ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisProméthée et Jésus : |
Première partie : Dieu, le Sauveur et la mort |
Sommaire Introduction Dieu, le Sauveur et la mort - La colère de Dieu et le péché - Dieu et le Sauveur - Le Sauveur contre Dieu . Un Dieu injuste . Une loi injuste - Le feu - Procès et condamnation - Océan et Pierre - Océanides et filles de Jérusalem - Io et Marie - La mort - La rédemption - L’eschatologie Le mythe d’Io et l’évangile de Marie Conclusion théologique . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . |
Une loi injusteLa vie de Jésus est déjà, en soi, un jugement achevé contre le judaïsme. Mais ce jugement, Jésus l’a aussi exprimé par la parole, en formulant contre la religion de son peuple l’accusation la plus radicale et la plus âpre qui soit dans le sermon sur la montagne, tout au début de sa prédication. L’évangile de Matthieu marque cette accusation par les paroles « Vous avez entendu qu’il a été dit… mais moi je vous dis » (Mt 5:21-22 ; 31-32 ; 38-39 ; 43-44). L’orthodoxie a toujours cherché à diminuer la force de ce « mais » (alla), comme si l’intention de Jésus était seulement de corriger les abus d’une interprétation pharisaïque de la loi. L’opposition est pourtant radicale, car elle vise à ébranler la loi elle-même. Lorsque, au sujet de l’abolition du divorce (voir l’étude ultérieure, les pharisiens mettent Jésus en contradiction avec Moïse, qui avait introduit la lettre de divorce, Jésus répond : « C’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes ; au commencement il n’en était pas ainsi » (Mc 10:5-6). Cette réponse n’a pas été suffisamment approfondie. Donnée par Moïse, la lettre de divorce aurait dû être considérée comme venant de Dieu lui-même, au même titre que tous les autres commandements de la loi. Affirmer que cette concession vient de Moïse et non de Dieu, c’est reconnaître que la loi est une législation humaine, bien qu’inspirée par Dieu. Pour Jésus, Dieu n’a pas parlé dans la loi de Moïse, mais « au commencement ». L’interprète authentique de cette parole de Dieu étant Jésus lui-même, il peut dire contre Moïse « Mais moi, je vous dis ». Affirmant son moi contre Moïse, il s’oppose à l’autorité du Dieu de la loi, ce Dieu qui est le Yahvé de l’histoire. Nous verrons mieux ensuite qu’il n’y a aucune contradiction entre le « moi » de Jésus et le « Je » de Dieu, en tant que sujet de révélation. L’accusation de Jésus doit donc être située sur le plan de la tradition. Prométhée non plus n’a pas combattu contre la déité du Destin, mais contre la personnification temporelle de cette déité. Ils se font l’un et l’autre les accusateurs du Dieu de l’histoire, précisément parce qu’ils reconnaissent la vérité du Dieu dont ils sont les interprètes et les révélateurs. La loi pèche par un défaut de justice (dikaiosunè). Elle défend de tuer, mais elle néglige de punir toute offense entraînant la mort morale du prochain par la haine et par la colère ; elle saisit l’adultère dans l’acte extérieur, sans le considérer dans le désir du cœur. La justice de cette loi est donc extérieure, formelle et matérielle, parce qu’elle saisit l’homme dans sa situation historique et non dans la conscience de sa personnalité. Au lieu de réparer le mal, elle l’aggrave, car elle agit en perpétuant sur le pécheur le crime même que l’offensé a subi. Cette défaillance de la justice provient du fait que la loi ne connaît pas l’amour en tant que philia et agapè. Tout en ordonnant d’aimer le prochain, elle permet de haïr l’ennemi. Or l’agapè ne connaît pas d’ennemi, puisque c’est lui qui doit précisément être considéré comme le prochain. C’est ainsi que l’entend Jésus dans ses paraboles, quand il voit le prochain dans l’ennemi de la race et du sang, l’impur selon la loi, l’adversaire, le débiteur, tout pécheur enfin. Son enseignement contient une critique radicale de la loi. La haine de l’ennemi, par laquelle le peuple juif avait conquis son territoire, est condamnée ; la réparation du débiteur par l’esclavage est abolie ; les prescriptions sur l’impureté sont dépassées ; le pécheur maudit par la loi devient objet d’amour et de pardon. Du fait qu’elle restreint le prochain aux fils d’Abraham, la loi déclarait ne pas aimer l’homme et regretter le salut de la plupart des humains. C’est précisément pour ce « reste » rejeté par la loi, que Jésus est venu pour évangéliser les pauvres, pour sauver les pécheurs, pour guérir les malades. Non seulement la loi restreint l’amour, mais elle le subordonne à l’observation des ordonnances légales, telles que le sabbat et les purifications. Au contraire, l’amour est la condition et l’accomplissement même de la loi, car il représente un commandement nouveau. La critique de Jésus n’épargne pas non plus le privilège religieux du peuple, en tant que peuple de Dieu. Les promesses faites à Abraham et à sa postérité, le salut de Dieu était lié à la race et au sang. Il s’ensuit que Yahvé est le Dieu du peuple, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob, en ce que son esprit agit à travers la race, dans son territoire et dans son temple, par ses sacrifices et ses prophètes, par sa tradition et son histoire. Au sein de l’humanité, le peuple juif constitue une caste religieuse, c’est un peuple qui habite dans une terre donnée par Dieu, où coulent le lait et le miel, et qui devient aussi demeure de Dieu. La prédication de Jésus vise à détruire le mythe de cette race élue, pour la situer au même rang que toute l’humanité. Ce n’est pas la chair et le sang qui nous font fils de Dieu, mais l’esprit et la foi. Bien qu’issu d’Abraham, le peuple constitue une race de vipères. Dieu n’a pas besoin des fils d’Abraham pour être présent dans l’homme, car il a le pouvoir de se susciter des pierres mêmes une postérité. La grandeur d’Abraham ne réside pas dans sa descendance charnelle, mais dans son espérance. Contre le salut des œuvres, Jésus prêche le salut par la foi, contre le sacrifice la réconciliation de la repentance, contre le culte dans le temple l’adoration en esprit et en vérité. La lutte devient plus profonde lorsque nous regardons son « moi » s’opposer à l’autorité du peuple : « Mais moi je vous dis ». Ce « moi » se dresse contre Abraham et Moïse, au-dessus de David et des prophètes, pour ravir à Abraham sa paternité et à Moïse sa loi, cependant qu’il s’empare du royaume de David et de la révélation des prophètes. C’est un « moi » qui s’identifie à l’histoire, qui se substitue à tous les personnages anciens, qui s’incarne dans un moment du présent, pour réabsorber et résoudre en lui tout le passé. Cette opposition devient supra-historique, si l’on réfléchit à ce que par le « moi » de Jésus c’est le « Je » de Dieu lui-même qui agit, de même que le peuple agit dans l’autorité du nom de Dieu. C’est Dieu qui se présente en Jésus pour détruire son « nom », son hypostase dans son peuple, pour s’affirmer par lui-même, dans l’actualité de sa présence pour l’homme. Dieu intervient pour détruire son idole, ce masque que les juifs ont élevé dans leur temple comme objet d’adoration et de culte. Ainsi le Christ amène le Dieu de la révélation à une contradiction qui est parallèle à celle représentée par Prométhée au sein du divin mythique. Dans le mythe, le divin est, à travers la lutte des dieux, division lui-même ; dans l’Évangile, par contre, l’opposition est suscitée entre le « Je » de Dieu qui apparaît en Christ, et son « Nom », hypostase historique de son « moi ». Ici l’analogie avec le mythe est profonde. C’est pour cela que la critique de Jésus s’achève, comme celle de Prométhée, dans une vision eschatologique qui révèle la phase finale de la lutte. Dieu viendra alors pour la dernière fois, car c’est la fin du peuple élu. La terre qui produisait du lait et du miel, ce jardin de Dieu où fleurissaient la vigne, le figuier et le grenadier sera consumée par le feu, et le peuple quittera ses villes pour se réfugier, sans espoir, sur la montagne. Le soleil qui avait rendu ce pays fécond s’obscurcira, la lune que Dieu avait créée pour présider à la nuit ne donnera plus de lumière, et les rayons des étoiles ne tomberont plus sur la terre. La maison de Dieu, le temple, sera ruinée et il ne restera d’elle pierre sur pierre. À ce moment, Jésus viendra du ciel, pour instituer un nouveau royaume qui n’aura ni temple, ni culte, ni territoire, ni empire, car il s’étendra d’une extrémité à l’autre de la terre comme règne de puissance et de gloire. |
![]() ![]() ![]() ![]() t910320 : 07/10/2018 |