ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Prométhée et Jésus :
d’Eschyle aux évangiles


(esquisse d’une théologie du mythe)





Première partie : Dieu, le Sauveur et la mort

IX – La mort




Sommaire

Introduction

Dieu, le Sauveur et la mort
- La colère de Dieu et le
  péché
- Dieu et le Sauveur
- Le Sauveur contre Dieu
- Le feu
- Procès et condamnation
- Océan et Pierre
- Océanides et filles de
   Jérusalem
- Io et Marie
- La mort
  . L’ensevelissement de
    Prométhée
  . La mise au tombeau
    de Jésus

- La rédemption
- L’eschatologie

Le mythe d’Io et l’évangile de Marie

Conclusion théologique



. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Les soldats, comme l’aigle


   On retrouve au pied de la croix un tragique semblable à celui qu’instaure le mythe par la visite d’Hermès.
   Jésus étant homme, on devrait attendre que la mort mette fin à sa vie. Cependant ceux qui l’ont crucifié restent là : ils redoutent quelque-chose. Bien qu’il soit homme, il n’est cependant pas un homme comme les autres : son pouvoir prophétique, sa personnalité supérieure, faisaient de lui un homme de Dieu, ou un homme possédé par des puissances mauvaises. Jésus avait déclaré avoir reçu la révélation de sa glorification : on le verrait, disait-il, sur les nuées du ciel. Il ne lui reste que peu de temps pour apparaître ainsi sur les nuées du ciel, juste l’espace entre son agonie et sa mort. On peut donc attendre quelque-chose d’exceptionnel de cet homme exceptionnel ; on peut aussi penser que quelque puissance, divine ou diabolique, viendra le délivrer de la croix.

   Les paroles que Jésus a prononcées sur la croix ont été interprétées comme une invocation à Élie, afin qu’il vienne le délivrer. Il y a du mépris dans cette interprétation, de la moquerie, mais au moins la superstition s’est emparée de ceux qui la font. Ils ont toujours eu peur de Jésus, et encore à ce moment ils peuvent toujours craindre que la foule, jusqu’ici docile entre leurs mains, soit saisie par le fanatisme et se révolte et délivre le crucifié. C’est pour cela qu’ils restent là, et que le corps de garde demeure, dans l’attente d’un prodige ou de la mort. De même que Zeus cherche à percer le secret de la révélation de Prométhée, les chefs juifs veulent voir si les paroles de Jésus cachent quelque-chose de vrai.
   Pour Jésus aussi, c’est un moment d’attente. Il sait par les Écritures qu’il doit mourir et être délivré, mais il sait aussi que Dieu peut changer, s’il le veut, son plan d’action. À Gethsémani, il avait prié son père de le glorifier sans le faire passer par la mort. C’était le moment de son épreuve ; c’est la vision de la coupe de sa souffrance qui l’avait épouvanté, lui faisant souffrir d’avance les peines de sa mort, et c’est en conséquence de cette vision et de cette expérience qu’il avait prié Dieu d’être délivré de la mort.
   Aussi Jésus monte-t-il sur la croix avec la certitude du triomphe, mais sans connaître précisément le temps de la volonté de son père. Les Écritures prophétiques lui disent, bien sûr, qu’il doit mourir et ressusciter le troisième jour, à l’exemple de Jonas, mais l’application de cette prophétie à sa personne est toujours conditionnée à la volonté de Dieu. La mort s’approchant, une souffrance angoissante l’étreint, il lance à son père un appel désespéré afin qu’il le soustraie à cette angoisse. Le silence de son père est le signe le plus significatif de la réponse : Dieu l’abandonne aux mains des puissances des ténèbres.

   Selon la description de Matthieu Jésus, en mourant, jette un dernier cri que personne ne comprend. Ce cri manifeste que sa mort n’est pas une conséquence de la crucifixion : il meurt parce qu’une puissance de ténèbres se lance contre lui, il meurt parce que Dieu son père l’abandonne. Son corps semble être l’enjeu d’une lutte qui se déroule sur un plan au-delà de l’histoire. D’ailleurs, la nature elle-même est bouleversée : le soleil s’obscurcit et les ténèbres enveloppent le monde, la terre tremble, les rochers des montagnes se fendent, le voile du Temple se déchire. Ce n’est pas un homme qui meurt, mais un dieu.

   Jésus est mort, son corps est là sans âme. Mais la peur étreint encore ses ennemis. Ils se souviennent qu’il avait dit qu’il ressusciterait le troisième jour, si son corps est volé par les disciples on pourra prétendre qu’il est vraiment ressuscité. C’est alors que des gendarmes sont postés auprès du tombeau pour le garder – leur présence à cet endroit est un signe que le Christ n’est pas tout à fait mort.
   C’est une vérité qui sera développée plus tard, dans la prédication des apôtres, car même si Christ est mort, il ne peut pas être objet de corruption. Mort en raison de la séparation de « l’esprit » et de son corps, il est vivant parce que la mort ne peut pas l’assujettir jusqu’à le réduire en poussière. Son immortalité est celle-là même de la résurrection. Dans le tombeau, le Christ est un mort vivant, de même que Prométhée est un vivant mort.
   C’est pour cette raison que ceux qui l’ont crucifié ont encore peur de lui. La consigne que les soldats ont reçue est fort semblable à la tâche de l’aigle de Zeus. Ils doivent empêcher qu’il ne revive. Ils avaient d’ailleurs percé son côté avec une lance et constaté que du sang sortait encore de son corps : bien que ce fut un cadavre, son corps avait encore du sang de vivant. Maintenant que le Christ est enfermé dans le tombeau les soldats sont là, avec leurs lances, comme pour lui dire qu’ils sont prêts à transpercer encore une fois son cœur s’il ne se résigne pas à être comme un mort. L’incorruptibilité, tout en gardant le corps pour la résurrection, confère à la mort un pouvoir de vie.



c 1960




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t910920 : 20/07/2020