ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisProméthée et Jésus : |
Première partie : Dieu, le Sauveur et la mort |
Sommaire Introduction Dieu, le Sauveur et la mort - La colère de Dieu et le péché - Dieu et le Sauveur - Le Sauveur contre Dieu . Un Dieu injuste . Une loi injuste - Le feu - Procès et condamnation - Océan et Pierre - Océanides et filles de Jérusalem - Io et Marie - La mort - La rédemption - L’eschatologie Le mythe d’Io et l’évangile de Marie Conclusion théologique . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
Un Dieu injusteLe but que poursuit Prométhée est de délivrer les hommes de leur condition mortelle, tout en amenant Zeus à remplir de manière juste et parfaite sa fonction divine. C’est ce qui explique que le Dieu sauveur ait un double comportement : douceur et amour à l’égard des hommes, dureté et agressivité envers Zeus et les dieux. Tout le drame réside dans l’opposition de ces deux rôles joués par un seul et même personnage, qui présente tour à tour le visage de l’amour et de la haine, de l’humilité et de l’orgueil, de la soumission et de la révolte. Nous l’avons déjà vu Prométhée, s’il veut se rapprocher des hommes, ne peut qu’aller contre la volonté des dieux. C’est là une condition pénible, qu’il doit accepter dans la mesure où il veut sauver les mortels. Ne nous étonnons pas de la véhémence avec laquelle il s’oppose aux dieux, elle est la conséquence de son immense amour pour les hommes car, le premier, il se met à regarder les dieux à travers sa propre expérience de la souffrance humaine. Sans doute discerne-t-il chez les hommes cette démesure qui les porte, dans leur haine des dieux, à outrepasser la limite que Zeus leur a fixée. Après avoir été déçus par la défaite des Titans, ils espèrent maintenant que la mère Terre prendra sa revanche sur la toute-puissance de Zeus, mais il voit aussi dans cette hostilité la preuve de la souffrance qu’ils ressentent d’avoir été privés de la gloire et destinés à la mort, comme les animaux. La faute en est aux dieux bien plus qu’aux hommes. Pourquoi se refusent-ils à partager le feu avec les mortels ? Pourquoi vivent-ils à l’écart des hommes, jaloux de leurs privilèges ? Pourquoi n’usent-ils pas de leurs pouvoirs pour délivrer les hommes ? C’est ce que Prométhée ne saurait supporter (ni Eschyle non plus). Rien, en effet, ne peut justifier le comportement des dieux, ni la crainte que les hommes s’emparent du divin (c’est impossible), ni la crainte de perdre leur honneur, car ils en sortiraient d’autant plus honorés des hommes ! Il faut bien le dire, les dieux, eux aussi, font preuve de démesure ! Ainsi donc, la condition des mortels est le signe de l’injustice de Zeus, dont le pouvoir s’exerce bien au-delà des lois objectives du divin, précisément parce que sa cruauté le rend insensible à la peine des hommes. Si Prométhée ne va pas jusqu’à remettre en question le pouvoir de Zeus, il lui reproche cependant d’en abuser par caprice et orgueil, en oubliant qu’il dépend, lui aussi, d’une loi supérieure et qu’il doit l’observer avant de se faire obéir. Au lieu de peser les actions des dieux et des hommes sur la balance de la justice, il se fâche toutes les fois qu’il se sent offensé. Au lieu de gouverner selon l’équité (dikè), il agit en maître selon le ressentiment (orgè). Et sa colère est la manifestation d’une passion cachée au fond de son cœur, la rancune (kôlos) qu’il éprouve à l’égard des hommes et des dieux. Enfant, il a en effet été marqué, blessé, par la peur que son père, Chronos, ne le tue. Il ne peut supporter ceux qui sont issus de la race paternelle, même pas ses cousins nés d’Ouranos. Cette haine si profondément enracinée, qui l’a jadis poussé à tuer son père, l’incite maintenant à anéantir les Titans, pour être seul, avec une postérité bien à lui et à laquelle il puisse se fier. N’étant pas fondé sur la justice, le comportement de Zeus est absolument dépourvu d’amour (philia). Si l’on se place de ce point de vue, on voit clairement que son but est de détruire plutôt que d’édifier ; son cœur durci par une double colère est fermé à toute pitié ; il est insensible à la souffrance des humains, cruel à l’égard de ceux qui ont offensé sa personne, irréductible après la punition. D’ailleurs, il n’est aimé de personne. Son père, ses oncles et les Titans le haïssent du fond du Tartare où il les a enfermés, les dieux lui obéissent seulement parce qu’ils redoutent sa foudre, sur la terre, les hommes attendent qu’un nouveau Dieu le détrône. Mais quelle est la raison profonde de cette injustice et de ce manque d’amour ? C’est le pouvoir que Zeus détient dans sa foudre. Zeus est un jeune roi et, comme tous les jeunes, il manque de sagesse et exerce un pouvoir sans contrôle. Parce qu’il s’est emparé de la foudre, il a conscience d’être le divin lui-même, sans reconnaître qu’il est subordonné au Destin. Aussi tient-il les dieux en état d’esclavage car, pas plus qu’il ne veut donner le feu aux hommes, il n’accepte de céder la foudre aux autres dieux qui, en lui laissant la foudre, ont cessé d’être de véritables dieux, et même ceux qui n’ont pas été enfermés dans le Tartare subissent la tyrannie de sa puissance absolue et incontrôlée. Ce Destin qui a appelé Zeus à devenir roi des dieux et des mortels, c’est celui-là même qui pousse Prométhée à affronter la démesure du jeune roi. Pour ce qui est de la foudre, Prométhée reconnaît qu’elle est dans les mains de Zeus par la volonté du Destin. Il accepte donc la suprématie royale de Zeus, le plan divin vers l’unicité de la personne divine. Mais il ne peut pas accepter que Zeus revête cette dignité sans devenir sage, sans conditionner la force au droit et le pouvoir à l’amour. C’est pourquoi il lance son accusation implacable. Il est évident que cette accusation ne constitue pas un simple litige entre deux dieux, litiges dont le mythe est rempli. De même que Zeus a conscience d’être appelé au trône divin, Prométhée sent que son intervention est volonté du Destin. Il est un prophète, et comme tel il connaît le plan du Destin. S’il se lance contre Zeus, c’est pour Zeus lui-même autant que pour les hommes ; s’il condamne les abus de Zeus, c’est au nom de la justice du divin, qui doit devenir justice d’amour. Tout en ayant conscience de sa défaite momentanée, il sait qu’il obtiendra la victoire après des siècles et des siècles de souffrance. Sa lutte présente a une valeur eschatologique, ses attaques sont déjà l’assaut du triomphateur, du Titan, contre la race divine. L’orgueil du Zeus tout-puissant sera abaissé, sa colère détruite. La guerre entre les deux dieux s’achèvera par le triomphe de la divinité, qui se personnifiera dans un Zeus nouveau, alors règneront l’ordre et l’unité, l’amour et la paix entre les dieux et les hommes. C’est ce mystère sacré qui donne à Prométhée tant de force dans le combat comme dans la souffrance. |
![]() ![]() ![]() ![]() t910310 : 07/10/2018 |