2008 et 2011), qui a manifesté l’homme Jésus comme fils de Dieu et sauveur du peuple. Par sa présence et son silence, elle revendique et annonce l’identité du sauveur avec le crucifié, car elle témoigne que celui-ci est précisément le sauveur annoncé par l’ange. Sa maternité, action de Dieu pour l’existence du sauveur, devient aussi témoignage du sacrifice de celui-ci : mère de l’enfant Jésus, elle est aussi mère du crucifié.
   Rien de tout cela, cependant, ne l’associe à l’œuvre de salut aux côtés de Jésus, car ce n’est pas par sa souffrance que les hommes sont sauvés, mais par celle de son fils ; mère auprès de la croix comme à la naissance, elle exprime la dimension humaine dans laquelle le mystère du salut s’accomplit, Christ étant toujours le sujet de ce salut et de ce mystère. Marie est appelée à un service qui ne constitue pas une médiation entre les hommes et le sauveur, mais seulement un témoignage.

   C’est à la suite de ce témoignage que le Christ donne à la maternité de Marie une signification pour tous les hommes, en même temps qu’il partage avec ceux-ci sa filiation divine : « Femme, voilà ton fils… voilà ta mère » (Jn 19:26-27). Si Jésus se contentait ici de confier sa mère aux soins de Jean, on pourrait s’étonner de ce que cette femme, que nous avons toujours vue parmi « les frères de Jésus », soit maintenant seule, comme une mère sans mari et sans enfants qui a besoin d’être confiée à l’un des disciples, d’autant plus que nous la verrons ensuite toujours avec « les frères de Jésus » comme auparavant.
   Ces paroles, prononcées sur la croix avec la simplicité et la solennité d’un rite, expriment au contraire l’accomplissement de la filiation adoptive des hommes au fils de Dieu.
   Jésus proclame la substitution de Jean à sa personne en tant que « fils de Marie ». Or le fils de Marie, c’est le Jésus sauveur, c’est le Jésus fils de Dieu, car c’est en raison de la virginité de Marie que son enfant est proclamé fils de Dieu. Au moment où le Christ va mourir, il appelle l’homme, en la personne de Jean, pour lui confier l’héritage et le droit aux promesses. Or ce droit, c’est précisément la participation à la filiation divine. Jean, le disciple que Jésus aimait, est la personnification de l’homme pour l’amour duquel il a donné sa vie sur la croix.
   Mais Jésus a voulu donner à cette déclaration une forme prophétique, par un acte symbolique entre Marie et Jean. Jean devient fils de Dieu par le fait qu’il a été donné comme fils à Marie, de même que Marie devient mère adoptive de Jean par le fait que le Christ la lui offre comme mère. La naissance de l’homme comme fils de Dieu se déroule de la même façon que celle du fils de Dieu pour les hommes car, de même que Jésus a été signifié fils de Dieu du fait qu’il est né de la vierge Marie, de même l’homme devient fils de Dieu du fait qu’il est adopté de Dieu par la maternité de Marie.

   La maternité spirituelle de Marie par rapport aux hommes ne doit pas nous étonner plus que sa maternité par rapport au fils de Dieu. Cet acte prophétique ne saurait non plus être pour nous un motif de diviniser Marie : celle-ci reste l’humble servante du seigneur, tout en étant la mère des hommes, de même qu’elle n’est pas devenue reine pour avoir enfanté le fils de Dieu. En effet, ce n’est pas Marie qui rend l’homme fils de Dieu par le fait qu’elle l’adopte dans la personne de Jean, mais c’est Dieu qui le crée tel. Marie est toujours le lieu humain, le signe prophétique de l’acte de Dieu, la matière dans laquelle l’œuvre de la rédemption prend forme, figure et volume humain. Instrument de la naissance de Jésus, elle est aussi instrument de la naissance de l’homme. Elle est, par conséquent, la seule parmi les hommes à connaître le mystère du fils de Dieu qui, de la personne de Jésus, s’étend à tous les hommes. Le regard des hommes sera toujours tourné vers le Christ, par lequel ils ont accès aux promesses du Père, de même que tout l’espoir des hommes du mythe est adressé à Héraclès, fils d’Io. Mais on ne peut oublier Marie, pas plus qu’on ne peut négliger Io, car elles sont les mères de la nouvelle humanité, la terre nouvelle où les hommes naissent sous le souffle de Dieu, dans la délivrance donnée par le sauveur.



c 1960




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t910820 : 01/02/2021