ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


Auteurs Méthode Textes
Plan Nouveautés Index Liens Aide





Ennio Floris



Prométhée et Jésus :
d’Eschyle aux évangiles


(esquisse d’une théologie du mythe)





Première partie : Dieu, le Sauveur et la mort

X – La rédemption




Sommaire

Introduction

Dieu, le Sauveur et la mort
- La colère de Dieu et le
  péché
- Dieu et le Sauveur
- Le Sauveur contre Dieu
- Le feu
- Procès et condamnation
- Océan et Pierre
- Océanides et filles de
   Jérusalem
- Io et Marie
- La mort
- La rédemption
  . La substitution de
    Prométhée

  . La substitution de Jésus
- L’eschatologie

Le mythe d’Io et l’évangile de Marie

Conclusion théologique



. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

La substitution de Prométhée


   Dans la lutte entre Zeus et Prométhée, on se demande ce que l’homme va devenir. Il a reçu le feu, bien sûr, mais Zeus permettra-t-il que ce feu, prérogative des dieux, soit aussi une source bienfaisante pour la vie humaine ? Si oui, pourquoi punir si sévèrement Prométhée ? Nous touchons ici au vif du problème : la signification du combat de Prométhée, la valeur de sa souffrance et de son ensevelissement.
   Ce qui pourrait paraitre étonnant c’est que, par la souffrance de Prométhée, Zeus renonce à sa volonté de détruire les hommes. Ceux-ci, sans rien faire pour, échappent à la colère du tout-puissant pour vivre dans la nouvelle situation d’existence apportée par le feu.

   Si Prométhée accepte son martyre, s’il ne se laisse convaincre ni par Océan, ni par Hermès de céder à la volonté de Dieu, c’est précisément qu’il est sûr de sauver les hommes de leur condition misérable de vie et de la colère de Zeus. Sa souffrance exerce un rôle rédempteur : en se révoltant contre la loi des dieux et en subissant la colère de Zeus, Prométhée se substitue aux hommes, qui restent de ce fait déchargés de toute accusation.
   La substitution est une loi de compensation valable chez les dieux comme chez les hommes. Aujourd’hui, la peine est étroitement liée à la responsabilité du coupable, la compensation d’une offense ne relève pas du dégât objectif, mais du tort subjectif de l’offenseur, il n’en était pas de même dans le mythe. Le divin, comme nous l’avons vu, est un ordre objectif, fixe et absolu, qui est brisé par l’objectivité matérielle d’une faute, indépendamment de la responsabilité personnelle. Le péché, c’est le défaut lui-même en tant que dégât, rupture de l’ordre établi. Il suffit de regarder Oreste, ainsi que tous les autres héros des tragédies : ils sont punis pour un crime qu’ils ont commis sans le savoir. Pour nous ce sont des victimes, pour les dieux des pécheurs et des maudits.
   Le péché étant objectif, sa réparation aussi est objective, matérielle, extérieure à la responsabilité personnelle. L’ordre rompu exige qu’il soit rétabli, peu importe par qui. C’est ici que la substitution des personnes joue son rôle providentiel : si un être quelconque remplace le coupable, celui-ci est délivré, car la Diké peut bien être rétablie par la souffrance du nouveau venu.

   L’intervention de Prométhée pour les hommes est la dramatisation de ce dogme de la justice objective. Eschyle affirme que Prométhée sera délivré du Tartare au moment où un dieu prendra sa place et subira ses peines. Et ce médiateur viendra, comme nous le verrons par la suite, dans la personne de Chiron, qui fera pour Prométhée ce que Prométhée fait pour les hommes : Prométhée se substitue aux hommes et se charge de leurs péchés afin d’attirer sur lui la colère des dieux. En s’approchant des humains, en les aimant, il partage leur condition pécheresse.
   La démesure des mortels consistait en leur aspiration à l’immortalité, à une vie rendue semblable à celle des dieux par la possession du feu immortel, Prométhée réalise cette aspiration en accomplissant en sa personne le péché des hommes. C’est pour cela que le mythe reconnaît la condition du péché (amartia) seulement dans la rébellion de Prométhée, et non dans les aspirations des humains. Prométhée devient donc homme par son péché, en ce sens que dans sa personne la démesure humaine devient péché envers la loi des dieux. Les hommes sont mis hors de cause par le fait que le péché est désormais dans la personne du dieu rebelle. C’est en cela qu’on peut dire que Prométhée délivre les hommes du péché : il les délivre parce qu’il devient pécheur à leur place.

   Pour la même raison, la colère de Dieu aussi, qui doit rétablir l’équilibre rompu par le péché, se déplace et s’exerce sur Prométhée au lieu de retomber sur les hommes ; délivrés du péché, les hommes le sont aussi de la colère de Zeus. Bien qu’Eschyle n’accorde jamais à la souffrance de Prométhée la valeur d’un sacrifice cultuel, celui-ci est cependant exprimé sous sa valeur théologique. Prométhée affirme souvent qu’il souffre pour avoir trop aimé les hommes, sa souffrance est un sacrifice d’amour. Tout en gardant la loi de la substitution, Eschyle se détache de la religion cultuelle en ce sens qu’il transfère le sacrifice des animaux sur Prométhée, qui s’offre en victime expiatoire à la colère de Zeus. Le rapport entre l’homme et Dieu est situé dans l’humanité, la force de liaison est l’amour, et non plus la peur ou l’intérêt.

   Mais la rédemption de Prométhée s’exerce aussi sur Zeus. Le dieu souffrant est la cible sur laquelle la colère du roi des dieux s’apaise et s’épuise. Les hommes étant délivrés, Zeus l’est à son tour de son courroux à l’égard des hommes. Une nouvelle vie commence, dans laquelle Zeus se lie d’amitié avec les hommes. Sa colère est un pouvoir qu’il exerce désormais seulement contre le Tartare, lieu où le mythe rassemble les vieilles puissances vaincues. Toute résistance, toute révolte, étant rejetées là-bas, le ciel et la terre restent libres pour une royauté faite d’équilibre et de sagesse. Prométhée a donc opéré en Zeus un processus de transfert et de sublimation de ses passions. Le Tartare, qui tient prisonniers les méchants, enferme aussi dans ses ténèbres la colère de Zeus.



c 1960




Retour à l’accueil Mise au tombeau de Jésus Haut de page La substitution de Jésus

t911010 : 02/02/2021