INTRODUCTION
Des catholiques plus ou moins prudents
Comme exemple de la manière dont la hiérarchie catholique pouvait accueillir un tel projet, examinons le commentaire
d’Yves-Marie Blanchard, membre de l’Institut catholique de Paris. Cet article (publié « es qualité » dans
Télérama du 19/3/97) fait preuve pour le documentaire d’un certain intérêt (peut-être même d’un intérêt certain !) mais aussi d’une grande prudence, aussi bien dans les termes...
«
Tant pour l’homme cultivé, soucieux de vérité historique, que pour le croyant qui fonde sa foi sur Jésus-Christ, il est de première importance de pouvoir accéder à une certaine connaissance de l’homme Jésus, dans ce qu’il fut concrètement, en quelque sorte antérieurement au développement théologique des Évangiles. »
(1)
... que sur le fond :
«
Ce que nous montre parfaitement la série d’Arte
, c’est que la recherche d’une vérité événementielle relative à Jésus ne se fait pas sans méthode : de fait, elle mobilise toutes les ressources de la science historique » et nécessite que nous confrontions «
les Évangiles aux données archéologiques, juridiques, institutionnelles, accessibles par d’autres canaux que l’étude des textes chrétiens ». C’est une «
tâche exigeante mais combien passionnante, d’autant qu’elle engage la difficile question des relations entre juifs et chrétiens. Une question qu’explore longuement Corpus Christi
, s’interrogeant sur les racines d’un certain antisémitisme chrétien ».
Tout scientifique partagera, en effet, son exigence de «
méthode » (mettre au pluriel cependant, car ce ne sont pas les mêmes selon qu’il s’agit d’archéologie, d’histoire ou de linguistique) et admettra que la série «
explore » et «
s’interroge » comme tout travail d’historien. Mais
Blanchard, lui, souhaiterait une «
vérité » appuyée sur des «
données » incontestables.
Son propos reste mêlé encore de quelques réticences, qui me paraissent aller au-delà de la simple prudence verbale : un tel documentaire «
devrait séduire [sic]
un large public », mais surtout, attention, «
ce débat, dans sa technicité, demeure œuvre de spécialistes ». Bien que
Corpus Christi «
s’interroge sur les racines d’un certain antisémitisme chrétien », ce qui engage «
la difficile question des rapports entre juifs et chrétiens », il reste que «
de telles questions ne sauraient être tranchées au simple regard de sensibilités personnelles ou en fonction de mémoires collectives plus ou moins [sic]
malheureuses ».
Non seulement un tel propos reste opposé au « libre examen » (y compris en matière de science historique, quand celle-ci porte sur
Jésus), mais il ne reconnaît pas sans équivoque l’existence de l’antisémitisme chrétien, qui n’apparaît ici pas si «
certain » que ça (même si, en plus, il y a là-dessous une querelle de mots, entre « antisémitisme » et « antijudaïsme », comme nous le verrons
infra.
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(1) Blanchard a publié Des signes pour croire. Lecture de l’Évangile de Jean (Cerf, 1995). Simon Legasse, auteur d’un Procès de Jésus (2 tomes, Cerf, 1994), exprime une opinion plus favorable, mais contradictoire avec celle de Blanchard : « Tout en sachant que la foi chrétienne ne découle pas d’une reconstitution, si honnête soit-elle, de la vie de Jésus, il [le catholique] apprécie qu’on ait pu montrer que cette foi ne requiert pas la mise en veilleuse d’une certaine forme d’intelligence » (La Croix, 12/4/97).