ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Prométhée et Jésus :
d’Eschyle aux évangiles


(esquisse d’une théologie du mythe)





Première partie : Dieu, le Sauveur et la mort

X – La rédemption




Sommaire

Introduction

Dieu, le Sauveur et la mort
- La colère de Dieu et le
  péché
- Dieu et le Sauveur
- Le Sauveur contre Dieu
- Le feu
- Procès et condamnation
- Océan et Pierre
- Océanides et filles de
   Jérusalem
- Io et Marie
- La mort
- La rédemption
  . La substitution de
    Prométhée
  . La substitution de Jésus
- L’eschatologie

Le mythe d’Io et l’évangile de Marie

Conclusion théologique



. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

La substitution de Jésus


   Ce qui caractérise l’existence de Jésus, c’est qu’il s’est donné pour les hommes : qu’il prêche ou qu’il agisse, par sa naissance comme par sa mort, il est toujours « pour nous ». L’expression doit être interprétée non seulement en ce sens que sa vie a abouti au salut des hommes, mais aussi qu’il s’est substitué à l’homme dans la lutte entre la colère et l’amour de Dieu. Il faut cependant préciser et approfondir la signification de cette substitution.

   Pour bien la comprendre et ne pas tomber dans des erreurs grossières, nous croyons qu’il est absolument nécessaire de conserver la distinction que nous avons déjà faite entre Yahvé objet de l’histoire, et Yahvé sujet de la révélation. Sur le plan de l’histoire, la mort de Jésus opère une délivrance du péché et des hommes, analogue à celle que présente le mythe de Prométhée.
   Jésus, tout d’abord, se substitue à l’homme en ce sens qu’il se charge de son péché. Le péché, dans cette dimension historique, étant considéré par rapport à la loi mosaïque, consiste à la transgresser. Jésus se charge du péché contre la loi non seulement parce qu’il est solidaire de l’homme pécheur, mais parce qu’il devient pécheur pour l’homme.
   Bien que les juifs fussent des transgresseurs de la loi, ils n’étaient jamais parvenus à une révolte formelle et totale contre elle. Les écritures néotestamentaires font la distinction que nous avons rencontrée dans le mythe entre la « transgression » et l’amartis, qui est le péché au singulier. L’amartis agit sans doute dans les hommes en les poussant à la transgression, mais il ne prenait pas la forme d’une volonté personnelle. En revanche, lorsque cette puissance métaphysique agit par l’homme, elle prend une autre valeur : elle ne pousse plus seulement à une transgression, elle est alors le péché au sens absolu, c’est-à-dire la contradiction avec Dieu, tandis que son œuvre, la transgression, est relative. L’homme ne parvient jamais à réaliser l’opposition et la contradiction exprimées par l’amartis.

   La personnification du péché contre la loi a été réalisée par Jésus. Il est le pécheur au sens formel du terme, car non seulement il transgresse la loi, mais il s’oppose à elle, il se révolte contre elle, il vise à la détruire. Si, chez les autres, la transgression relève du fait qu’ils sont des hommes charnels, impuissants à observer les commandements, en Christ, par contre, toute transgression (qu’il s’agisse du sabbat, de la justice, des impuretés légales, etc.) relève d’une opposition catégorique contre l’autorité de la loi elle-même, qu’il ne reconnaît pas en tant qu’autorité divine. Avant d’accomplir le salut, Jésus accomplit en lui le péché.
   Si on considère le fait qu’il n’agit pas en sa personne, mais en tant qu’expression du peuple qu’il personnifie, on peut bien dire qu’il se substitue au peuple pour se présenter devant la loi comme l’unique pécheur. C’est par le péché qu’il s’incarne dans l’homme, c’est en lui que la souffrance des pauvres se transforme en révolte, c’est en lui que la plainte des souffrants revêt la forme d’une plainte contre la loi, c’est en lui que la transgression de la loi devient accusation contre la loi elle-même. Jésus se présente devant le tribunal de Caïphe comme personnification du peuple, comme celui dans lequel le peuple exprime son « moi » pécheur contre la loi et la tradition, la prêtrise et la royauté d’Israël.
   Le fait que durant son procès les accusations portées contre lui soient contradictoires démontre, nous semble-t-il, que Jésus n’a pas été un transgresseur, mais un pécheur. La transgression est toujours visible, formelle, le péché reste caché car il est dans l’intention. Caïphe comprend très bien la situation, c’est pourquoi il s’efforce d’obtenir de Jésus un aveu. Par rapport à la loi, les déclarations de Jésus sont le témoignage le plus évident de son péché car, tout en étant un homme, il se substitue à l’autorité de la loi, qui est celle de Dieu. La loi ne peut que s’opposer au péché avec toute la force et la rigueur possibles, c’est-à-dire par la peine de mort.

   La mort de Jésus, même si elle ne constitue qu’un épisode de l’histoire pénale du peuple juif, représente un moment eschatologique dans la théologie de cette histoire. La révolte de Jésus, à savoir son péché contre la loi, relève d’une contradiction interne à la loi elle-même, contradiction qui consiste en ce que l’observation de la loi ne permettait pas d’accomplir le bien. La valeur de la souffrance de Jésus ressort de son amour envers les hommes. De même que Prométhée, Jésus subit la peine de mort pour avoir trop aimé les hommes, pour les avoir aimés plus que la loi. La mort de Jésus situe la loi sur le plan de l’existence humaine, la mettant en contradiction avec elle-même au point que le péché devient un bien, tandis que le bien est péché devant la loi.
   La mort de Jésus mène cette contradiction à son achèvement. En condamnant son péché, la loi a mis le juste à mort, mais en tuant le juste la loi s’est détruite elle-même comme valeur pour les hommes ; elle cesse d’avoir un pouvoir sur l’homme, elle devient comme les tables d’Hammourabi, simple objet d’étude pour la connaissance d’une civilisation et d’un peuple. Et la loi disparaissant, l’homme devient libre vis-à-vis d’elle, en même temps qu’il est délivré du péché contre la loi.

   Sur le plan humain, on ne saurait parler de sacrifice au sens théologique du mot. La mort du Christ est un martyre qui doit être situé dans l’existence humaine : par elle l’institution est détruite, parce que l’ordre des rapports a été inversé. La loi n’était pas pour l’homme, mais l’homme pour la loi, il y avait dans la situation d’existence un vide qui a engendré un bouleversement, à la façon d’un tremblement de terre. L’homme a pris conscience de cette anomalie, il a situé la loi pour l’homme, et par là-même il l’a détruite. L’origine de Jésus mise à part il est, sur le plan historique, un génie et un martyr, car il a dénoncé l’inhumanité de la loi et rétabli la situation par sa mort. Il est mort pour tous, sa mort étant la rédemption du péché et de la loi pour l’homme.
   Le problème change d’envergure si on le considère sous l’angle de la foi. Il faut alors voir en Christ Dieu lui-même, en tant qu’il se présente pour l’homme, sujet de révélation. La souffrance et la mort de Jésus sont le reflet humain de cette présence.
   Dieu étant sujet et non objet, la théologie évangélique ne peut considérer le péché que comme une offense à la personne de Dieu. Les rapports entre Dieu et l’homme sont personnels et subjectifs. Le péché, touchant la personnalité de Dieu, atteint l’homme dans sa responsabilité. Il ne peut être effacé que par le rétablissement d’un rapport direct entre Dieu et l’homme, aucune substitution n’est possible ou, si l’on parle de substitution, c’est Dieu lui-même qui se substitue à l’homme pécheur.
   En Christ, Dieu révèle qu’il n’a pas eu horreur du pécheur, puisqu’il s’est approché de lui dans une telle solidarité qu’il en partage la condition et la mort. Il n’est plus alors le Dieu saint – au sens de pur et étranger au péché – mais le Dieu qui se présente dans l’homme sans qu’il y ait purification de lieu ni de personne.
   Dans la mort de Jésus, Dieu révèle qu’il renonce à toute satisfaction pour le péché, il y renonce parce qu’il laisse le péché retomber sur lui. Le Dieu qui abolissait le péché par la condamnation de l’homme l’efface désormais, en subissant en lui la méchanceté du péché. Toute renonciation au droit de réparation laissait l’homme victime du péché, mais Dieu se révèle maintenant comme la victime du péché des hommes.



c 1960




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t911020 : 02/02/2021