ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Prométhée et Jésus :
d’Eschyle aux évangiles


(esquisse d’une théologie du mythe)





Première partie : Dieu, le Sauveur et la mort

VII – Les Océanides et les filles de Jérusalem




Sommaire

Introduction

Dieu, le Sauveur et la mort
- La colère de Dieu et le
  péché
- Dieu et le Sauveur
- Le Sauveur contre Dieu
- Le feu
- Procès et condamnation
- Océan et Pierre
- Océanides et filles de
   Jérusalem

  . Les Océanides
  . Les filles de Jérusalem
- Io et Marie
- La mort
- La rédemption
- L’eschatologie

Le mythe d’Io et l’évangile de Marie

Conclusion théologique



. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Les Océanides


   Après le départ d’Océan apparaissent les Océanides : serrées les unes contre les autres, au sommet d’un roc, elles gémissent sur le destin de Prométhée. Puisque l’homme a échoué, c’est au tour des femmes de s’approcher de la croix pour exprimer la pitié au Titan qui souffre. Peu leur importe l’enjeu du drame qui se joue ici au sujet des mortels, car elles ne le comprennent pas mais, saisies par l’aspect terrifiant du dieu, sensibles à sa souffrance, horrifiées par ses tortures, elles pleurent sur sa personne.
   Filles d’Océan, elles connaissaient Prométhée, mais ce qui les pousse à se porter sur les lieux du supplice, c’est qu’elles ont toujours été attirées par la beauté, le charme et la grandeur du titan, qui d’ailleurs avait choisi l’une d’elles, Hésione, pour épouse ; celle-ci n’apparaît pas sur la scène mais s’incarne, en quelque sorte, dans ses sœurs. Contemplant le dieu défiguré, elles se souviennent du jour des noces, elles entendent encore l’écho du chant nuptial qui célébrait la gloire et la beauté de l’époux.
   Leurs cris de désespoir déchirent le silence qui régnait ici depuis le départ d’Océan, puis se répandent à travers l’espace. Ils s’élèvent au-dessus d’un bruit confus, où se mêlent les gémissements des hommes sur la terre, les hurlements de la mer, les glapissements de l’Adès. Par leur pitié, elles pénètrent au plus profond de la souffrance de Prométhée.

   Un abîme sépare Prométhée, le sauveur, du reste de l’univers, de l’Olympe comme de la terre et de l’Adès. Personne n’a osé l’approcher, excepté ceux qui ont exécuté la sentence et Océan, qui finalement s’en est allé. Le monde entier semble l’ignorer mais tous, les hommes et avec eux les habitants de l’Adès, jusqu’ici muets, sont entraînés par ces êtres faibles et transparents à rompre leur silence, et à refléter dans les larmes leur détresse devant la condamnation de Prométhée, car les femmes possèdent le pouvoir d’humaniser le monde par leurs larmes. Bien sûr, elles ne réussissent pas encore à fléchir le cœur de Zeus, mais elles y parviendront lorsque leurs cris de suppliantes révèleront en Zeus un visage paternel. Pour le moment, leurs gémissements ont appelé les trois règnes de l’univers à exiger cette transformation, toute la création soupire vers la délivrance et l’amour.

   Prométhée n’accepte pas de devenir objet de compassion : il ne souffre pas pour que les femmes pleurent, mais pour que les hommes soient sauvés. Les lamentations des femmes lui sont une occasion de manifester ouvertement le but et la signification de sa douleur. S’il souffre, ce n’est pas par malchance ni parce qu’il est la victime d’une conjuration des dieux, mais pour le salut universel, et cette cause vaut la peine qu’il souffre. Il raconte alors comment les hommes, sortant de leur état de misère et d’opprobre, sont, grâce au feu qu’il leur a donné, sur le chemin de la prospérité, du bonheur et de la civilisation. De ces animaux il a fait des hommes, à savoir des êtres intelligents, capables de travailler, de se développer, de remporter par l’art, la science et la religion la victoire contre la maladie, la faim, l’ignorance et la mort.
   Les femmes se rendent compte qu’elles ne peuvent accepter cette souffrance d’un dieu pour les mortels que, par ailleurs, elles tiennent en bien piètre estime ! Mais s’ils ne dépendent pas d’une défaillance de Prométhée, ces tourments ne seront pas éternels.
   Ces femmes ont ainsi l’intuition de ce que personne n’avait encore osé espérer : la délivrance de Prométhée et la glorification qui fera de lui l’égal de Dieu. Pour un temps, l’espoir sèche leurs larmes. Dans le dialogue qui se continue, Prométhée leur confirme la vérité de cette espérance et les avertit des événements qui en précéderont la réalisation : avant qu’il ne soit délivré, il devra subir toutes les peines. Quant à sa délivrance, elle n’aura pas lieu sans l’accomplissement d’un mystère.
   Les Océanides, dévouées à Zeus, pensent que Prométhée atteindra à nouveau une existence divine sans pour autant détrôner celui-ci. Tremblant comme les autres êtres devant la puissance de Dieu, elles ne peuvent pas comprendre qu’une transformation s’opère en Dieu lui-même.

   Prométhée, par contre, sait qu’au-dessus de Zeus il y a la Nécessité, qui dirige tout, même Zeus. La lutte qu’il a engagée contre Zeus s’achèvera par une victoire qui transformera le gouvernement de celui-ci. Zeus aussi devra renoncer à sa puissance démesurée, à l’éclat déraisonnable de sa divinité, à l’emploi de sa force dénuée de justice, à son autorité orgueilleuse qu’il exerce sans sagesse ni amour. La délivrance et la déification de Prométhée seront précédées par l’anéantissement de ce pouvoir.
   Sur ces événements, Prométhée garde le secret, mais ce refus de s’expliquer davantage et le doute qu’il engendre au sujet du règne perpétuel de Zeus nous montrent qu’il comprend sa victoire comme une lutte et un bouleversement, où Zeus sera amené à être jugé par le Destin, qui est au-dessus de lui. Il croit que Zeus sera remplacé par un autre dieu, comme Chronos avait été remplacé par Zeus, et que son libérateur sera celui-là même qui détrônera Zeus. Toutes les peines qu’il souffre sont transportées dans le futur et rejetées sur la personne de celui qui maintenant les tient sous son pouvoir : l’empire de Zeus sera détruit.

   Plongé dans les tourments que Zeus lui inflige, il ne peut concevoir sa victoire que dans cette vision apocalyptique. Cependant, il n’en a pas l’assurance, c’est pourquoi il annonce le mystère sans le définir, en laissant les hommes dans une terrible incertitude. Les Océanides en sont les premières victimes. Dans leur âme, la peine devient plus troublante, car elles sont divisées entre l’amour qu’elles portent à Prométhée et le respect qu’elles éprouvent à l’égard de Zeus. Elles ne peuvent que pleurer, non seulement sur le sort de Prométhée, mais aussi sur le mystère qui jette l’ombre la plus noire à la fois sur le destin de Zeus et sur celui des hommes.



c 1960




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t910710 : 06/06/2016